L’économie ivoirienne affiche une performance globale qui est solide, depuis que l’ancien directeur du FMI pour l’Afrique a pris les commandes du pays. La croissance moyenne du PIB s’affiche à 8%, pour la période située entre 2011 et le 30 juin 2019. Dans le même temps, les finances publiques se sont améliorées, tout autant que la crédibilité auprès des bailleurs de fonds internationaux. Les élections de 2020 sont proches et, sans surprise, des divisions sont apparues sur la scène politique. A ce jour, on ignore si le Président briguera ou non un 3e mandat, même si on a assisté du 25 au 26 novembre à Niakara, à une visite d’Etat digne d’une précampagne. En attendant, bon nombre d’Ivoiriens, exclus de ce succès macroéconomique, espèrent un profond changement en leur faveur.

Au 30 juin 2019, selon une analyse comparée, les performances globales de l’économie de la Côte d’Ivoire depuis l’arrivée en 2011 du président Alassane Dramane Ouattara sont solides.
Dès 2012, la croissance du PIB s’est hissée à un peu plus de 11%. Sur les 9 dernières années, la croissance moyenne de cet indicateur est de 8%, une des plus fortes dans le monde. La seule époque où ce pays, leader de l’UEMOA, a connu une telle performance, c’était entre 1960 et 1978, quand il était surnommé « Le Miracle ivoirien », apprend-on d’une analyse pays effectuée par l’agence de notation Moody’s.

De même, à pouvoir d’achat égal, le PIB par habitant est estimé à 4000 $, un niveau largement au-dessus de la moyenne en Afrique subsaharienne.

Une croissance du PIB soutenue par la diversification de l’économie

Une part importante de cette croissance est le fait d’un solide secteur agricole, qui n’est pas un actif de la seule présidence actuelle. En effet, bien que le pays soit plus connu pour son cacao, dont il est le premier producteur mondial, la Côte d’Ivoire est aussi leader dans la production de noix de kola et de cajou. Le pays est également premier producteur africain de caoutchouc et de bananes, en même temps que deuxième producteur africain d’huile de palme et troisième producteur de coton et de café.

Ce qui distingue l’agriculture ivoirienne, c’est qu’elle est en majeure partie sophistiquée, mécanisée et tournée vers l’exportation, car on y trouve des investisseurs étrangers.
A côté de ce secteur agricole qui génère des revenus pour deux tiers de la population ivoirienne, le gouvernement Ouattara a effectué des réformes dans l’environnement institutionnel et des affaires, qui ont permis l’émergence d’autres secteurs, notamment ceux des services, de l’industrie et du domaine extractif. Très rapidement, le gouvernement ivoirien a pris l’option de se conformer aux principes de l’Initiative pour la Transparence dans les Industries Extractives (ITIE), afin d’avoir une exploitation pertinente de ses secteurs minier et pétro-gazier.

La bonne performance du secteur minier s’observe notamment dans le domaine de l’or. Le pays en a produit 25 tonnes en moyenne annuelle, entre 2015 et 2018. En 2011, la production de ce métal précieux culminait à seulement 12,5 tonnes.

Les années Ouattara sont aussi celles d’une relance de la transformation industrielle. Dans le secteur phare du cacao, des négociations ont débuté avec toutes les parties prenantes, y compris les négociants, les transformateurs et les fabricants. L’objectif ultime est d’assurer une réelle pérennité, en augmentant la part de revenus obtenue par les producteurs. Elle ne représente actuellement environ que 6% de la valeur totale du secteur chocolatier international.

Le développement industriel se retrouve aussi dans d’autres domaines et a été soutenu par une augmentation de l’offre énergétique. Dans ce domaine, la capacité de production est aujourd’hui comprise entre 2200 et 2300 mégawatts. L’objectif est d’atteindre 4000 MW en 2020 (avec plus de 20% d’exportations d’ici à 2020) afin de répondre à une augmentation de la demande locale estimée à environ 150 MW par an, poursuivre les exportations et permettre le développement du secteur agroalimentaire et des activités minières. Les analystes estiment toutefois que cette ambition n’est pas réalisable dans les délais annoncés.

Des améliorations notables dans l’administration et l’environnement des affaires

Un autre fait marquant de la présidence Ouattara est la transformation qu’a connue le niveau institutionnel. La Côte d’Ivoire a figuré, à plusieurs reprises, parmi les 10 meilleurs pays africains dans le rapport de la Banque mondiale sur l’environnement des affaires (Doing Business). Le pays obtient également de bons résultats dans l’étude, toujours de la Banque mondiale, qui classe les pays en fonction de leurs améliorations institutionnelles.

Le CEPICI, (Centre de Promotion des Investissements en Côte d’Ivoire) est l’une des faces visibles de cette embellie dans le cadre des affaires. Entre 2013 et 2018, il a facilité la création de plus de 57 000 entreprises qui emploient aujourd’hui près de 150 000 personnes, selon des chiffres fournis par cette institution.

On peut également remarquer que les Investissements directs étrangers (IDE) ont régulièrement augmenté, à la faveur d’un nouveau code des investissements proposé par le gouvernement, et validé par le parlement. Le texte souligne surtout la volonté du gouvernement d’accroître l’attractivité de l’économie pour les investisseurs étrangers. Intelligemment, il consacre l’octroi des crédits d’impôts, plutôt que des exonérations fiscales et encourage la participation locale et celle des petites et moyennes entreprises (PME).

