Relèvements inattendus de CCEB de leur fonction en pleine année scolaire, politisation de l’administration scolaire, "clochardisation" des enseignants, etc., le Syndicat national des encadreurs pédagogiques du premier degré (SNEP/PD égrainent des griefs contre le ministère de l’Education nationale, de l’alphabétisation et de la valorisation des langues nationales et demande que des mesures soient prises pour offrir un enseignement de qualité aux élèves burkinabè

Une succession d’événements nous amène à emprunter cette voie pour nous adresser à vous dans l’espoir d’avoir une oreille attentive. Ces événements sont relatifs au fonctionnement des services du ministère et à la rédaction du statut valorisant des personnels de l’éducation et de la recherche.

Du fonctionnement des services du MENAPLN :

Monsieur le Ministre, le jeudi 9 août 2018, le bureau national du SNEP/PD vous rencontrait autour d’un certain nombre de préoccupations dont celle relative au relèvement de chefs de circonscriptions d’éducation de base (CCEB) de leurs fonctions, orchestré par votre prédécesseur en septembre 2017. Ce mouvement qualifié
de « tsunami » avait fait couler beaucoup d’encre et de salive. Il fut qualifié de règlement de compte politico-administratif ou personnel vu son ampleur et le point de chute des relevés. Il a surtout été qualifié « d’intention manifeste de détruire » car intervenant en pleine rentrée scolaire, au moment où les uns et les autres avaient fini de payer la scolarité de leurs enfants dans leur zone d’activité.

Au terme de cette rencontre, vous avez pris l’engagement de rattraper ce qui pouvait encore l’être en nous demandant de vous transmettre la liste des CCEB concernés. Ce qui fut fait. Par bonheur, nous avons constaté que dans les nominations de CCEB de septembre 2018, certains ont été ramenés dans leur région d’origine.

Monsieur le Ministre, votre volonté d’assainir le MENA venait de se manifester à travers ce réaménagement que nous avons salué à sa juste valeur. Nous croyions alors que les vieux démons avaient quitté le ministère pour se réfugier dans les profondeurs de la nature. Mais hélas ! Le ton de leur retour fut donné par le relèvement de deux CCEB de leur fonction dans la région du Centre-Ouest (Koudougou 5 et Sabou1). Ce relèvement inattendu étonne par sa nouveauté car c’est la première fois que des CCEB sont relevés en plein milieu d’année scolaire, sans cas de force majeure. En effet, le mouvement des CCEB se fait généralement pendant les vacances pour permettre à chacun de stabiliser sa famille et payer la scolarité de ses enfants. Bien que nominatif, le poste de CCEB est plus technique que politique. C’est pourquoi d’ailleurs cette nomination ne se fait pas en conseil de ministre et aucun inspecteur n’est consulté à sa sortie d’école pour être nommé CCEB. Pour nous, c’est plutôt un poste d’affectation.

Par une correspondance en date du 1er avril 2019, le bureau national vous a adressé une demande d’audience pour en discuter. Cette lettre est restée sans suite jusqu’à ce jour.

Monsieur le Ministre, en déposant notre demande d’audience le 1er avril, nous étions loin d’imaginer qu’un autre cas se produisait, cette fois dans la région des Hauts-Bassins. En effet, le CCEB de N’dorola a été relevé au même moment pour avoir commis le péché de participer (en tant que spectateur), à une cérémonie de pose de première pierre pour la construction d’un collège d’enseignement général (CEG) à Famberla. Il recevra ainsi une demande d’explication de son directeur provincial et pendant qu’il préparait son explication, il reçut une décision qui le relevait de ses fonctions. On peut donc conclure qu’il a été condamné avant d’être jugé. Le dernier cas est le relèvement du CCEB de Kalsaka.

Monsieur le Ministre, de ces cas aussi divers que surprenants nous faisons les observations suivantes :

en attendant qu’il nous soit prouvé leur culpabilité, le relèvement des CCEB est soit un abus de pouvoir, soit un règlement de compte politique ;
de la clochardisation de l’emploi d’encadreur pédagogique, le MENAPLN est en train de passer à la précarisation de la fonction de CCEB.
En conséquence, le SNEP/PD condamne avec la dernière énergie ces actes abusifs dont l’objectif voilé est de saper le moral des encadreurs pédagogiques en communion de lutte avec l’ensemble des personnels de l’éducation pour la valorisation de la fonction enseignante et l’amélioration des conditions de vie et de travail des éducateurs. Il vous invite donc à mettre fin à ces pratiques dignes des temps anciens qui risquent de mettre en mal la bonne marche de l’administration scolaire et entacher votre passage à la tête du MENAPLN. Il exige par ailleurs :

