Lors d’une visite à Entebbe, en Ouganda, Benyamin Netanyahou, le Premier ministre israélien, annonçait le « retour d’Israël en Afrique ». Cette déclaration fait écho à une multiplication, ces dernières années, d’offensives diplomatiques israéliennes sur un continent noir. Cependant, si pour certains il est surtout question de rechercher en Afrique des partenaires commerciaux, de nombreux observateurs pensent que le premier objectif d’Israël consiste en la mise en œuvre d’un véritable ancrage diplomatique sur un continent qui lui est historiquement défavorable sur plusieurs questions sensibles.

Des échanges commerciaux marginaux

Selon des statistiques relayées par Le Monde diplomatique, l’Afrique ne représente qu’environ 2% du commerce extérieur israélien. Si, depuis 2015, le total des exportations israéliennes vers le continent dépasse le milliard de dollars, ce chiffre reste 100 fois plus faible que les exportations chinoises vers le continent. Sur le plan commercial, Tel Aviv reste donc un nain en Afrique, non seulement par rapport à d’autres pays, mais également par rapport à ses propres potentialités.
Les exportations commerciales de l’Etat hébreu avec ses homologues africains restent principalement axées sur le secteur de la défense et de la sécurité. D’après le ministère israélien de la Défense, cité par le quotidien Times of Israël, les exportations d’armes israéliennes vers l’Afrique ont continué à croître à partir de 2009, atteignant jusqu’à 318 millions $ en 2014. Une situation favorisée par le besoin en armes et d’expertise en matière sécuritaire des Etats africains qui doivent lutter contre un djihadisme qui s’étend de plus en plus sur le continent. En Afrique de l’Est, le Kenya et l’Ouganda sont devenus les principaux alliés d’Israël dans la lutte contre la propagation du terrorisme islamiste, grâce à l’envoi de conseillers spéciaux, de petites unités combattantes, de drones, d’équipements de surveillance et de vedettes navales rapides.
De plus, de nombreuses entreprises israéliennes sont présentes dans les secteurs africains des mines, de l’agrobusiness ou encore de la technologie.

Des relations tumultueuses

Pendant de nombreuses années, Israël a entretenu avec les pays africains des relations particulièrement tumultueuses. Déjà, dès 1903, un programme d’implantation, le « projet Ouganda », proposé par le journaliste juif Theodor Herzl, visait à installer la population juive, alors en quête d’un Etat, sur le territoire kényan sous administration britannique, à l’époque. Deux ans plus tard, le projet qui a, au passage, créé une fracture au sein du mouvement sioniste, sera abandonné.

Cependant, c’est à partir de la fin des années 40 que les relations israélo-africaines prennent l’orientation qu’elles connaissent encore aujourd’hui, principalement en raison de la question palestinienne.

En effet, lorsque l’ONU partage la Palestine entre Juifs et Arabes, le 29 novembre 1947, le continent africain se trouve encore sous la domination coloniale. Seule l’Ethiopie, l’un des trois Etats africains indépendants à l’époque, s’abstient de voter. Après les premières guerres de 1948-1949 et les tensions avec les Etats arabes dont l’Egypte, Israël décidera de se tourner vers les pays d’Afrique subsaharienne. Cependant, malgré les efforts de Tel Aviv pour nouer des liens diplomatiques et économiques forts avec la région, les pays d’Afrique subsaharienne tourneront progressivement le dos à l’Etat hébreu.

Ainsi, après la guerre des Six jours (ayant opposé Israël à l’Egypte, la Jordanie, la Syrie et le Liban), la Guinée sera la première à rompre ses relations avec Israël. Les tensions qu’entraînera la guerre d’octobre 1973 pousseront la quasi-totalité des Etats africains (excepté le Malawi, le Botswana, le Swaziland, le Lesotho et l’Afrique du Sud) à faire de même, notamment sous la pression de la Ligue arabe qui utilise le dynamisme de l’islam dans les pays musulmans et la manne pétrolière pour isoler l’Etat hébreu. De plus, le maintien de relations économiques et commerciales avec le régime de l’apartheid dans une Afrique du Sud sous embargo international, achèvera d’alimenter les hostilités entre Tel Aviv et les capitales africaines.

