A propos du discours du Président du Faso au sujet de la stigmatisation, j’avais pris rendez-vous avec vous ce lundi pour en dire plus. Commençons par dire que cette grande diversité ethnique et culturelle est une immense richesse que nous devons savoir exploiter. Il nous faut aujourd’hui trouver les portes et les clés qui vont avec.

L’une des plus graves erreurs, c’est de nier le problème. Alors qu’il est partout. Il est partout parce que l’éducation est une construction.
Une fois, je devais réaliser des reportages auprès des productrices du Yatenga. J’étais en compagnie de techniciens d’agriculture originaires du Plateau Central. Par jeu, j’ai décidé de les provoquer. Arrivés devant le groupe des femmes, j’ai présenté mes compagnons en disant « Yaa Wagdg Gourounssè ». Le travail fini, dès que nous avons regagné le véhicule, mes amis m’ont pris à partie. « C’est qui que tu appelles des Gourounssi ? Ça ne va pas chez toi non ? ». J’ai souri et j’ai expliqué que pour tout Mossi du Nord, les gens du Centre sont des Gourounssi. Protestations tous azimuts. « Mais vous pouvez leur expliquer que nous sommes des Mossis ! ». C’est là qu’ils ont été estomaqués devant ma joie. « Hahan ! Et quand vous, vous allez raconter chez vous que nous nous sommes des Yadcés et non des Mossis ? Vous trouvez ça normal, non ? J’ai voulu vous montrer que personne n’a le monopole de la bêtise ».
Une autre fois, nous sommes allés dans un village des environs de Kaya. Je devais rencontrer un groupe d’éleveurs à propos des problèmes de fourrage. Les gens de la localité m’ont murmuré à l’oreille : « Silmisse laa fo zonamba. Wamsé ! ». C’est des peuls tes compagnons ? J’ai bien vu qu’ils étaient au sérieux, car eux-mêmes avaient honte de leurs propos.
Je dois vous avouer que moi-même je me suis fait leurrer par ces propos malveillants à propos de la communauté peule. Jusqu’au jour où je me suis intéressé aux questions d’élevage au Sahel. Les gens en ville veulent manger de la viande, boire du lait, et ne se posent jamais la question de savoir d’où viennent ces deux produits. Je vous mets rapidement le tableau.
Vous avez une centaine de bœufs à votre charge. Tous les jours, il vous faut trouver quarante litres d’eau pour chaque bête. Et il vous faut leur procurer du fourrage, à toute heure de la journée. Dans l’année, nous avons tout au plus 5 mois de pluie et 7 mois de sécheresse. Comment vous faites pour résoudre une telle équation ? Eh bien, vous n’avez pas le choix, il vous faut vous déplacer continuellement.
D’abord, vous et les autres éleveurs, vous devez développer un réseau d’informations efficace. Savoir où il y a des marigots qui ont encore de l’eau, où les barrages sont accessibles, savoir dans quelle contrée il y a encore du fourrage. En fait, sur votre route, les humains vous vous en foutez royalement. Seul compte la survie de votre troupeau.
Mais comme il y a des communautés humaines sur votre route, il vous faut développer une sorte de « diplomatie du passage ». Ne vexer personne, ne pas se mêler des querelles de quelque nature que ce soit, ignorer adroitement ce que votre œil a pu surprendre, bref, ne surtout pas compromettre la survie de votre troupeau en vous laissant entrainer dans les disputes de familles ou de villages.
Je vous demande en toute sincérité. Quel être humain peut vivre en conciliant autant de contraintes, et sans passer pour quelqu’un de sournois ? Je vous pose la question en toute franchise et je vous demande d’y répondre en toute franchise. Qui d’entre nous à la place de cet éleveur saurait trouver les ressources morales pour conduire son affaire au quotidien ? En tenant compte des folies des hommes qu’il rencontre au gré de ses pérégrinations ?
Et voilà que les Djihadistes s’en mêlent. Il y a d’abord les bouleversements du climat qui font que l’éleveur ne reconnaît plus ses routes ancestrales de transhumance. La savane et le sahel ne sont plus aussi accueillants pour un grand troupeau. Vous êtes loin de chez vous. Votre bétail est un butin. Vous-mêmes, vous êtes soit un otage, soit vous êtes tué. Même les villageois avec qui vous avez noué des relations ancestrales ne sont plus sûrs de l’avenir.
Là également, je vous pose la question en toute sincérité. A la place de cet éleveur, vous faites comment ? Aveuglés de haine, nous avons oublié qu’ils ont un service d’informations entre villages et entre groupe d’éleveurs. On peut appeler ça aussi un service de renseignement, selon la position de chacun. Mais ce système a fait ses preuves au cours des siècles.
Je vous parlais tantôt de richesse à exploiter. Voilà un exemple évident d’une richesse ancestrale que nous avons négligée. Et on a fait pire. Je suis avec mon troupeau dans un coin de savane. Des Djihadistes me traquent. Et voilà que les cultivateurs avec qui mes ancêtres ont établi des relations me pourchassent à leur tour. Si on me condamne à « me chercher partout », vous pensez que je vais faire quoi ? Comme tout être humain, je vais « chercher mon nez ». Et par tous les moyens. Même si les autres vont regarder cette stratégie de survie comme une preuve supplémentaire de ma fourberie.
Le Président Kaboré a raison. Si nous ne pouvons pas transformer les populations en alliés pendant cette guerre, nous ne devons pas les transformer en ennemis. Je ne comprends rien à ce qui se passe. Un chef Djihadiste ne va pas venir me parler dans mon village. Un chef FDS ne va pas venir me dire ce qui se mijote. A minima, il me faut de la neutralité. Et ce juste milieu que je négocie tout le temps, on ne me le permet plus. Vous voulez que je fasse quoi, à la fin ?
Un vieux m’a expliqué leur situation au Sahel "Tond ziin neh yaam". Nous devons nous asseoir avec intelligence. Même si cela m’est refusé, je fais comment ?
Je suis persuadé que d’autres peuvent raconter des expériences similaires. Il nous appartient de prendre le Président à ses propres mots. C’est-à-dire à l’accompagner dans des actes après les paroles justes.

Sayouba Traoré
Journaliste, Ecrivain