Enfin, sous l’impulsion de Ouattara, les bailleurs de fonds ont repris confiance en la Côte d’Ivoire. Pour le Plan National de Développement adopté en fin 2015, la boussole économique du gouvernement ivoirien, un groupe consultatif réuni à Paris avait annoncé une contribution de 7700 milliards FCFA (12,8 milliards $). A la fin de 2018, le montant effectivement engagé atteignait 11,6 milliards $, soit l’équivalent de 84% des promesses en trois ans.

Au-delà des bons points, certains signes d’essoufflement…

Malgré ces performances records, c’est avec un bilan en décrue que le régime en place va entrer dans l’année 2020 qui est celle de l’élection présidentielle. Les chiffres de 2019 n’étant pas encore disponibles entièrement, on s’appuiera sur ceux de 2018 pour constater que les exportations ont baissé de 11,4% pendant les 11 premiers mois de 2018, alors qu’elles avaient augmenté de plus de 16,4% pendant la même période en 2017.

Surtout, on relève que les importations de biens d’équipements ont reculé de 11,6% sur la période de référence, signe d’un repli des dépenses visant à renforcer le tissu productif local. Dans le même temps, des rapports consolidés de la Banque centrale indiquent que le taux d’expansion du crédit bancaire au secteur privé a stagné autour de 12,7%.
La hausse de la consommation énergétique s’est calmée. Sur le plan des finances publiques, les recettes fiscales n’ont progressé en 2018 que de 4%, contre 8,9% à la même période en 2017.
La deuxième faiblesse qui est constatée dans les deux mandats de Ouattara, c’est que la forte croissance moyenne actuelle n’a pas été suffisamment inclusive. Les données récentes de l’Institut national ivoirien des statistiques, qui datent de 2015, laissent voir que 10,5 millions d’Ivoiriens, soit 46% de la population, vivaient encore en dessous du seuil de pauvreté (1,5 $ de parité de pouvoir d’achat), et ceci, malgré des dépenses sociales en faveur des pauvres de 2361 milliards FCFA en 2018, comparativement aux 845 milliards FCFA de la dernière année du président Gbagbo (2011).

Un pan important de la population exclu des retombées de la forte croissance

Les explications derrière cette faible inclusion de la croissance économique sont au moins de trois ordres. D’abord, elle est restée concentrée autour d’un nombre restreint de secteurs modernes à Abidjan, la capitale économique du pays, ce qui a limité les bénéfices de la croissance et son impact pour les pauvres qui se trouvent majoritairement dans les zones rurales. De nombreux rapports officiels révèlent que des secteurs créateurs d’emplois n’ont pas enregistré des performances suffisamment positives sur la durée pour engendrer des gains de revenus substantiels pour leurs travailleurs.

Par exemple, les paysans qui produisent aussi bien le cacao que la noix de cajou, ont connu une bonne année en 2017, alors que l’année précédente avait été relativement mauvaise. Le secteur informel urbain, en particulier le commerce, qui accueille de plus en plus de travailleurs, a enregistré une baisse de productivité, ce qui s’est traduit par des revenus moins élevés.

La deuxième explication à la misère persistante, c’est que le gouvernement n’a pas su anticiper le fait que de nombreux ménages restent extrêmement vulnérables aux chocs exogènes. Cette vulnérabilité est illustrée par l’exemple des producteurs de cacao qui doivent faire face aux variations des prix internationaux et à des conditions climatiques imprévisibles (voir encadré).

Enfin, malgré des efforts importants pour améliorer l’accès aux services et aux infrastructures de base comme l’eau et l’électricité, leur impact tarde à se faire ressentir sur le portefeuille et le bien-être des ménages les plus pauvres.

Ainsi, le bilan d’Alassane Ouattara n’est pas exempt de reproches et bien plus qu’une campagne d’autosatisfaction, le régime actuel devra convaincre les populations frustrées, de la manière dont les choses peuvent réellement changer en leur faveur. Des troubles surviennent régulièrement dans le pays, avec en toile de fond de fortes revendications sociales. Au début de 2017, ces troubles sociaux ont pris la forme de grèves de fonctionnaires qui dénonçaient des arriérés de salaire, des problèmes liés à leur retraite et le besoin d’avoir une augmentation de leurs rémunérations.

Ce mécontentement souligne le fait qu’une part de la population a le sentiment de ne pas bénéficier de la forte croissance de la Côte d’Ivoire, et démontre son impatience à tirer profit de cette embellie économique, tant saluée dans les médias.

C’est sur cette vague de mécontentements que surfent les oppositions politiques. Les alliances de 2011 ont fait long feu et de nouvelles se forment. D’autant que, malgré tous ses efforts, le président Ouattara n’est pas parvenu à convaincre une part significative des Ivoiriens de la légitimité de son élection face à son prédécesseur Laurent Gbagbo. Malgré cela, la multiplication de ses sorties en grande pompe sonne comme un prélude à une troisième candidature de sa part.

Idriss Linge
Agence ECOFIN