Dès 1974, les pays africains apportent leur soutien aux Palestiniens en votant, le 10 novembre de la même année, la résolution 3379 assimilant le sionisme au racisme. En 2001, à Durban (Afrique du Sud), lors de la conférence de l’ONU contre le racisme, les pays africains et arabes condamnent la politique menée dans les territoires occupés. Huit ans plus tard, ils soutiennent la commission d’enquête de l’ONU, présidée par le juge sud-africain Richard Goldstone, accusant Tel Aviv d’avoir commis des crimes à Gaza, lors de l’opération « Plomb durci ». En 2011, une majorité écrasante des Etats africains votent l’adhésion de la Palestine à l’Unesco. De plus, de nombreuses manifestations populaires auront lieu dans plusieurs capitales africaines comme Dakar au Sénégal, pour dénoncer les « crimes » d’Israël contre les Palestiniens et apporter leur soutien à ceux-ci.

Des intérêts stratégiques à défendre

Contrairement à des pays comme la Chine ou le Royaume-Uni, les intérêts qu’Israël cherche à défendre en Afrique semblent donc plus diplomatiques que commerciaux. Pour de nombreux observateurs, l’objectif est surtout d’obtenir le soutien des pays du continent (généralement acquis à la cause palestinienne) dans le processus de paix avec la Palestine et de briser l’opposition majoritaire subie par l’Etat hébreu au sein des Nations Unies.

Au fil des années, Tel Aviv a donc multiplié les actions visant à tisser des liens avec les pays africains. Pour ce faire, le pays mettra en avant la coopération économique, pour s’attirer les bonnes grâces de pays africains à la recherche de partenaires au développement. A partir des années soixante, des accords de coopération sont signés avec l’Ethiopie, l’Ouganda, le Zaïre (actuelle République démocratique du Congo), le Kenya, le Rwanda, le Tchad et la République centrafricaine.

Avec l’arrivée de Benyamin Netanyahou à la tête de l’Etat hébreu, l’offensive diplomatique africaine de Tel Aviv en Afrique repartira de plus belle. En 2017, le dirigeant réussira à se faire inviter au sommet de la CEDEAO, avec à la clé, un plan d’investissement de 1 milliard $ dans les énergies renouvelables. Selon Na’eem Jeenah, directeur exécutif de l’Afro-Middle East Centre (AMEC), « pour certains pays du continent la notion de solidarité est en train d’être remplacée par la notion d’intérêts particuliers ». En octobre 2017, un premier sommet Afrique-Israël était d’ailleurs prévu pour se tenir à Lomé avant d’être « reporté ».

Avec l’ouverture d’une ambassade au Rwanda en 2019, Israël compte désormais près d’une douzaine de représentations en Afrique. Un processus qui a notamment été facilité par la signature des accords d’Oslo en 1993, qui a progressivement poussé une quarantaine de pays africains à reconnaître Israël.
D’ailleurs, le pays ne compte pas s’arrêter en si bon chemin et multiplie les opérations de séduction même envers des pays africains réputés musulmans ou à majorité musulmane. Fin 2018, après près de 47 ans de rupture, le pays annonçait la reprise de ses liens diplomatiques avec le Tchad d’Idriss Deby Itno. Lors de sa visite en Ouganda, le 03 février dernier, Benyamin Netanyahou a également annoncé avoir rencontré Abdel Fattah al-Burhan, président du Conseil souverain soudanais, pour « entamer une normalisation des relations avec le Soudan ». Une annonce qui a déjà suscité des inquiétudes auprès de nombreux Palestiniens, le Soudan ayant toujours été l’un des piliers du front anti-Israël en Afrique.

Pour nombre d’observateurs, Israël se sert de ses atouts économiques et de ses relations particulièrement fructueuses avec les Etats-Unis, pour négocier ses relations avec les pays africains. L’objectif étant de créer une brèche dans le front pro-palestinien afin de gonfler le rang de ses alliés à l’ONU. D’ailleurs, Tel Aviv ne s’en est jamais réellement caché, ni avec les récentes offensives de l’actuel Premier ministre, ni lors de celles de l’ancienne femme forte du régime israélien, Golda Meir. « Si nous sommes allés en Afrique, n’était-ce pas parce que nous voulions nous assurer des voix aux Nations unies ? Naturellement oui, c’était l’un de nos mobiles, et parfaitement honorable », avait-elle déclaré en 1958, à l’occasion d’une tournée africaine, en tant que ministre des Affaires étrangères.

Avec Donald Trump au pouvoir aux Etats-Unis, Israël semble plus renforcé que jamais sur la scène internationale, comme en témoigne le récent plan de paix israélo-palestinien proposé par le dirigeant américain. Même si Benyamin Netanyahou doit faire face en mars prochain à de nouvelles élections dans son pays, les relations israélo-africaines auparavant si houleuses, semblent plus que jamais tournées vers l’accalmie et la coopération.

Moutiou Adjibi Nourou
Agence Ecofin