Ancien haut -commissaire de la province du Kouritenga, ancien conseiller culturel à l’ambassade du Burkina à Paris, Germaine Pitroipa était le 15 avril dernier dans le quartier Bissiguin, dans l’arrondissement 8 de Ouaga, en tant que marraine de la journée internationale de la femme, célébrée en différé par des associations de femmes proches de l’Union pour la renaissance/parti sankariste (Unir/Ps).
Prévue pour 15 heures, c’est finalement à 16h30 mn que la cérémonie a commencé dans un espace pour le moins exigu pour accueillir la foule. Les dirigeants du parti dans l’arrondissement et la région Centre étaient bien entendu présents.
L’ambiance rappelle les belles années de la révolution démocratique et populaire quand à chaque début de manifestation, on prenait le temps de désigner les ennemis à combattre : l’impérialisme, le néocolonialisme, les directeurs voleurs, les maris féodaux, les fonctionnaires paresseux et corrompus, etc.
Mais contexte démocratique oblige, le contenu des discours n’a plus vraiment rien à voir avec ce qui se disait sous la révolution. La célébration en différé de la Journée internationale de la femme est l’occasion pour les dirigeants de l’Unir/Ps de faire mieux connaitre la philosophie du parti, expliquer davantage son alliance avec le MPP et dénoncer ceux qui créent la zizanie dans les rangs des militants. Occasion aussi d’écouter les femmes venues exprimer leurs doléances. "Nous savons faire le tissage, fabriquer le savon, commercialiser les mangues séchées, mais les moyens nous manquent", explique leur représentante.
Dans leurs réponses, Sam Souleyane, commissaire régional du Centre, Alfred Simporé, commissaire politique national et co-parrain de la cérémonie et Hama Binta Ouédraogo, secrétaire nationale chargée des Questions féminines disent avoir bien noté leurs doléance et promettent de les faire parvenir à qui de droit. Ils demandent aux femmes de rester soudées derrière le parti et lui permettre de remporter des victoires lors des prochaines élections, "ce qui nous permettra de mieux vous accompagner dans la réalisation de vos projets". Ils mettent aussi en garde les femmes contre "ceux qui se proclament UNIR/Ps le jour et vont ailleurs la nuit tombée".
Exilée politique après la mort du président Thomas Sankara, Germaine Pitroipa remercie les femmes et les jeunes qui lui ont permis, "en chassant Blaise" de rentrer chez elle. Puis, un brin ironique, commente le sort de celui qui a dirigé le Burkina durant 27 ans : "Qu’il soit obligé de se réfugier chez ses beaux-parents, c’est plus qu’une honte". Sur l’appartenance de l’Unir/Ps à la majorité présidentielle, la commissaire politique du parti de l’œuf se veut pédagogue : " D’abord, nous avons 5 députés et ne pouvons pas former un groupe parlementaire ; ensuite, même si nous ne sommes pas d’accord sur tout avec eux, les dirigeants du MPP ont aussi travaillé à faire tomber Blaise et on ne pouvait pas faire autrement. Et puis, entre nous, ce n’est pas la guerre. Nous voulons juste travailler à préserver la paix sociale, apporter de l’aide aux jeunes et aux femmes pour qu’ils s’épanouissent".
Dans l’entretien qu’elle nous accordé par la suite, elle revient entre autres sur la vie interne de l’Unir/Ps et commente le discours sur l’état de la nation du premier ministre.

Dans votre adresse aux femmes, vous avez justifié votre alliance avec le Mouvement du peuple pour le progrès (MPP). Etait-ce vraiment nécessaire ?

Il se murmure que des gens se posent la question de savoir pourquoi les Sankaristes sont allés avec le MPP, disant que la plupart des dirigeants de ce parti seraient les assassins de Thomas Sankara. Chacun peut dire ce qu’il veut, mais nous, nous attendons la justice et lui faisons confiance pour nous situer sur les responsabilités des uns et des autres dans l’assassinat de Thomas Sankara. J’ai déjà dit sur une chaine de télé que nous sommes tous collectivement responsables de la mort de Thomas, mais à des degrés différents, parce qu’il y a quand même des gens qui ont décidé d’éliminer tout simplement Thomas. Si demain Roch Kaboré doit répondre de cette affaire, il répondra ; si c’est Salif Diallo, paix à son âme, qui doit répondre, la justice le dira ; si Simon Compaoré a une responsabilité dans ce dossier, lui aussi répondra. Si Germaine Pitroipa est coupable de quoi que ce soit dans cette affaire, eh bien, je paierai à la hauteur de mon forfait.
Mais nous voulons savoir qui a donné l’ordre d’aller arrêter, parait t-il, Thomas Sankara, sachant que c’est quelqu’un qu’on n’arrête pas ? En 72 heures, il serait dehors, non pas parce qu’il va se transformer comme un Gourmantché, mais parce que le peuple se serait soulevé et c’est la raison pour laquelle, ils ont décidé de le tuer

Germaine Pitroipa a t-elle toujours l’âme révolutionnaire ?

