Sous l’égide de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), la communauté internationale a commémoré le 1er décembre dernier la Journée mondiale de lutte contre le SIDA et les infections sexuellement transmissibles (IST). Une occasion de faire le bilan d’étape de la lutte contre le fléau qui tue encore des millions de gens dans le monde.

Au Burkina, les efforts conjugués de l’Etat, des ONG, des partenaires internationaux et des associations nationales ont permis de faire considérablement baisser le taux de prévalence du VIH-Sida : de 7,17% en 1997, il est actuellement à 0,8%, avec toutefois des disparités selon les régions et les groupes sociaux. La victoire contre le mal du siècle dans notre pays est donc possible, à condition de ne pas baisser la garde et surtout de concentrer les efforts sur les groupes clés, autrement dit, les Hommes ayant des rapports avec d’autres hommes (HSH), les Professionnelles du sexe (PS) et les Usagers des drogues (UD).
En 2013, une étude de l’ONUSIDA sur la situation épidémiologique et de la réponse à l’épidémie ciblant les populations clés en Afrique de l’Ouest a montré que « les populations clés hautement exposées au risque constituent l’épicentre de l’épidémie à VIH et seraient à l’origine de la majorité des cas de nouvelles infections. Les prévalences du VIH observées parmi ces populations clés sont de 2 à 50 fois plus élevées qu’en population générale adulte dans les pays de la région », conclu le rapport. La prévalence serait en moyenne serait supérieure à 15%, variant de 5,6 à 39 %, chez les PS, 6 à 37% chez les HSH et entre 3,5 et 9% chez les UD.
Le taux de prévalence élevé chez les populations clés ne serait-il pas la conséquence d’une discrimination qui les frappe dans l’accès aux soins de santé ? Autrement dit, les structures sanitaires sont-elle disposées à accueillir convenablement les homosexuels, les travailleuses du sexe et les usagers des drogues et à leur offrir des soins appropriés ? Quelles sont les difficultés que rencontrent les populations clés dans leur prise en charge sanitaire ?
Pour tenter de répondre à ces questions, Kaceto.net a mené une enquête à Bobo-Dioulasso, dans la deuxième ville du Burkina où plus qu’ailleurs, le regard social sur les homosexuels et les travailleuses du sexe influence leur accès aux soins.

Le 8 novembre dernier, règne dans la cour du Trypano, quartier Farakan de Bobo, une agitation inhabituelle. Travailleuses du sexe, gérants de maisons closes, hommes ayant des rapports avec d’autres hommes sont là, à REVS PLUS.
Régulièrement, cette ONG engagée dans la lutte contre le VIH-SIDA et les maladies sexuellement transmissibles les a conviés à une séance de travail sur les actions à mener pour mieux les accompagner dans leur prise en charge sanitaire.
On profite de l’occasion pour discuter avec ces populations clés sur les difficultés qu’elles rencontrent dans les centres de santé et autres structures qui offrent des soins.
Omar, Roger, Nita, Brenda, Gabriel, Alim (voir son itw plus bas) -on les appellera ainsi pour préserver leur anonymat-, se prêtent volontiers à nos questions et livrent en toute franchise leurs témoignages sur leur quotidien de « gens entièrement à
part » comme on les désigne.
Tous sont unanimes : se rendre dans un centre de santé quand on est un homosexuel est un traumatisme. L’accueil est non seulement de mauvaise qualité, mais surtout, les médecins ne sont pas toujours disposés à soigner « des gens qui ont des pratiques sataniques ». Roger se rappelle encore ce jour où les infirmières et les médecins passaient à tour de rôle pour le regarder comme une bête foire, et des paroles blessantes du docteur quand son tour est arrivé d’être consulté. « Vous autres, vous achetez vos maladies et moi, je refuse de traiter une merde comme
toi », lui aurait lancé le docteur.
Effondré, Roger est rentré chez lui, avec son mal, ne sachant pas où aller. Les insultes de ce genre, tous les homosexuels rencontrés en ont essuyé plus d’une fois alors qu’ils appelaient au secours. « A cause de tout ça, nous avons des camarades qui sont morts parce qu’ils ont trop attendu avant d’aller à l’hôpital et c’était trop
tard », raconte Omar, trémolos dans la voix.
Rejetés par la société, c’est en cachette que les homos vivent leur sexualité, toujours sur le qui-vive dès qu’ils sortent dans la rue ou se rendent dans les lieux publics.
Moins stigmatisées que les homos, les travailleuses du sexe ne sont pas non plus toujours bien accueillies. « Quand tu as la chance d’être accompagnée par un client, on te reçoit bien parce qu’on pense que c’est ton mari », explique Anita, une nigériane arrivée à Bobo en 2010 pour gérer une boutique et qui s’est retrouvée entre les mains d’une patronne à qui elle devait rembourser les frais du voyage.
Couturière chez elle, Brenda, la copine de Anita est arrivée dans la cité de Sya pour gérer un atelier de couture, mais c’est finalement dans les maisons closes qu’elle gagne sa vie en offrant son charme.

