Difficile de ne pas remarquer le marketing pour le moins agressif auquel se livrent les établissements d’enseignement secondaire et supérieur, via les panneaux publicitaires grand format qui quadrillent la capitale burkinabè.
Ici, on met pas en avant les bons résultats obtenus lors des derniers examens, là, on vante la longue expérience de l’établissement et les liens qu’il entretient avec des universités étrangères, occidentales bien entendu. Tout est bon pour attirer les élèves et décider les parents qui hésitent dans le choix de l’établissement de leurs enfants.
C’est dans ce contexte que l’ordre des architectes du Burkina (OAB) a jeté un pavé dans la marre en publiant le 23 juillet dernier un communiqué mettant en garde les étudiants et parents d’élèves contre des offres d’enseignement en architecture que certains établissements prétendent proposer.
Quels sont les non-dits de ce communiqué et à qui s’adresset-ils ? Kaceto.net a posé ces questions au président de l’OAB, Fabien Ouédraogo, qui était accompagné d’un collègue, Stephane Tapsoba, directeur de Tapsobarchiperspectives.
Un entretien qui se veut de "salubrité publique" à quelques semaines de la rentrée 2018-2019. Nul ne pourra plus dire qu’il n’était pas au courant !

Y a t-il au Burkina un établissmeent qui réunit les conditions humaines et en équipements pour dispenser un enseignement en architecture ?

Non, ça n’existe pas ! Mais il faut toute suite dire que cette situation n’est pas spécifique au Burkina, mais est valable aux pays membres de l’Union économique et monétaire oues-africaine (UEMOA). Lesquels sont réunis autour d’une entité qui s’appelle la Conéference des ordres des architectes, mise en place par l’Uemoa elle-même. Cette entité vise à favoriser la libre circulation des architectes et l’harmonisation de nos textes respectifs, parce qu’il n’est pas compréhensible qu’un architecte malien, sénégalais ou burkinabè ne puisse pas travailler où il veut dans cet espace-là. Et pour cela, il faut que nous ayons les mêmes textes, à charge pour pays de mettre à jour ses statuts et son règlement intérieur pour être en harmonie avec les textes communautaires.
Je suis le président de la Conference de l’ordre des architectes du Burkina, mais aussi le président de la Conférence des ordres de l’UEMOA depuis 2017 pour un mandat de deux ans. Nous avons des sessions annuelles pour faire le point sur l’harmonisation des textes, et lors de notre dernière session en novembre 2017 à Lomé, tous les présidents des ordres étaient présents. Le constat que nous avons fait est le suivant : dans presque tous les pays membres, il y a des écoles qui naissent et qui prétendent assurer une formation en architecture sans forcément avoir les minimas en termes de cadres et d’enseignants. La Conférence des ordres a rédigé un communiqué qui a été publié dans les journaux de tous les pays membres en novembre 2017. C’est dommage que ce communiqué, que j’ai signé en tant que président, soit passé inaperçu au Burkina !

Que dit le communiqué ?

Il ressort de ce communiqué que, conformément à la directive de l’UEMOA, la formation d’architecte doit se faire dans une école reconnue et qui doit délivrer un diplôme reconnu par l’Etat, les ordres nationaux et le CAMES. Malheureusement, les écoles qui existent actuellement ne sont pas reconnues par les ordres, ce qui pose le problème de la validité des diplôme délivrés. Les titulaires de ces diplômes ne seront pas reconnus par les ordres et auront des difficultés en termes d’employabilité. La directive de l’UEMOA est claire : il faut que le diplôme délivré soit reconnu par les trois entités pour être valable. L’Etat et le CAMES ne peuvent pas reconnaître un diplôme sans associer l’ordre des architectes.
Au Mali, il y a une école qui forme, mais n’est pas reconnue par l’ordre des architectes du Mali, et ceux qui en sont sortis ne peuvent pas devenir membres de l’ordre. L’Etat n’entre pas le fond des choses alors que la formation en architecture répond à des normes. C’est ce que nous dénonçons. Notre communiqué s’adresse aux élèves et à leurs parents ; ce que font les écoles ne nous regardent pas. Mais nous savons les enseignements qui y sont délivrés et je le dis, ce n’est pas de l’architecture. Nous avons reçu de certaines écoles, les curicula d’enseignement, les matières qui y sont enseignées et les la qualification des professeurs qui dispensent les cours. Et quand nous avons passé en revue toutes ces informations, la conclusion est que ce qu’on y enseigne n’a rien à voir avec l’architecture et nous avons attiré l’attention des gens sur ces graves manquements.
Soyons sérieux, on ne peut pas inventer une manière d’enseigner l’architecture en 2018 alors qu’elle existe depuis des siècles, depuis les Égyptiens, les Grecs, etc.
Dans certaines écoles qui prétendent dispenser des cours d’architecture, c’est arrivé que trois ans après le début des enseignements, qu’on nous invite pour discuter des matières enseignées. La vérité est que les étudiants qui suivent cette formation ne sont ni des architectes, pas même de bons techniciens, car si on les met devant un cas pratique, ils sont incapables de concevoir. Or, dans une vraie école d’architecture, dès les premiers mois de l’enseignement, on apprend à concevoir et durant toute la formation qui dure au moins cinq ans. Et on devient un bon architecte quand on commence à travailler.

