Mis en cause dans l’assassinat du journaliste Norbert Zongo, François Compaoré a été interpellé hier à l’aéroport Charles de Gaulle et devrait être présenté au procureur dans les heures qui viennent. Il pourrait être extradé vers le Burkina

Hier matin, François Compaoré a été interpellé par la police française à sa descente d’avion à l’aéroport de Paris-Roissy Charles de Gaulle, en provenance d’Abidjan. Il lui a été notifié un mandat d’arrêt émis contre lui par le juge en charge de l’affaire Norbert Zongo, du nom du directeur de publication de l’hebdomadaire l’Indépendant, assassiné avec trois compagnons en décembre 1998 sur la route de Sapouy. Il a été maintenu dans le centre de détention de l’aéroport en attendant que le juge statue sur son sort, probablement lundi ou mardi. Après audition, soit il le remet en liberté, soit il décide de l’inculper et le maintenir en détention.
La nouvelle de son interpellation a été accueillie avec joie par tous ceux qui attendent depuis 1998 que justice soit rendue au journaliste assassiné et ses compagnons, d’autant que le nom de François Compaoré est régulièrement cité dans cette affaire. L’assassinat de Norbert Zongo est intervenue alors qu’il enquêtait sur la mort de David Ouédraogo, le chauffeur de François Compaoré, accusé de vol de numéraire, puis arrêté et torturé à mort dans l’enceinte du Conseil de l’Entente. Une commission d’enquête internationale avait indexé six éléments de la garde présidentielle comme étant de sérieux suspects, dont l’adjudant Marcel Kafando. Mais contre toute attente, le 13 juillet 2006, le juge d’instruction, Wesceslas Ilboudo avait conclu à un non-lieu et refermé le dossier, en attendant de nouveaux éléments pour le rouvrir. Il a fallu attendre l’insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014 et l’avènement de la Transition pour que l’enquête soit relancée. Le 23 décembre 2014, la ministre de la Justice, Joséphine Ouédraogo, avait annoncé en conseil des ministres que le Procureur général avait été saisi pour la réouverture du dossier Norbert Zongo. « Le Balai Citoyen se réjouit de cette interpellation qui fait suite à l’émission du mandat d’arrêt international contre François Compaoré, inculpé dans l’assassinat du journaliste Norbert Zongo et de ses trois compagnons le 13 décembre 1998. Cette nouvelle est une lueur d’espoir pour les familles et le peuple burkinabè qui attendent depuis 19 ans que justice soit rendue », a réagi le Balai citoyen. Il « exige son extradition dans les plus brefs délais et sa comparution devant le juge d’instruction en charge du dossier ».
L’avocat de la famille de Norbert Zongo s’est dit "heureux" et "soulagé" de l’arrestation de François Compaoré à Paris dimanche. "Je suis très heureux, très soulagé de le savoir aux arrêts", a déclaré Me Benewendé Sankara.

L’extradition, faut-il le rappeler « est la procédure par laquelle un Etat requérant demande à un Etat requis de lui livrer une personne délinquante se trouvant sur son territoire national afin de la juger ou de lui faire exécuter sa peine ».
Si la justice française devait accéder à cette requête, à quelles conditions le frère cadet de l’ancien président Blaise Compaoré pourrait être extradé ?
Premièrement, la personne arrêtée ne doit pas être de nationalité française : la France n’extrade pas ses nationaux. François Compaoré, qui séjourne régulièrement en France où réside sa famille, comme il l’a révélé récemment dans une interview parue chez nos confrères de Jeune Afrique, a-t-il acquis la nationalité française ? Interrogées, plusieurs personnes proches de lui se disent incapables de répondre à cette question. Si c’était le cas, ceux qui espèrent recevoir un jour le « colis » à Ouaga devraient vite déchanter, et se résoudre à suivre son éventuel procès de loin, la France étant dans l’obligation de le juger, sauf à entériner l’impunité.

Deuxièmement, l’infraction pour laquelle François Compaoré est poursuivi doit relever du droit commun et n’être pas de nature politique. En l’espèce, si le dossier a d’évidence des implications politiques, il n’est nullement politique.
Troisièmement, il faut que la peine de mort ne soit pas appliquée et exécutée dans l’Etat requérant, où que ce dernier « donne à la France des assurances suffisantes que cette peine ne sera pas exécutée ».
La peine de mort existe encore dans notre corpus juridique, mais depuis 1978, elle n’a plus jamais été exécutée. Mieux, le sujet a fait l’objet de débats lors de l’élaboration de l’avant-projet de constitution, et au final, la peine de mort a bel et bien été supprimée dans le document final remis au président du Faso et qui doit être soumis au référendum.
Enfin, la torture ne doit être appliquée dans l’Etat requérant, un traitement prohibé dans tous les pays ayant ratifié la Convention de l’ONU contre la torture et autres peines ou traitements cruels ou dégradants, adoptée en décembre 1984 et entrée en vigueur fin juin 1987.
Ratifiée par le Burkina, la Convention définit la torture comme étant « tout acte par lequel une douleur ou des souffrances aiguës, physiques ou mentales, sont intentionnellement infligées à une personne aux fins notamment d’obtenir d’elle ou d’une tierce personne des renseignements ou des aveux, de la punir d’un acte qu’elle ou une tierce personne a commis ou est soupçonnée d’avoir commis, de l’intimider ou de faire pression sur elle ou d’intimider ou de faire pression sur une tierce personne, ou pour tout autre motif fondé sur une forme de discrimination quelle qu’elle soit, lorsqu’une telle douleur ou de telles souffrances sont infligées par un agent de la fonction publique ou toute autre personne agissant à titre officiel ou à son instigation ou avec son consentement exprès ou tacite ». Mieux encore, le 27 mai 2014, le parlement de la Transition a adopté une loi portant définition et répression de la torture et pratiques assimilées, dotant ainsi le Burkina d’un mécanisme national de prévention contre le fléau que représente la torture.
En un mot comme en mille, la requête du juge d’instruction burkinabè peut bien aboutir. Mais à la différence du Burkina où depuis la Transition, le lien entre l’exécutif et le judiciaire est définitivement coupé, en France, le ministère de la Justice exerce encore une influence dans le traitement des dossiers, surtout lorsqu’ils sont sensibles.
C’est sans doute une simple coïncidence, mais à quelques semaines de son voyage au Burkina, la nouvelle de l’interpellation de François Compaoré devrait épargner au président français, Emmanuel Macron un accueil « très chaleureux » que se promettaient de lui réserver des activistes de la société civile.

Joachim Vokouma
Kaceto.net