Ambiance inhabituelle le 3 novembre 2019 sur l’esplanade du Monument aux Héros nationaux à Ouaga2000. Venus de plusieurs établissements de la capitale, des centaines d’élèves du secondaire s’étaient donné rendez-vous ce jour-là pour former une chaîne de solidarité en soutien aux Forces de défense et de sécurité qui sont sur le front de la guerre contre les terroristes. Regard haut et grave, ils entonnent, à cœur vaillant, l’hymne national, le Ditanyè. « Nous, élèves et écoliers de ce pays, refusons de rester à ne rien faire. Nous avons un rôle à jouer dans la défense de notre cher Faso. Nous devons nous engager dans un élan patriotique pour apporter notre solidarité à nos vaillantes FDS. La chaîne de solidarité que nous avons réalisée ce jour autour du monument aux héros nationaux en guise de solidarité avec ces valeureux combattants marque notre engagement à les soutenir dans leur lutte pour notre liberté », avait déclaré leur porte-parole, fille d’une famille de déplacés internes.
« L’association Burkimbii, partage et solidarité » est à l’origine de cette manifestation dont l’objectif est de cultiver le patriotisme chez les jeunes burkinabè. « Nous n’avons pas de doute que nous allons vaincre le terrorisme comme il l’a été vaincu ailleurs et nous souhaitons que les enfants se sentent auteurs de cette victoire », explique le secrétaire chargé des enfants suivis de l’Association, Rigobert Tiendrebéogo. Toujours dans cette optique, l’association a initié un projet de collecte de fonds par les élèves au profit des orphelins des FDS tombés sur le champ de bataille. L’initiative qui rencontre l’adhésion des chefs d’établissements, des élèves et des parents d’élèves, est malheureusement concurrencée par le ministère de l’Education nationale, qui a annoncé le 6 février dernier l’organisation d’une collecte de fonds dans les établissements scolaires pour soutenir les FDS. Une décision d’autant plus incompréhensible que le ministère a d’autres chats à fouetter (scolarisation des enfants déplacés internes, grogne des syndicats et du personnel administratif de l’éducation nationale, insatisfaits de l’application de l’accord de janvier 2018, résolution des écoles sous paillotes etc.) pour se livrer à une concurrence avec une organisation de la société civile.
Pas du tout perturbé par cette agitation circonstancielle, Rigobert Tiendrebéogo reste droit dans ses bottes et garde le cap quant à l’atteinte des objectifs que s’est donnée l’association.
Explications.

Vous avez fait diffuser il y a quelques semaines sur les écrans de télé, un spot publicitaire de soutien aux FDS. Quel est le but de cette activité ?

A la base, notre association « Burkimbii solidarité et partage » a été créée pour intervenir dans le domaine de l’éducation, appuyer les élèves et les personnes défavorisées. C’est ce qui est indiqué sur notre récépissé de reconnaissance.
Dès 2018, nous avons approché les autorités pour leur exprimer notre souhait d’accompagner les orphelins des Forces de défense et de sécurité (FDS) tombés sous les balles des terroristes. Et pour cela, nous nous sommes dit qu’il fallait nécessairement impliquer les élèves pour susciter en eux cet élan de solidarité et de patriotisme. Nous n’avons pas de doute que nous allons vaincre le terrorisme comme il l’a été vaincu ailleurs et nous souhaitons que les enfants se sentent auteurs de cette victoire. Si on cultive en eux le patriotisme et l’esprit de sacrifice, au final, c’est le Burkina qui gagne.
C’est la raison pour laquelle, nous avons contacté la faitière des parents d’élèves, en l’occurrence l’Union nationale des parents d’élèves du post primaire, du secondaire et du supérieur du Burkina (UNAPES-B) pour avoir l’aval des parents car ce sont qui vont aussi contribuer au soutien aux FDS à travers leurs enfants. Ensemble, nous allons encadrer l’activité des enfants, une sorte de partenariat entre les parents et la société civile.

Début novembre 2019, vous aviez déjà organisé une manifestation devant le monument aux héros avec des élèves…

Oui, cette activité avait été organisée avec les parents d’élèves, les enseignants et les FDS. L’objectif était de créer une véritable cohésion sociale autour des FDS en collaboration avec les directions régionales. Je salue au passage leur disponibilité et pour tout ce qu’ils ont fait pour la réussite de cette activité, en particulier le directeur de l’enseignement régional post-primaire du Centre et le Larlé Naaba.