Quelles sont les matières enseignées dans les établissements au Burkina que vous décriez ?

En analysant les curicula qui sont enseignés dans ces écoles-là, on se rend compte qu’en grande partie, c’est du génie civil. Des matières comme l’art plastique où on vous apprend à dessiner les objets, à faire des portraits, l’histoire de l’art, la sociologie, la visualisation de l’espace, etc., n’existent pas dans les écoles, tout simplement parcequ’il n’y a pas de ressources humaines pour dispenser ces enseignements. C’est au vu de tout cela que nous avons publié notre communiqué à l’attention des parents d’élèves pour les prévenir que les établissements où sont inscrits leurs enfants ne sont dans des écoles d’architecture. Il ne suffit pas de dispenser une formation d’ingénieur et à la fin, on ajoute un module de dessin assisté par ordinateur pour prétendre devenir architecte. Au final, que deviendront ces étudiants ? Ni ingénieur, ni architecte, mais ils auront un statut bâtard qui ne va pas leur servir. C’est ce que nous voulons éviter.

Quels sont donc les critères requis pour être admis dans l’ordre des architectes ?

Il faut d’abord avoir fréquenté un établissement reconnu et avoir obtenu son diplôme au bout de cinq ans au moins. L’architecture, c’est comme la médecine : il n’y pas de diplôme intermédiaire. Savoir dessiner des plans ne fait pas de vous un architecte et il faut se méfier de ceux qui font leur publicité aux feux tricolores en se faisant passer pour des architectes. Dans les autres pays de l’UEMOA, nos collègues font le ménage aussi à l’image de ce qui se passe au Mali où l’ordre des architectes a refusé de reconnaître une école.
On peut avoir des connexions politiques au haut niveau qui vous permettent d’obtenir une autorisation d’ouvrir une école d’architecture et mêler argent et politique. Mais au final, les étudiants qui vont sortir de cette école ne seront pas intégrés dans l’ordre pour une raison simple. Quand on souhaite s’inscrire dans l’ordre, il y a d’abord une enquête qui est faite. Nous appelons l’école pour s’assurer que vous y avez effectivement fréquenté et que vous avez effectivement obtenu le diplôme. Ca peut paraître surprenant, mais parfois, on ne trouve pas l’école où le postulant prétend avoir fréquenté et y avoir obtenu le diplôme.
Ce que l’opinion doit savoir, c’est qu’il est très difficile pour un privé d’ouvrir une école d’architecture qui remplit toutes les conditions requises. L’école d’architecture qui est à Lomé, au Togo, est une école inter-Etats qui a été créé en 1976 par 14 pays. C’est vous dire que ce n’est pas si simple car en plus de l’argent, il faut des ressources humaines de haut niveau à payer, c’est à dire des historiens, des sociologues, des psychologues, des philosophes, des spécialistes de la structure, etc. Et ce n’est pas facile à supporter !

Ces dernières années, beaucoup d’immeubles et de maisons se sont effondrés comme des châteaux de sable et l’opinion a pointé du doigt les architectes. Comment réagissez-vous à cette incrimination ?