la dépolitisation de l’administration scolaire et la culture de la méritocratie ;
l’arrêt immédiat de la persécution des encadreurs pédagogiques sur le terrain ;
l’affectation des CCEB relevés dans des services de leur choix.
Monsieur le Ministre, depuis le 22 novembre 2016, un protocole d’accord signé entre le MENA et le SNEP/PD, octroie un fonds de fonctionnement aux circonscriptions d’éducation de base (CEB). Au cours de l’année 2017, ce fonds a mis du temps avant de parvenir aux structures éducatives concernées. Pour l’année scolaire 2017/2018, à cause d’un arrêté conjoint entre le MENA et le MINEFID, le fonds ne parviendra aux CEB qu’en septembre 2018, c’est-à-dire après toutes les activités de l’année scolaire, bouclée en juillet 2018. En cette année 2018/2019, bien qu’il n’y ait aucun blocage juridique, nous nous acheminons inexorablement vers la fin de l’année scolaire en cours et aucun franc n’est parvenu aux CEB pour leur fonctionnement. Les CEB fonctionnent donc sur le dos des pauvres travailleurs à qui on demande des résultats. Tout porte à croire à une volonté manifeste du gouvernement de sucer le maigre salaire des travailleurs des CEB. C’est ce que nous appelons « la clochardisation du métier d’enseignant ».

Aussi le SNEP/PD vous interpelle-t-il, et à travers vous le gouvernement du Burkina Faso pour la mise à disposition sans délai de ces fonds.

Monsieur le Ministre, une éducation de qualité, droit inaliénable pour tous les enfants burkinabè s’acquiert par un enseignement de qualité. Ce qui requiert une bonne formation initiale et continue des enseignants. Les cadres traditionnels de formation continue que sont les groupes d’animation pédagogiques, les stages de recyclage et les conférences pédagogiques ont peu à peu disparu. Subsistent aujourd’hui la conférence pédagogique annuelle des enseignants et la conférence annuelle des encadreurs pédagogiques. A deux mois de la fin de l’année scolaire en cours, aucune date n’est proposée pour la tenue de ces conférences.

Tout en exigeant la programmation de ces activités de renforcement des capacités pour cette année scolaire, le SNEP/PD vous suggère de les inscrire désormais dans le calendrier scolaire de sorte à ce qu’elles puissent être immédiatement rentables pour compter de l’année scolaire de leur tenue.

Enfin, Monsieur le Ministre, après les forces de défense et de sécurité, les enseignants sont les agents de l’Etat qui paient le plus lourd tribut des attaques terroristes. En témoigne le massacre, le vendredi 26 avril 2019, de cinq (05) enseignants à Maitagou dans la CEB de Komiyanga, province du Koulpelogo. Le SNEP/PD se joint à toute la communauté éducative pour présenter ses condoléances aux familles des victimes et à la nation entière. Il témoigne sa solidarité envers tous ceux qui sont dans les zones à risque et qui, malgré la menace permanente, s’efforcent de donner une éducation de qualité aux futurs bâtisseurs de notre nation. Tout en reconnaissant les efforts faits pour lutter contre le terrorisme, le SNEP/PD invite le gouvernement à tout mettre en œuvre pour une réelle sécurisation des personnes et des biens en général et des enseignants sur leur lieu de travail en particulier. Par ailleurs, il exige du gouvernement :

une prise en charge psychosociale des enseignants éprouvés par les actes terroristes ;
le remboursement des biens des enseignants détruits ou confisqués par les terroristes ;
une prise en charge des familles des enseignants victimes.
De la rédaction du statut valorisant des personnels de l’éducation et de la recherche
Un petit cours d’histoire nous parait nécessaire pour une meilleure compréhension de notre position. En 2008, un groupe de conseillers pédagogiques itinérants (CPI), sortants de l’Ecole Normale Supérieure de l’Université de Koudougou, éclairés par le cours de droit administratif, s’offusquait de ce que les CPI, à l’issue de trois (03) ans de formation professionnelle cumulée après la catégorie B1 ou deux (02) ans de formation pour les titulaires de licence, soient reclassés en A2 et non en A1 comme les autres agents de l’Etat effectuant un stage de formation de deux (02) ans dans les mêmes conditions. Cette observation va donner naissance à un mouvement de lutte pour le reclassement des CPI en A1.

