Dans une école primaire de Pikine, en banlieue de Dakar, les classes bondées et la cour sablonneuse traduisent le défi de l’enseignement au Sénégal, pays hôte d’une conférence internationale sur le financement de l’éducation.

Dakar accueille à partir de jeudi la troisième conférence de reconstitution des fonds du Partenariat mondial pour l’éducation (PME), à laquelle se joindront vendredi plusieurs chefs d’Etat, dont le président français Emmanuel Macron, parrain de cette réunion avec son homologue sénégalais Macky Sall.

Des dirigeants d’agences de l’ONU, ainsi que la chanteuse Rihanna, engagée dans la promotion de l’éducation, sont également annoncés à cette conférence, destinée à réduire le nombre d’enfants non scolarisés, estimé à 264 millions.

Mais c’est une autre ambassadrice de l’éducation des filles, la jeune Nigériane Wadi Ben-Hirki, militante de ONE - ONG cofondée par le chanteur Bono - qui a encouragé cette semaine une dizaine d’élèves de dernière année de primaire à réaliser leurs rêves par l’éducation.

"La vie ne vous donne pas ce que vous méritez, mais ce que vous exigez", leur a dit la jeune femme, originaire du nord-est du Nigeria, en proie à la rébellion du groupe islamiste Boko Haram, un nom faisant explicitement référence à son rejet de "l’éducation occidentale".

"Personne n’offrira la possibilité à un recalé de l’école de devenir président, il faut un certain niveau d’éducation", a-t-elle ajouté, après les avoir entendus exprimer leurs ambitions - doctoresse, militaire, ingénieur ou présidente.

La conférence vise à récolter 3,1 milliards de dollars sur la période 2018-2020, pour permettre au Partenariat de fournir deux milliards de dollars par an aux pays en développement bénéficiaires, actuellement au nombre de 65 mais qui pourraient alors passer à 89.

La présidente du PME, l’ex-Premier ministre australienne Julia Gillard, a appelé à enrayer le déclin, sur six années consécutives, de la part de l’éducation dans l’aide publique au développement.

 Ménages à contribution -

Lors de la visite dans l’école de Pikine, l’équipe éducative a souligné une particularité de l’établissement, son "Association des mamans d’enfants", qui pallie certaines insuffisances du système - nettoyage, soutien à la cantine, cours particuliers - grâce aux recettes de la vente de céréales.

"Ici au Sénégal, si un enfant réussit, c’est l’enfant de tout le monde. Mais s’il échoue, c’est sa mère qui est indexée" (montrée du doigt), a déploré la directrice, Sokhna Astou Seck Diouf Hane, pour expliquer le lancement de cette initiative il y a une quinzaine d’années.

Malgré les investissements importants dans l’éducation consentis par beaucoup de pays concernés, souvent les moins fortunés - environ 24% du budget national au Sénégal, mais seulement 7% au Nigeria - face à l’immensité des besoins, les familles doivent apporter une lourde participation financière.

Ainsi, en Guinée-Bissau, pour remédier aux grèves incessantes des enseignants réclamant leurs arriérés de salaires, les parents d’élèves de nombreux établissements se cotisent pour payer les professeurs.

"Les gouvernements africains et surtout les ménages font le maximum de ce qu’ils peuvent pour leur éducation", a estimé Marie-Pierre Nicollet, directrice du département des transitions démographiques et sociales à l’Agence française de développement (AFD).

Selon un document de l’AFD, dans 15 pays d’Afrique subsaharienne, les dépenses en éducation des ménages représentent 46% de celles des Etats, contre par exemple 9% en France.

En matière de soutien à l’éducation, "la France ne fait pas tellement mieux" que les autres pays donateurs, avec environ 2,5% de son aide publique, a reconnu Mme Nicollet.

Pour Pierre Jothy, militant de ONE, "la France coparraine, donc elle doit montrer l’exemple" à cette conférence. "La demande qu’on fait à Emmanuel Macron, c’est qu’il y ait un engagement fort, si possible de 300 millions de dollars", a-t-il indiqué.

Mais Human Rights Watch exhorte aussi les Etats bénéficiaires à assurer la gratuité effective de l’enseignement, à commencer par le pays hôte.

Selon l’ONG, les établissements publics sénégalais "prélèvent pour chaque année scolaire des frais d’inscription et répercutent des coûts indirects allant jusqu’à 50.000 francs CFA (93 dollars) par élève, ce qui contraint de nombreuses familles à retirer leurs enfants de l’école".

"Dans mon quartier, il y a une fille de 16 ans qui a abandonné l’école" en fin de primaire, "ses parents disent que c’est trop cher", a témoigné une élève de Pikine.

Au poids de la pauvreté s’ajoute souvent celui des guerres et des catastrophes, remarque l’Unicef : "Parmi les jeunes de 15 à 24 ans vivant dans les pays touchés par des conflits ou des catastrophes naturelles, près de trois enfants sur 10 - soit 59 millions - sont analphabètes, ce qui est trois fois supérieur au taux mondial".

AFP