Personnel démotivé, manques d’infrastructures et de matériels didactiques, effectifs pléthoriques, métier déconsidéré, etc., le système éducatif burkinabè a assurément mal à sa peau

Trois semaines après la rentrée scolaire, un vaste mouvement de protestation, suivi sur l’ensemble du territoire, paralyse le fonctionnent normal des cours et autres activités pédagogiques. Le point culminant de ce mouvement de protestation a été atteint lors de la grève de 96 heures observé du 27 au 30 novembre 2017 par 15 syndicats réunis au sein de la Coordination nationale des syndicats de l’éducation.
Dans une plateforme minimale transmise au gouvernement, ils dressent un tableau peu reluisant du système éducatif burkinabè, confirmé par le rapport de la commission d’enquête parlementaire rendu public le 24 novembre dernier.
Manque d’infrastructures à tous les niveaux de l’enseignement, du préscolaire au supérieur avec la persistance des classes sous paillotes ; non prise en charge des handicaps lourds, totalement abandonnés au secteur privé ; dysfonctionnement des cantines scolaires qui ne fonctionnent que six mois sur neuf ; échec de l’éducation non formelle alors que 51% des enfants burkinabè sont hors du système classique ; bâtiments vétustes, effectifs pléthoriques, laboratoires sans équipements quand il y en a ; pareil pour les bibliothèques qui ne sont que l’ombre d’elles-mêmes, etc.
Sur le personnel enseignant, la plateforme pointe du doigt, le manque de formation initiale et continue des enseignants, le niveau élevé de démotivation du personnel de l’éducation nationale et la gestion peu efficace des dossiers de carrières, etc.
Conséquence de cet état calamiteux des lieux, des taux élevés d’échec au brevet et au baccalauréat, respectivement de 71,15% et 61,87%.

Pour enrayer la dégradation continue du niveau de l’enseignement et des taux élevés d’échec aux examens, la plateforme appelle le gouvernement entre autres, à allouer 30% du budget national à l’éducation nationale contre 17% actuellement-la commission d’enquête parlementaire en recommande 35% ; l’octroi d’un trousseau pédagogique à tous les enseignants à chaque début de rentrée, la prise en charge effective des maladies professionnelles et le renforcement des capacités du personnel de l’éducation à travers un plan de formation.
Le document est entre les mains du gouvernement, précisément du premier ministre, la confiance ayant été quelque peu entamée entre les syndicats et le ministère de tutelle. Le 14 novembre dernier, une première rencontre a eu lieu entre les deux parties à l’issue de laquelle, un comité a été mis en place pour faire des propositions en réponse aux revendications des travailleurs.
La balle est donc dans le camp du gouvernement sur qui la pression ne faiblit pas, d’autant que les élèves soutiennent les mouvements de protestation de leurs enseignants. Après les 96 heures de grève, la grogne se poursuit par des sit-in tous les jeudis de 7h à 10h jusqu’à nouvel ordre ; la suspension des devoirs au post primaire et au secondaire ; la suspension des compositions au primaire, la non transmission du courrier et des statistiques etc.

Les doléances formulées dans la plateforme ne datent pas d’aujourd’hui, et si le mouvement semble bénéficier du soutien de l’opinion, c’est le signe que le malaise qui frappe le système éducatif est bien profond. Il suffit de faire un tour dans les établissements, rencontrer les enseignants et les élèves pour comprendre qu’ils sont au bout du rouleau.
Jeudi 7 décembre, aux environs de 8 heures. Au lycée Bogodogo de Ouagadougou, sur l’avenue Thomas Sankara, les enseignants discutent dans la cour par petits groupes en attendant de se retrouver dans une salle pour débattre du syndicalisme et esprit de sacrifice, le thème du jour. « Nous donnons un thème à chaque sit-in », explique Noël Rouamba, responsable F-Synther du lycée.
« Les sit-in continuent jusqu’aux vacances de noël et pourraient reprendre à la rentrée s’il n’y a pas de réponses fortes du gouvernement à la plateforme », poursuit ce professeur de Français, qui dénonce la marchandisation de l’éducation, sachant que, d’après lui, « dans certains établissements privés, la fin du premier trimestre est intervenue en novembre, ce qui n’est pas possible sauf à vouloir présenter des statistiques farfelues ».

Les points qui tiennent à cœur les enseignants portent sur la revalorisation de la fonction que beaucoup choisissent par défaut, et la motivation. Car, il faut bien se rendre à l’évidence, c’est avec les moyens du bord que beaucoup remplissent leur mission, celle d’éduquer les enfants de la république et former les cadres de demain. Dans ce lycée qui n’est pas le moins bien loti du Burkina, où de nombreux cadres ont été formés, à commencer par l’ancien président Blaise Compaoré, les enseignants consentent des sacrifices pour accomplir leur devoir. « A la rentrée, nous ne recevons que trois stylos comme dotation pour toute l’année, et sommes obligés d’acheter les documents pédagogiques avec notre propre argent, qui n’est pas remboursé », témoigne, un professeur de physique chimie. « Pourquoi, ne fait-on pas d’enquête de moralité pour recruter un enseignant alors qu’on le fait pour d’autres corps de métier, si ce n’est qu’on tient notre métier en piètre estime ? », interroge-t-il, indigné.
Plus de 50 ans après la création du Bogodogo, cet établissement d’enseignement public est sans laboratoire digne de ce nom. « Même la réfection du réfectoire a été financée par les parents d’élèves il y a deux ans via le comité de gestion », explique Noël Rouamba. Deux salles servent de laboratoire pour les expérimentations en PC et SVT. A l’intérieur, sont entassés sur des étagères des tubes, éprouvettes et autres outils recouverts d’une épaisse couche de poussière, complètement hors d’usage. Pis, le lycée n’a pas de laborantin depuis une vingtaine d’années. « Ce sont les profs qui prennent sur leur temps libre pour préparer seuls les outils quand ils doivent faire une expérimentation avec les élèves, avec les risques d’accident que cela comporte parce que ce n’est pas leur métier », explique le prof de PC. « Voilà ce que nous vivons depuis des années », poursuit-il, la colère contenue.