En 2011, la question va être prise en charge par cinq syndicats du primaire dont le SNEP/PD. C’est le début de l’histoire du statut valorisant qui avait pour but au départ, la correction des injustices subies par les encadreurs pédagogiques du primaire. Plusieurs sessions d’écriture dudit statut se tiendront à Tenkodogo, Loumbila puis à Koudougou jusqu’à la chute du régime de Blaise Compaoré en octobre 2014.

Le 17 septembre 2016, le SNEP/PD engageait un mouvement de lutte avec une plateforme revendicative en seize points dont celui du « reclassement des IP en A1 et des CPI et IEPD en P ». La Coordination Nationale des Syndicats de l’Education (CNSE) dont le SNEP/PD est membre reviendra à la charge en 2017. Cette lutte historique aboutira à la signature d’un protocole d’accord entre le gouvernement et la CNSE le 27 janvier 2018 dans lequel l’Etat s’engageait, entre autres, à doter les personnels de l’éducation et de la recherche d’un statut valorisant.

Ce bref rappel montre à quel point les attentes des encadreurs pédagogiques du primaire sont énormes dans la rédaction en cours du statut valorisant. Mais au lieu de corriger au moins l’injustice subie par ces agents conformément à leur profil de formation, le gouvernement a opté de fusionner les trois corps d’encadreurs (A3, A2, A1) en un seul en supprimant les emplois d’IP (A3) et de CPI (A2). Cette suppression, en même temps qu’elle désaxe le système d’encadrement du primaire, met un voile sur le passé combien laborieux des travailleurs du primaire. Ainsi, le gouvernement croit se dédouaner tel Ponce Pilate, des brimades, injustices et préjudices subis par ces agents durant des décennies. Il veut effacer subtilement une page sombre de notre histoire ; or, comme le disait un penseur, « Nul n’a le droit d’effacer une page de l’histoire d’un peuple, car un peuple sans histoire est une monde sans âme ». Nous restons donc vigilants. C’est pourquoi nous en appelons à votre sens de responsabilité, d’équité, de justice et de paix, afin que cette page sombre de l’histoire pédagogique de notre pays soit corrigée.

Dans le mécanisme de fusion imposée, le gouvernement exige aux conseillers pédagogiques itinérants de passer un concours spécial puis subir une quatrième année de formation à l’Ecole Normale Supérieure de l’Université Norbert Zongo (ENS/UNZ) de Koudougou pour être enfin reclassés en A1. Ainsi, ce que d’autres corps du même MENAPLN ont obtenu en deux ans de formation après B1, on demande aux CPI de l’atteindre en quatre ans de formation. N’est-ce pas cela l’esclavage ?

Pour les Inspecteurs de l’Enseignement du premier Degré (IEPD) dont le niveau de formation professionnelle cumulée est bac + sept (07) ans, la décision du gouvernement est de les maintenir en A1. Le Burkina Faso est une république qui fonctionne sur la base de lois et à ce propos, la loi 081-2015/CNT du 24 novembre 2015 portant statut général de la fonction publique stipule en son article 14, alinéas 2 : « les emplois de fonctionnaire pour lesquels le recrutement se fait à partir du doctorat ou d’un diplôme exigeant le baccalauréat plus sept ans de formation professionnelle cumulée sont classés dans la catégorie P ». Comme vous le constatez, le SNEP/PD n’invente rien. Il demande tout simplement que justice soit rendue aux travailleurs, conformément aux lois de la République.

Les encadreurs du primaire ont consenti d’énormes sacrifices pour leur formation. Chaque départ pour l’ENS/UNZ, après le succès au concours, est synonyme de désorganisation sociale, de séparation de famille, d’angoisse pour les affectations à la sortie, de coupure parfois sauvage de toutes les indemnités, même celle de logement. Ces sacrifices ne méritent pas le traitement qui leur est réservé dans ce nouveau statut. Si tant est vrai que la volonté du gouvernement est de n’avoir qu’un seul corps d’encadrement (ce qui nous parait absurde), des mécanismes de règlement des préjudices subis auraient pu être trouvés. Mais hélas !

Monsieur le Ministre, en partant à Koudougou pour la rédaction du statut valorisant le 6 mai dernier, le SNEP/PD fondait le secret espoir que justice serait rendue aux encadreurs pédagogiques du primaire ou tout au moins, qu’une passerelle vers l’emploi de professeurs agrégés, nouvellement créé en remplacement du corps de Conseiller Pédagogique du Secondaire (CPES) et ouvert en concours professionnel et en concours direct aux étudiants titulaires de Master, leur serait ouverte pour la valorisation de leurs diplômes universitaires (Master, doctorat). Erreur ! Cette passerelle leur a été refusée sous des prétextes que seuls les auteurs de ce refus peuvent expliquer.

