Alors que la Côte d’Ivoire a parfois été soupçonnée d’implication dans la mort de Thomas Sankara, Laurent Dona Fologo, ancien ministre et proche de Félix Houphouët-Boigny, nie toute implication ivoirienne et se souvient d’un jeune dirigeant burkinabè impétueux, s’installant avec ses pistolets à la table présidentielle.

"Ce n’est un secret pour personne que le président Houphouët-Boigny (1960-1993) était l’ami des occidentaux", dans un contexte de guerre froide où certains disaient craindre que le Burkina bascule dans le camp soviétique, reconnaît-il. Mais "le président Houphouët Boigny n’a jamais préconisé la violence pour neutraliser le régime Sankara. Jamais !".

Et si le régime ivoirien a rapidement reconnu la présidence de Blaise Compaoré, porté au pouvoir après l’assassinat de Sankara, en octobre 1987, Laurent Dona Fologo assure que la stratégie d’Houphouët concernant le "père de la révolution" burkinabè était toute autre.

"Il était l’homme de la patience, il travaillait à avoir les gens à l’usure. Il disait : Oh, il est jeune (Sankara est arrivé au pouvoir à 33 ans à la suite à un putsch, ndlr), vous verrez il va se calmer...".

"Comme il le disait de lui-même, c’est le caïman qui dort un oeil ouvert. Il faisait attention, il ne voulait pas que ces gens (révolutionnaires) prennent le pas sur sa famille politique. Mais il ne le faisait pas brutalement".

La Côte d’Ivoire a-t-elle été suspectée d’agir en sous-main pour l’ancienne puissance coloniale, peu soucieuse de voir se maintenir un pouvoir anti-impérialiste ? M. Fologo se contente d’un "ce que la France admettait sur son sol, elle ne l’admettait pas" dans son pré-carré africain.

Le président ivoirien de l’époque l’a envoyé à plusieurs reprises rencontrer Sankara. Pendant ces missions, "je n’amenais pas des valises (d’argent) mais des bananes", évacue-t-il d’un rire.

"Sankara était d’une grande simplicité. Il impressionnait par sa manière, par son comportement d’un chef d’État qui recevait de la façon la plus ordinaire". Ou pas.

Lors d’une réunion de ministres des sports de langue française, Sankara a ainsi organisé un match de football entre le gouvernement du Burkina et les ministres étrangers.

"Sankara était l’arbitre. Le premier but a été marqué par les membres du gouvernement du Burkina. Alors on se battait, on essayait de marquer mais on n’y arrivait pas. Et vers la fin, alors que la balle était peut-être à cinquante mètres des buts, il siffle un pénalty pour nous, comme ça... Ça nous a permis de marquer. Match nul", rigole M. Fologo.

 ’Enlever ses fusils’ -

Il se souvient aussi d’une visite du leader burkinabè à Yamoussoukro.

"Sankara est venu avec ses deux pistolets et en tenue de militaire. Il a déjeuné à la table du président Houphouët, les caciques du PDCI (parti unique ivoirien à l’époque) murmuraient un peu, ils n’étaient pas très très d’accord. Nous, on n’était pas très rassurés qu’il soit à côté du président Houphouët avec ses pistolets... On se disait quand même, à table il aurait pu enlever ses fusils. Mais bon, le président Houphouët était pour la paix ! Donc on a déjeuné avec lui et avec ses pistolets !".

"C’était un personnage. En voiture, il montait à côté du chauffeur et le garde du corps était assis derrière à la place du ministre".

Mais il pointe aussi les travers de la "révolution" sankariste, notamment les "dégagements (...) de leur poste tout ceux qui ne suivaient pas la révolution correctement".

"Chaque jour à la radio, on annonçait +les dégagés+ du jour (...) Il y a eu quand même des drames. J’ai un ami qui était ministre du Tourisme qui s’est retrouvé du jour au lendemain dégagé avec sa famille, ses deux enfants".

Le pouvoir ivoirien, alors incarnation d’une Afrique francophone post-coloniale des partis uniques, a accueilli nombre de ces réprouvés. Mais, lui-même grande figure du régime, M. Fologo n’en professe pas moins de "l’admiration" pour celui dont l’assassinat "a choqué fortement toute l’Afrique de l’Ouest et même l’Afrique en général".

Sankara "a toujours été pour le panafricanisme et surtout la souveraineté, l’indépendance. Il faut être courageux, mais la politique est ce qu’elle est. Il est évident que pour des petits pays comme les nôtres, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, la volonté de souveraineté s’arrête là où s’arrêtent les moyens de se développer tout seul. C’est difficile et tous ceux qui ont essayé d’aller sur ce terrain là à un moment donné ont des moments difficiles".

AFP