En 2014, un budget avait bien été voté pour rénover et équiper les laboratoires des lycées Bogodogo, Zinda et Nelson Mandela. Mais l’argent s’est volatilisé après l’insurrection populaire et depuis lors, on en parle plus. Où est parti cet argent ? Mystère et boule de gomme !
Au lycée Zinda Kaboré, le plus grand établissement du Burkina, la situation n’est guère meilleure. A l’entrée, un véhicule cabossé, sur le lequel est écrit « le Noble Zinda », garé à proximité du monument dédié à celui qui a donné son nom à l’établissement, accueille le visiteur.
Ici aussi, les enseignants sont en sit-in. Assis devant leur salle, un espace insuffisant pour accueillir les 300 enseignants du lycée, les professeurs devisent sur tout et rien. L’heure du sit-in est terminée et ils auraient dû reprendre les cours, mais les élèves sont dans la rue, en grève pour réclamer les évaluations suspendues depuis des semaines. Professeur d’histoire-géographie et secrétaire général de F-Synther du lycée, Zacharia Nadia, est formel : « Le mouvement se poursuit jusqu’à nouvel ordre et il faut que le gouvernement nous écoute ». Comme son collègue de Bogodogo, il se désole que « l’enseignement soit le dernier concours qu’on passe après tout, et que les salaires soient minables pour des agents qui sont pourtant de la catégorie A de la fonction publique ». « Il faut augmenter les indemnités de logement car l’enseignant utilise son domicile pour préparer les cours et corriger les copies alors que les autres fonctionnaires ont des bureaux », intervient un collègue.

Tous regrettent le manque de formation continue alors qu’ils doivent « se mettre en permanence à niveau tout comme on réactualise le dictionnaire tous les ans ». D’après Zacharia Nadia, seulement 41% des enseignants sont formés dans une école et sans formation continue, « il ne faut pas s’étonner de voir des étudiants offrir un spectacle piteux que ce qu’on a vu lors de la rencontre avec le président Macron à l’université le 28 novembre. C’est le résultat de la politique de massification qui conduit à faire passer en classe supérieure des élèves qui n’ont que 2 ou 3/20 de moyenne, juste pour avoir de bons chiffres à présenter aux partenaires internationaux et justifier des financements reçus ».

Profs de français, de maths, d’histoire-géo, tous déplorent le manque de matériels didactiques pour dispenser correctement les cours. En histoire-géo, les manuels datent de 1995, voire de 1991 dans le premier cycle et dans le second cycle, il n’y en a même pas !
En philosophie, les enseignants sont obligés d’acheter des documents ivoiriens, des polycopiés reliés au prix de 3000 F, à leurs frais. Situation identique en anglais, où il n’y pas de document officiel et où le prof a recours à l’Internet pour préparer ses cours et ne pas être ridicule devant les élèves. « Je dépense 10 000 F CFA par mois pour la connexion internet, et grâce à un ami qui est à l’étranger, j’ai obtenu un document didactique que mes collègues sollicitent souvent », témoigne un professeur, la trentaine bien sonnée. Plongé depuis quelques dix bonnes minutes dans la rédaction d’un document, un professeur de maths intervient : « Dans ma matière, c’est grave. Demander à une secrétaire de saisir un document, c’est l’envoyer en enfer. Personne n’est formé ici pour ça ! ».

Maigre consolation : dans un coin qui a besoin d’une bonne toilette, les profs de maths de PC et d’histoire-géo disposent d’un maigre lot d’outils composé de compas, d’équerres, compas et règles, mais en quantité suffisante et dans un piteux état pour certains.

Que contient la bibliothèque du « Noble Zinda ? ». Pas grand-chose, à part des manuels scolaires qui datent pour certains de plus de 20 ans. De vieux livres pour élèves sont rangés dans des armoires, mais on n’y trouve aucun manuel pour les enseignants. « En fait, il y a des enseignants qui ne rapportent pas les livres qu’on leur prêtent », explique le bibliothécaire, Jean Zongo. Selon lui, « le stock a beaucoup diminué car on est venu prendre des livres pour les autres établissements après que la Centrale ait été pillée lors de l’insurrection populaire. »
Le laboratoire de SVT du Noble Zinda présente le même visage que celui de Bogodogo : matériels rongés par la rouille et recouverts de poussière, outils dégradés et en quantité insuffisante.

En dépit de tout, les enseignants se veulent rassurants : « Si on met les moyens à notre disposition, nous pouvons rattraper le temps perdu et éviter une année blanche qui compliquerait encore la situation déjà inextricable », confie un enseignant.

Joachim Vokouma
Kaceto.net