Au-delà de l’injustice criarde qu’il consacre, le statut en attente d’adoption, pose un problème institutionnel.

D’abord en fusionnant les trois corps d’encadrement en un seul, nous aurons bientôt plus de cinq mille (5000) inspecteurs de l’enseignement primaire. Rapporté à environ quatre-vingt mille (80000) enseignants, on aura un ratio de un (01) inspecteur pour seize (16) enseignants. Si l’on considère que la norme d’encadrement est de un (01) IEPD pour cinquante (05) enseignants, on devine aisément que les Instituteurs Certifiés (IC) et les Instituteurs Adjoints certifiés (IAC) seront bientôt bloqués en A3 car l’Etat pourrait faire plus de dix ans (10) sans recruter d’inspecteurs ou même s’il devait le faire, ce serait à compte-goutte.

Ensuite, sans jeter le bébé avec l’eau du bain, nous sommes fondés à soutenir que le statut a été bâti contre la famille d’emploi du primaire, dont des forces lugubres et tapis dans l’ombre ne souhaitent pas voir certains occupant émerger à une certaine hauteur. En optant pour la superposition des ordres d’enseignement dans un ministère unique (tous les emplois du préscolaire, du primaire et du non formel finissent en A1, là où commencent les emplois du post-primaire et du secondaire pour se terminer en PB) le statut porte en lui-même les germes de tensions inévitables qui risquent de mettre en mal la vision holistique de notre système éducatif. Si l’on se rappelle les querelles de nomination des années 2016-2017, il est aisé d’imaginer que nous sommes en train de dynamiter notre système éducatif déjà malade. Les mêmes querelles renaitront car aucun agent de catégorie P n’acceptera être placé sous les ordres d’un agent de catégorie A1. Ainsi, il y aura des ordres d’enseignement programmés pour jouer les premiers rôles dans le MENAPLN et d’autres pour accomplir les tâches d’ouvriers de la maison. Cette pilule ne passera pas ! Pour qu’un système éducatif soit viable, nous estimons que chaque niveau doit être animé par des professionnels du cru, maitrisant les moindres détails du niveau concerné. Les instances de décisions devraient donc comprendre des cadres de tous les ordres d’enseignement pour permettre à l’autorité suprême d’avoir une vision plurielle pour mieux décider.

Au regard de tout ce qui précède et partant du passage suivant du procès-verbal (PV) de négociation du 2 mai 2019 entre le gouvernement et la CNSE : « les deux parties ont reconnu qu’il n’y a pas eu d’unanimité entre elles sur la nomenclature des emplois dans l’ensemble des familles d’emplois, notamment la nomenclature des emplois d’encadrement du préscolaire et du primaire, des emplois des personnels d’administration et de gestion et des emplois des acteurs de la vie scolaire. Elles ont alors pris acte de ce que la CNSE marque son désaccord sur cette question de nomenclature », le SNEP/PD émet des réserves sur le présent statut et vous informe que pour les acteurs du primaire (de l’IAC à l’IEPD), la lutte continue sur ce sujet. Il vous invite donc à revoir certains détails du statut pendant qu’il est encore temps.

En tout état de cause, le SNEP/PD entend exploiter tous les canaux légaux qui lui sont offerts par les lois de la République pour la réparation des injustices subies depuis des décennies et pour sauver le secteur primaire de notre système éducatif dont la qualité de l’organisation et la performance sont mises en mal depuis la naissance du « grand MENA ». Déjà, par correspondance n°2019-019/SNEP/PD/BN en date du 17 mai 2019, nous avons tenu informé le Président et tout le comité de rédaction du statut valorisant de notre déception pour le sort réservé aux encadreurs du primaire et de notre ferme détermination à poursuivre le combat.

La présente lettre s’inscrit dans cette logique d’interpellation et nous osons croire qu’elle recevra un écho favorable auprès de vous.

Quoiqu’il en soit, le bureau national affirme sa disponibilité au dialogue et réitère sa demande d’audience pour échanger avec vous sur l’ensemble de ses préoccupations.

Tout en vous souhaitant bonne réception de la présente, je vous prie d’agréer, Monsieur le Ministre, l’expression de notre franche collaboration.

Pour le Bureau national, le Secrétaire Général

Pierre ZANGRE

Inspecteur de l’Enseignement du Premier Degré