Selon elles, l’accès aux soins dans les centres de santé est toujours un parcours du combattant. Pis, à l’antenne municipale où elles font régulièrement des tests de dépistage, la confidentialité n’y est pas. « Quand les résultats ne sont pas bons, les infirmières parlent de ça aux autres personnes alors qu’elles devaient garder le
secret », se plaignent-elles.
Pour les homos et les travailleuses du sexe, l’ONG REVS PLUS est un havre de paix. Dans ce centre de soins, les médecins respectent le serment d’Hippocrate en apportant des soins à tous les patients, sans distinction de race, de religion et d’orientation sexuelle. Ils sont reconnaissants au Docteur Daouda Maré et à l’infirmière major Arlette Karambiré, tous dévoués à la cause des malades. Généraliste avec option VIH, docteur Maré s’est spécialisé sur les soins palliatifs au Canada et a bénéficié d’une formation sur la prise en charge des maladies anales afin de mieux traiter les homosexuels. « On fait la proctologie pour essayer de déceler toutes les maladies possibles, l’objectif étant d’assurer leur prise en charge globale », explique docteur Maré, amusé quand ses patients se mettent à le draguer ! Pour lui, l’amélioration de la prise en charge sanitaire des populations clés passe par l’introduction d’un module sur le VIH-SIDA et l’homosexualité dans les écoles et centres de formation des agents de santé. Point de vue partagé par les homosexuels rencontrés, tout comme les TS. « Pour ceux qui sont déjà en activité, ce n’est pas la peine ; mais pour les jeunes qui entrent dans les écoles de santé, il faut leur enseigner ce qu’est réellement l’homosexualité pour qu’ils se débarrassent des mauvaises idées qu’ils ont sur nous », plaide Roger, qui ajoute : « Un homosexuel est un être humain et un citoyen qui jouit de ses droits civiques. Il a droit comme tout le monde de vivre sa sexualité et d’être soigné quand il est malade ».

Joachim Vokouma
Kaceto.net

La quarantaine bien sonnée, Gabriel est un des Pairs éducateurs qui servent d’interface entre la communauté des homosexuels et des structures qui s’occupent de leur prise en charge. Il explique comment il a découvert son homosexualité et comment lui et ses camarades font face aux violences sociales.

Quel est le rôle des Pairs éducateurs ?

Notre rôle est de sensibiliser les homosexuels sur les risques de contamination du VIH-Sida et des Infections sexuellement transmissibles (IST). Vous savez que l’homosexualité est mal vue dans nos traditions, ce qui pousse les homos à se cacher pour vivre leur sexualité. Il faut toutefois savoir qu’on ne devient pas homo, mais on nait homo et nous sommes chargés d’expliquer à nos camarades qu’ils n’ont pas à se culpabiliser. Mais la pression sociale est si grande que beaucoup hésitent à venir quand nous organisons des réunions de sensibilisation surtout quand on ne sait pas qui est qui. Les homos n’osent pas se montrer parce qu’ils risquent de se faire tabasser. Au marché par exemple, quand on remarque que tu as des gestes qui ne sont pas courants chez les hommes, on se dit que tu es homo et on te provoque. Quelqu’un va venir te bousculer exprès et si tu réagis, tout le monde tombe sur toi et tes amis ne te viendront pas au secours. Même tes frères et sœurs vont hésiter à te soutenir par peur se faire aussi agresser. Tant que nous ne sommes pas entre nous, on n’est pas à l’aise et je peux dire qu’à peine 1% des homos sont acceptés dans leurs familles.

Avez-vous une idée exacte sur le nombre d’homosexuels à Bobo ?

C’est difficile de le savoir, mais ceux qui viennent aux manifestations que nous organisons sont entre 150 et 200. Mais à Bobo, on peut évaluer le nombre d’homos à 6000 qui vivent leur sexualité dans la clandestinité.

Comment se passe la prise en charge sanitaire des homosexuels dans les centres de santé ?