C’est normal que les architectes soient pontés du doigt par l’opinion puisqu’on se dit que ce sont eux qui ont mal travaillé. Mais en réalité c’est faux ! Très peu de gens font appel à des architectes pour les conseiller dans la construction de leur maison. Il y a 189 architectes inscrits dans l’ordre et pour eux, ce n’est pas toujours facile de trouver à s’occuper convenablement. On ne peut pas compter sur l’Etat pour les absorber et les mairies ne recrutent pas. La situation du marché est très difficile parce que c’est l’Etat qui est le principal pourvoyeur d’emplois, et quand il a des problèmes, les architectes ressent le contre-coup. Avec les remous que nous avons connus depuis 2014, le marché est difficile, à la différence de la Côte d’Ivoire où ce n’est pas l’Etat qui tire l’économie, mais le privé. Nos collègues ivoiriens sont au nombre de 200, mais chez eux, ils n’ont pas forcement besoin de l’Etat pour vivre puisqu’ils sont sollicités dans le privé qui paye bien. Au Burkina, hors mis les privés institutionnels comme les banques, très peu de gens acceptent payer des honoraires pour un architecte. Une bonne partie de l’argent du privé va dans les proches de gens qui ne sont pas architectes et quand il y a des problèmes, on appelle les vrais architectes pour venir colmater les brèches après les avoir indexés.

Quel a été le feed-back du communiqué que vous avez publié ?

En publiant le communiqué, nous souhaitions que les élèves et leurs parents aillent demander des explications aux écoles qui prétendent dispenser des enseignements en architecture. Certains sont venus nous voir pour comprendre le bien fondé de notre position, et quand nous leur avons expliqué les matières qui doivent être absolument dispensées, ils étaient étonnés parce qu’on ne leur en avaient jamais parlé et n’en avaient aucune idée ! Les choses sont claires : nous avons fait notre devoir, libre aux gens de faire ce qu’ils veulent après. Mais il est évident qu’un étudiant qui sort de ces écoles et qui souhaitent poursuivre ses études à l’étranger ne pourra pas le faire. Un simple de test de niveau suffira pour le recaler.

Depuis quand existe cette situation que vous décriez ?

Depuis environ trois à 4 ans ! La précédente équipe du conseil de l’ordre -2015-2017- avait déjà traité du même problème, mais peut-être que leur avertissement n’avait pas eu le même impact dans l’opinion que le nôtre. Des parents disent que malgré tout, ils vont inscrire leurs enfants dans les écoles dont nous parlons. C’est leur liberté et leur choix, d’autant qu’ils sont avertis de ce qui peut arriver à leurs enfants.

Que répondez-vous à ceux qui disent d’une part, que l’architecture est réservée aux élites fortunées et d’autre part, que les les architectes burkinabè manquent d’imagination ?

Sur le premier point, on peut effectivement penser que l’architecture est réservée à une élite, mais pas du point de vue financier, mais intellectuel. Un élève qui a un niveau moyen ne peut pas faire des études en architecture puisqu’il faut avoir au moins 15/20 de moyenne. Il faut ensuite avoir les capacités d’assimiler les cours qui durent 8 heures par jour, trois ou quatre fois dans la semaine. Les cours de Maths et physique sont de haut niveau et les étudiants doivent s’accrocher. A l’entrée des écoles, il y un test qu’il faut réussir avant d’être inscrit. Beaucoup ne passent pas le stade du test. Si c’est ce que vous entendez par élitiste, je le consens.
Quant au manque d’imagination des architectes burkinabè, je récuse cette accusation. C’est faux ! la vérité est que ce sont les clients qui sont fermés et ne laissent pas les architectes créer. Ils ne veulent pas qu’on innove, sont rassurés quand c’est quelque chose qui est déjà et étouffent ainsi notre créativité.

Quand aurons-nous une école d’architecture privée au Burkina ?

L’Etat burkinabè a une école nationale qui est à Lomé, au Togo qui s’appelle l’Ecole africaine des métiers de l’architecture et de l’urbanisme (EAMAU), où il envoie ses étudiants étudiants boursiers. Des gens nous demandent de créer une école privée, mais nous savons ce que cela demande comme moyens matériels et humains. Et comme nous ne réunissons pas les conditions, on s’y refuse. Et puis, ça ne fait pas partie de nos missions, même si à Abidjan, nos collègues en ont créé une. Mais les promoteurs de cet établissement se sont entourés de gens qui ont l’expérience dans le domaine, puisque le président du comité scientifique est l’ancien directeur de l’Ecole africaine des métiers de l’architecture et de l’urbanisme (EAMAU), qui sait ce que ça demande en termes de ressources. J’ajoute qu’à la différence du Burkina, l’ordre des architecte de Côte d’Ivoire disposent de ressources qui sont en partie alimentées par un prélèvement sur les taxes sur les autorisations de construire, ce que nous n’arrivons pas à faire ici.
Nous avons fait des propositions de même nature à la Maison de l’entreprise qui n’est pas fermée à la discussion, mais il nous faut encore du temps avant d’y arriver.

Interview réalisée par Joachim Vokouma
Kaceto.net