Qu’avez-vous déjà pu faire pour les orphelins des FDS ?

Pour les orphelins des FDS, nous n’avons rien fait pour l’instant en tant qu’association, mais pour les autres orphelins, oui, des choses ont été faites, mais individuellement. Des céréales et des vêtements ont été apportés à des orphelins à Bissighin par exemple. Mais à l’expérience, nous avons estimé que toutes les actions devaient être menées dans un cadre organisé, d’autant que nous comptons intervenir dans les 13 régions du pays. D’ailleurs, dans la région de l’Est, nous y sommes impatiemment attendus, mais il nous faut d’abord lancer nos activités à Ouaga avant de nous déployer dans les autres régions.

Quel est l’agenda de l’opération de collecte de fonds au profit des FDS ?

Dans le très court terme, le lancement de la collecte va se faire à l’Institut africain de management (IAM) et à l’Institut des Sciences et Techniques (IST).
Au départ, le lancement était prévu dans l’enceinte du lycée Philippe Zinda Kaboré ; tout était fin prêt quant à note grande surprise, un acteur s’est invité dans le jeu, en l’occurrence le ministère de l’Education nationale. [NDLR ; le 6 février dernier, le ministre Ouaro a annoncé l’organisation d’une opération de collecte de fonds dans les établissements scolaires pour soutenir les FDS ; les contributions qui sont volontaires, vont 100 F à 10 000 F]
Nous avons initié l’activité avec les associations des parents d’élèves, puis avec leur faîtière dont le président Hector Ouédraogo est très impliqué dans l’organisation. Ensemble, nous avons déjà lancé la campagne à travers un spot publicitaire qui a été diffusé à la télévision et c’est avec étonnement que nous avons appris l’initiative du ministre. C’est quand même curieux d’envisager une activité dans les établissements sans que les parents d’élèves n’aient été
contactés !
Nous savons tous, les problèmes urgents que le ministère doit gérer : écoles fermées, élèves déplacés, enseignants assassinés, etc. J’estime que ce serait bien que le MENAPLN s’occupe de ces problèmes-là qui relèvent des missions que le président lui a confiées et qu’il laisse le terrain de la mobilisation aux acteurs de la société civile et aux parents d’élèves. Si chacun joue son rôle et règle les problèmes à son niveau, le pays ira mieux.
Du coup, pour ne pas créer des problèmes au proviseur du lycée Zinda qui relève du ministère de l’Education nationale, mais allons lancer notre activité à l’IAM et à IST.

Il y a comme une sorte de concurrence malsaine entre vous et le MENAPLN …

Oui, et c’est dommage ! Pourquoi le ministère de l’action sociale n’a pas organisé une telle activité si tant est qu’on veut mobiliser des ressources pour soutenir les FDS ? A mon avis, une telle initiative devrait venir du ministère de l’action sociale et non MENAPLN et c’est d’ailleurs curieux que ce dernier se soit rendu compte de la nécessité d’une telle initiative après que nous ayons envoyé les courriers dans les directions régionales pour les informer et solliciter leur soutien dans l’organisation de la collecte de fonds au profit des FDS !

La collecte des fonds intéresse-t-elle réellement les élèves ?

Bien sûr ! C’était déjà le cas lorsque nous avons organisé la chaine de solidarité aux FDS devant le monument aux héros en novembre 2019. A l’époque, nous avions aussi bénéficié du soutien de la direction régionale du centre de l’enseignement post-primaire dans la mobilisation des élèves. Dans nos projections, une centaine d’élèves serait pour nous un succès surtout que c’était un samedi, mais à l’arrivée, il y en avait environ 900 ! Les sandwichs que nous avions préparés n’étaient évidemment pas en quantité suffisante pour tout le monde, mais ce qui s’est passé montre que les enfants sont d’une grande générosité. Lorsque les premiers servis ont vu que ça ne suffira pas pour tout le monde, ils ont partagé leur part avec les autres. Il y avait comme une âme positive du groupe qui s’est créée. C’était magnifique. Ils étaient tellement contents de l’activité qu’ils venaient de mener qu’à la fin, spontanément, ils se sont mis à crier : « Merci Tonton ». C’était émouvant !
C’est pour vous dire que le projet de collecte en soutien aux FDS est également bien accueilli dans les établissements. Certains élèves ont demandé s’ils pouvaient apporter autre chose en plus de l’argent ; du coup, sur les fiches de souscription, nous avons indiqué les montants que chacun pouvait apporter en y ajoutant, « autre chose ».
Pour les contributions, le montant va de 200 à 5000 F et nous espérons récolter au moins 300 millions de F CFA et au plus, un milliard de F CFA. Avec ce que nous espérons récolter, cela va contribuer à acheter au moins 10 pick-up afin que les soldats puissent mener leurs opérations avec plus d’efficacité contre les terroristes.