Lorsqu’on a le paludisme et ou rhume, il n’y pas de problèmes pour se faire soigner. Mais quand on a des soucis dans les parties intimes, ça se complique et ce n’est même pas la peine d’aller dans un centre de soins. D’abord, les infirmières t’accueillent mal et te regardent comme si tu étais une bête de foire, et ensuite, quand tu te retrouves devant le médecin et que tu lui expliques là où tu es blessé, il peut te dire de sortir de son bureau. Les agents de santé disent que nous avons une pratique satanique et développent des idées négatives sur nous.
Tu peux être le premier à arriver, mais c’est toi qu’il va recevoir le dernier quand il ne te dit pas carrément de revenir un autre jour. En fait, il fait tout pour t’éviter.
Heureusement, il y a l’ONG REVS PLUS où le personnel est formé et informé sur les homos et les Travailleuses du sexe (TS) et là, nous sommes à l’aise quand on vient pour les consultations, y compris pour des soucis dans les parties intimes.
Dans les cliniques privées, on peut se faire soigner parce qu’il faut payer avant de rencontrer le médecin ; une fois l’argent encaissé, il est obligé de te soigner. Reste que si tu commences à baisser ton pantalon, il se sent gêné, te consulte rapidement, te prescrit les ordonnances et se débarrasse de toi. Or, il doit prendre le temps de bien t’examiner, connaitre ton mal pour mieux te soigner.
Avec les travailleuses du sexe (TS), nous rencontrons les mêmes problèmes de discrimination dans les centres de santé même si chez elles, c’est moins accentué. Parfois, une TS peut être accompagnée par un client qui lui est fidèle et à cause de lui, le médecin l’accepte facilement en croyant que l’homme est son mari.
Mais globalement, on souffre de la même stigmatisation, du même rejet social y compris dans le cercle familial.

Avez-vous connaissance d’homosexuels qui seraient décédés parce qu’ils ont tardé à se rendre dans un centre de santé ?

Bien sûr ! Nous avons des camarades qui, par peur de la stigmatisation ne sont pas allés en consultation et sont morts avec leur mal ! Même dans les pharmacies, le regard est différent mais quand tu arrives avec l’ordonnance de REVS PLUS. On te regarde bizarrement parce qu’on sait que soit, tu as le VIH, soit tu es homosexuel puisque c’est le seul centre qui reçoit tout le monde et qui est connu pour son engagement dans la lutte contre le VIH et les IST. Pour éviter ces regards malveillants dans les pharmacies, on nous délivre parfois des ordonnances sans le logo de REVS PLUS.

Que faire pour améliorer la prise en charge sanitaire des homosexuels et des TS ?

Pour l’instant, c’est seulement entre nous que nous arrivons à parler de nos problèmes, mais ce que nous voulons, c’est qu’on nous accepte dans tous les centres de santé. Il faut lancer des campagnes de sensibilisation des agents de santé quant à l’accès aux soins de tous les citoyens sans distinction de race et d’orientation sexuelle. Il faut surtout les former afin qu’ils comprennent ce qu’est réellement l’homosexualité. Nous ne demandons pas des droits spécifiques, mais on veut juste être traités avec un minimum d’égard.

Quel est le profil des homosexuels à Bobo-Dioulasso ?

Nous avons des mineures entre 12-13 et nous leur expliquons qu’ils ne doivent pas avoir de rapports sexuels avant 18 ans et que même après, ils doivent se protéger. On a aussi des bisexuels, des gens qui sont mariés, ont des enfants, juste pour avoir une respectabilité sociale, mais qui, en réalité s’épanouissent avec d’autres hommes. Tous, nous vivons notre sexualité en cachette et pour cette raison, nous mettons l’accent sur la sensibilisation à l’utilisation du préservatif. « No condom, no sex », tel est notre slogan que nous inculquons surtout aux nouveaux venus.

Quand avez-vous su que vous étiez homosexuel ?

Je l’ai découvert à l’âge de 7-8 ans et je n’ai jamais été attiré par une fille. Une femme pour moi est une camarade pour laquelle je n’éprouve pas de sentiments.
En revanche, devant un homme qui répond à mes critères de beauté et d’attirance, je ne me contrôle plus, je suis tétanisé. Comme chez les hétérosexuels avec filles, on peut suivre un homme qu’on rencontre dans la rue et chercher à le draguer. C’est un peu risqué si ça tourne mal. Etre né homosexuel, c’est différent de ceux qui le deviennent, sachant que certains sont des homophobes devenus des homosexuels par nécessité.

Une étude menée en 2013 dans les villes de Ouagadougou, Bobo-Dioulasso, Koudougou, Ouahigouya et Tenkodogo a montré que le taux de prévalence du VIH chez les TS et les homosexuels était estimé à 16,19% chez les PS et à 3,6% chez les HSH, contre une moyenne de 0,8%. Comment expliquez-vous cet écart ?

Je n’ai pas d’explications rationnelles à ça, mais il se faut souvenir que le VIH a été découvert premièrement chez les homosexuels. En plus, au début, les campagnes de sensibilisation n’évoquaient que des infections dues à des rapports entre hétérosexuels, c’est-à-dire entre un homme et une femme ; jamais entre des personnes de même sexe. Or les homos couchent avec des hommes qui couchent aussi avec des femmes ; donc quand tu ne te protèges pas alors que ton partenaire est infecté par une femme, tu es aussi infecté. Les homos n’étaient pas pris en compte dans les campagnes et comme nous ne savions pas qu’entre homos, on pouvait se transmettre le VIH, on couchait sans protection. Ceci explique peut-être l’écart du taux d’infection chez les homos et les autres.

Propos recueillis à Bobo-Dioulasso par Joachim Vokouma
Kaceto.net