Transports interconnectés, libre circulation des biens et des personnes, institutions financières africaines autonomes, parité homme/femme, etc.
L’Agenda 2063 résume les ambitions de tout un continent.

L’image a fait le tour du monde et la vidéo a été partagée des milliers de fois sur les réseaux sociaux. Le 17 juillet dernier, lors du 27e sommet de l’Union africaine (UA) qui s’est tenu à Kigali, la présidente de la Commission de l’union africaine, Nkosazana Dlamini-Zuma, dans une robe flottante, tient dans ses mains une pochette. Elle est rejointe sur le présidium par les présidents tchadiens, Idriss Déby et rwandais, Paul Kagamé. L’instant se veut solennel. De la pochette, elle sort un document qu’elle remet au président Déby. Tout heureux comme un gamin qui reçoit un cadeau inespéré, celui qui assure encore pour six mois la présidence tournante de l’UA, s’en saisit, l’embrasse des deux mains et le brandit face à l’auditoire. Il feuillette ensuite le document, tombe sur la page où figure sa photo, et le brandit à nouveau, large sourire aux lèvres. S’en suit une chaude et longue poignée avec la présidente de la Commission, sous les applaudissements de l’assistance.

Plus réservé, le président rwandais Paul Kagamé se contentera d’une normale poignée de main, après réception du même document. Les deux présidents viennent de recevoir les premiers passeports panafricains, qu’ils présentent côte à côte. L’introduction du passeport vise, à terme, à permettre la libre circulation de tous les citoyens africains dans tous les pays africains d’ici 2018 sans l’obligation d’avoir un visa.
La remise symbolique du passeport africain aux présidents et aux ministres des Affaires étrangères il y a quelques jours s’inscrit en réalité dans la mise en œuvre de l’agenda 2063 de l’UA, adopté lors de la 24ème session ordinaire de la conférence de l’Union qui s’est tenue en janvier 2015 à Addis-Abeba, en Ethiopie. Ce texte constitue la véritable feuille de route de l’Afrique « pour l’échelonnement de nos plans sectoriels et normatifs, nationaux, régionaux et continentaux en un tout cohérent ».
Tirant les leçons du passé et des luttes multiformes menées par les pères du panafricanisme, des progrès politiques et économiques réalisés, et tenant compte des aspirations des peuples africains, les chefs d’Etat ont conçu l’Agenda2063 dont l’objectif est de « transformer et exploiter les avantages comparatifs du continent tels que ses habitants, son histoire et ses cultures ».
L’Agenda2063 expose la vision qu’ont les leaders africains de leur continent, et contient des engagements pris collectivement visant à faire de l’Afrique une terre débarrassée des guerres et des famines. Bref, une terre où il fait bon vivre.
Il fait le dire, plus que des ambitions, l’Agenda2063 dessine les contours du nouveau rêve panafricain. Le continent noir sera doté, disent les chefs d’Etat, « d’infrastructures de classe internationale », facilitant « l’expansion rapide du commerce intra-africain qui passera de moins de 12% en 2013 à près de 50% en 2045 », pendant que « la part de l’Afrique dans le commerce mondial passera de 2% à 12%. Ce qui, à son tour, stimulera la croissance des entreprises panafricaines de portée mondiale dans tous les secteurs ».
A l’horizon 2063, l’Afrique « sera exempte de conflits armés, de terrorisme, d’extrémisme, d’intolérance et de la violence fondée sur le sexe, qui constituent une grave menace à la sécurité humaine, à la paix et au développement. Le continent sera exempt de drogue, de traite d’êtres humains, et de crime organisé ainsi que d’autres formes de réseaux criminels tels que le commerce des armes et la piraterie auront pris fin. L’Afrique mettra un terme au commerce illicite et à la prolifération des petites armes et des armes légères ».
Quant à la femme africaine, elle « sera pleinement habilitée dans tous les domaines, et disposera de l’égalité des droits sociaux, politiques et économiques, y compris du droit de propriété et d’héritage, de signer un contrat, d’enregistrer et de gérer une entreprise. Les femmes rurales auront accès aux moyens de production, y compris à la terre, au crédit, aux intrants et aux services financiers ». Pour être plus précis, l’Agenda promet « la parité pleine et entière entre les hommes et les femmes, ces dernières occupant au moins 50% des mandats publics électifs à tous les niveaux et la moitié des postes de direction dans les secteurs public et privé ».
L’Agenda 2063 prévoit également une modernisation de l’agriculture afin « d’augmenter la production » tout en réduisant les importations alimentaires, « la connexion des capitales africaines et les centres commerciaux grâce l’Initiative africaine intégrée de train à grande vitesse, les corridors de transport PIDA, l’amélioration de l’efficacité et des connexions du secteur de l’aviation africaine et mise en œuvre de la Déclaration de Yamoussoukro », sur la libéralisation du ciel africain.
Au plan financier, les leaders africains tablent sur la mise en place d’institutions financières continentales, notamment la Banque africaine d’investissement et la Bourse d’échange panafricaine d’ici la fin de l’année 2016, le Fonds monétaire africain en 2018, et la Banque centrale africaine autour de 2028-2034.
Ils s’engagent également « à renforcer les marchés de capitaux et les institutions financières du continent, et renverser les flux illicites de capitaux du continent afin, d’ici 2025, en vue de réduire la dépendance de 50 pour cent vis-à-vis de l’Aide, éliminer toutes les formes de flux illicites et doubler la contribution des marchés africains de capitaux dans le financement du développement ».
Considérée comme la sixième région du continent, la diaspora sera associée dans la mobilisation des ressources humaines et financières en vue de financer l’Agenda.
Reste que ce document, qui se veut ambitieux, demeure pour l’instant méconnu des peuples africains et même des élites. On le sait, les promesses n’engagent que ceux qui les croient. Il appartient aux leaders du continent de donner tort aux nombreux sceptiques qui ont déjà inscrit l’Agenda2063 sur le registre de l’incantation.

Joachim Vokouma
Kaceto.net