Tout le monde a la révolution qui est un besoin dans toutes les luttes. Nous avons fait la révolution le 4 août, mais elle est encore possible dans ce pays parce que les injustices sont flagrantes. Partout où il y a oppression, il y a résistance et lutte. La révolution, ce n’est pas quelqu’un qui la proclame comme ça, mais elle vient quand les conditions objectives sont remplies. Le 4 août, nous n’avons pas dit : venez, on va faire la révolution ; non, elle s’est imposée comme l’aboutissement d’un processus qui a commencé depuis des années. Les jeunes d’aujourd’hui ont enclenché une révolution les 30 et 31 octobre 2014, mais ils n’ont pas pu aller au bout de leur projet, et l’impression générale aujourd’hui, est que rien n’a changé. Si c’était une révolution, ils auraient vu le changement depuis les élections de novembre 2015.

Il y a actuellement des remous dans votre parti qui ont conduit à la suspension de 4 militants, lesquels finalement démissionné. L’œuf est-il menacé ?

La majorité des militants de l’Unir/Ps est sereine. Seulement, il y a toujours des ambitions, des gens qui pensent qu’ils ne sont pas à la place qu’il faut et qui font de l’agitation.

Alexandre Sankara par exemple ?

Oui, mais lui est à la bonne place ; il est dans le train en première classe comme l’a dit le président de l’Assemblée nationale, Alassane Sankandé. S’il descend de ce train, il saura qu’il y a une seconde classe et qu’on ne se moque pas de l’Unir/Ps. Que je sache, il a le mandat de l’Unir/Ps qui lui permet d’être à l’Assemblée et je pense qu’il n’a pas intérêt à descendre de ce train-là !

Qu’ont fait les quatre militants pour mériter une suspension ?

Pour ces gens-là, la suspension n’est que la conséquence d’une dérive qui a commencé depuis longtemps. Voilà des camarades qui se disaient sankararistes et qui ont appelé à voter contre les candidats de l’Unir/Ps aux législatives de 2015 et aux municipales de 2016 parce qu’ils considèrent qu’ils devaient être tête de liste. Je pense que dans un parti, chacun peut avoir des ambitions, mais il faut avoir les moyens de ses ambitions. Ce qui se passe à l’Unir/Ps se passe aussi au CDP même s’ils sont dans l’illusion qu’Eddie Komboïgo est venu résoudre toutes leurs contradictions internes ; à l’UPC, nous voyons l’expression type de la manière dont une question qui n’est pas résolue peut donner. Mais la différence avec les autres, c’est qu’à l’Unir/Ps, nous sommes des révolutionnaires, et si Alexandre Sankara veut sortir de l’Unir/Ps, il ne doit pas attendre la fin de son mandat pour le faire ; sinon, je n’appelle pas ça le courage d’un révolutionnaire.

Le premier ministre a prononcé son discours sur l’état de la nation jeudi dernier. Vous qui êtes de la majorité présidentielle, quelle appréciation faites-vous de sa prestation ?

Je vais vous dire : je suis ce que je suis, c’est-à-dire, celle qui n’a pas eu la chance d’être à l’assemblée nationale. J’ai trouvé ce discours trop long et j’ai eu l’impression qu’il n’y a pas eu de synthèse, que le premier ministre n’a fait que lire les différents rapports que les ministres lui ont transmis alors qu’il aurait fallu synthétiser au lieu de lire un texte en français pendant plus de 4 heures, sachant par ailleurs que 70% de la population est analphabète.
Sur le fond, je pense que les chiffres n’intéressent pas le peuple burkinabè. Ce que les gens veulent savoir, c’est ce que nous avons pu faire depuis que nous gouvernons le pays. Nous avons trouvé une situation que nous essayons de rattraper, et ce que les Burkinabè, notamment les jeunes attendent, ce sont des perspectives : qu’est-ce que nous proposons en 2018, 2019 et 2020 ? Les chiffres peuvent réconforter nous les intellectuels, mais le paysan qui a son école en paillotes, son dispensaire où les femmes sont obligées d’accoucher à l’aide d’une lampe de téléphone, ce n’est pas ce discours-là qu’il attendait.

Vous êtes la marraine de la journée internationale de la femme célébrée en différé par les associations de femmes proches de l’Unir/Ps. Mais, ni vous ni les autres femmes n’êtes habillées en Faso dan Fani, le pagne recommandé pour le 8 mars. Pourquoi ?

Nous ne sommes pas habillées en Faso dan Fani parce que nous ne voulons pas célébrer le 8 mars par un djanjoba. Pendant 27 ans, on a pensé que c’est en mettant les femmes sous uniforme qu’on faisait avancer les choses. Non, nous pensons qu’il faut proposer avec les femmes ce qu’elles doivent faire pour se libérer et occuper la place qui est la leur dans le développement de notre pays. D’ailleurs, ce n’est pas seulement à l’occasion du 8 mars que je dois montrer que je suis une femme révoltée et insurgée. Non, les femmes doivent se révolter en permanence et trouver leur place dans la justice.

L’Unir/Ps va t-elle rester dans la majorité jusqu’en 2020 ?

Comme je dis toujours à ceux qui veulent m’écouter, nous sommes dans un concubinage, et jusqu’à présent nous n’avons rien trouvé à y redire dans notre relation avec le MPP. Mais si à un moment donné, nous considérons que les motifs qui nous avaient rassemblées n’existent plus, alors, nous saurons le dire à qui de droit.

Propos recueillis par Joachim Vokouma
Kaceto.net