Combien de temps l’opération va-t-elle durer ?

L’opération va durer au maximum 2 ou 3 trois mois. Les affiches sont déjà prêtes et personnalisées, c’est-à-dire rattachées à chaque établissement : IAMoises, IST, LTO, etc. Concrètement, il y a un coupon que l’élève remplit, le détache et le remet au professeur principal contre un reçu. A la fin, on fait le point des coupons pour établir la liste des donateurs et les montants récoltés. L’argent sera ensuite déposé dans un compte géré par notre association et les parents d’élèves. Sur ce compte, il n’est pas possible de faire des retraits, mais juste des virements pour payer les dépenses qui seront identifiées Le projet doit s’autofinancer et nous avons fait le maximum pour minimiser les dépenses.

Comment ces fonds seront gérés ?

Il y a un partenariat avec l’UNAPES-B ; le compte est ouvert et chacun pourra y avoir accès pour suivre tous les mouvements qui seront validés par un huissier de justice.
Il y aura la transparence la plus totale sur l’utilisation de l’argent et bien entendu, un rapport sera fait et adressé aux partenaires et donateurs. Nous comptons organiser une cérémonie de collecte de bourses complètes auprès des établissements pour les orphelins des FDS. Nous allons demander à chaque établissement de nous donner des bourses depuis la primaire jusqu’au supérieur et au cours de la soirée, nous publierons ce que chaque établissement aura donné.

On vous voit pratiquement tous les week-ends mener des opérations de nettoyage dans les quartiers de Ouagadougou ; ça rappelle les opération « Mana mana » sous la révolution…

Oui, ça fait partie de nos missions parce que nous voulons faire revivre certaines valeurs, notamment la citoyenneté, la responsabilité, le respect du bien commun ; bref, tout ce qui peut contribuer à rassembler les gens. Et dans cette optique, nous avons estimé que la lutte contre l’insalubrité est un moyen pour éduquer les gens, notamment les jeunes au respect de l’intérêt général. L’association Burkimbii, solidarité et partage est fière d’avoir créé un réseau qui a activé beaucoup de choses. Au départ, c’était deux heures par semaine et au fil du temps, les gens ont adhéré et des autorités comme le Larlé Naba, qui a une grande capacité de mobilisation s’y est mis. Son implication nous fait du bien et si d’autres personnalités pouvaient faire comme lui, je suis convaincu que nous pourrons faire beaucoup de choses pour la ville de Ouagadougou et la rendre plus propre.

Pourquoi avez-vous arraché des affiches publicitaires collées aux feux de signalisation ?

Nous travaillons dans le sens de l’éducation de nos enfants ; or, quand tu es devant un feu de signalisation, tu vois sur des affiches des annonces du genre « développement du sexe ». C’est vrai que notre symbole est l’étalon, mais quand-même ! En début d’année, le maire de Ouaga a instruit la police municipale de faire disparaitre ces affiches et comme nous partageons ce combat, nous nous sommes mobilisés pour mener cette opération de salubrité publique. Au cours de notre première sortie, nous avons arraché 200 affiches, puis par la suite, 1500 et 2000 affiches. Nous avons appelé les auteurs de ces affiches et certains nous ont dit qu’ils ne savaient pas que c’était illégal. Nous avons menacé de porter plainte contre eux et depuis lors, on voit de moins en moins ces affiches aux feux de signalisation. Après le travail que nous avons fait, la mairie de Ouaga nous a recommandé d’établir un protocole de partenariat avec l’ordre des pharmaciens l’ordre des médecins pour lutter contre les médicaments de rue. Ensemble, nous pourrons faire belles choses pour rendre notre ville plus agréable.

Propos recueillis par Joachim Vokouma
Kaceto.net