Nommée le 24 mai 2019 en remplacement de Maïza Sérémé, le procureur du Faso, Harouna Yoda a effectué sa première sortie hier 18 juin face à la presse pour évoquer durant près d’une heure, des dossiers pendant devant la justice et qui alimentent l’actualité depuis des mois.

Le rendez-vous avait été donné la veille via Internet, dans la salle d’un bâtiment neuf du Tribunal de grande instance de Ouagadougou (TGI). A 10 heures, la salle bondée de journalistes. Personne ne veut se faire compter l’évènement. Un élément de la garde de sécurité pénitentiaire filtre les entrées. Il faut montrer patte blanche. Les simples curieux sont gentiment, mais fermement éconduits.
Avec un retard d’environ un quart d’heure, le procureur du Faso et ses collaborateurs font leur entrée. Les journalistes actionnent leurs appareils. Le directeur de la communication et de la presse ministérielle remercie les pisse-papiers d’avoir répondu à l’invitation, introduit l’objet de la rencontre, puis passe la parole au procureur.
Harouna Yoda racle sa gorge et se lance dans la lecture de la fameuse déclaration liminaire, le texte qui campe le décor avant la séquence des questions réponses.
Entouré de ses collaborateurs, il énumère les dossiers ayant fait l’objet d’investigations suivies de poursuites judiciaires qui vont constituer le menu du face à face avec les journalistes. Il s’agit des affaires, Jean-Claude Bouda, du nom de l’ancien ministre de la Défense, du Groupement de sécurité et de protection républicaine (GSPR), de l’Agence conseil et de maîtrise d’ouvrage (ACOMOD), de l’affaire Kaboré William Alassane, directeur général adjoint de la douane, et enfin, de l’affaire des 70 millions F CFA du maire de Ouagadougou qui suscite tant de commentaires dans les maquis et autres gargotes de la capitale.

On s’en souvient, l’ancien ministre de la Défense du gouvernement de Paul Kaba Thiéba avait été arrêté et déféré à la Maison d’arrêt et de correction de Ouagadougou (MACO) le 26 mai dernier suite à une plainte du Réseau national de lutte anti-corruption (REN-LAC). Il est poursuivi pour « faux et usage de faux en écriture privée, fausse déclaration d’intérêt et de patrimoine, de délit d’apparence et de blanchiment de capitaux ».
Selon le procureur du Faso, Jean-Claude Bouda touchait un salaire ministériel mensuel de 1 023 320 F CFA. Or, en trois ans, il s’est constitué un patrimoine immobilier d’une valeur 252, 845115 millions de F CFA. Le procureur a sorti sa calculette : pour accumuler un tel patrimoine dans ce laps de temps, il aurait fallu qu’il ait un revenu mensuel de 7 023 475 F CFA. « Cette situation laisse penser qu’il a économisé plus que son salaire mensuel », ironise le procureur.
Sommé de s’expliquer sur l’origine de son patrimoine, Jean- Claude Bouda soutient que son investissement immobilier a été financé sur fonds propres « licites et traçables ainsi que les donations de certains membres de sa famille à hauteur de 205, 373 400 F CFA ». Et pour prouver sa bonne foi, il a produit des pièces attestant la vente d’un verger de 15 hectares qui lui aurait rapporté 52 500 000 millions de F CFA, à quoi s’ajoute le soutien financier de sa famille à hauteur de 68 438 000 millions de F CFA !
Les justificatifs qu’il a produits n’ont pas du tout convaincu le juge, « ce qui laisse penser à de faux documents établis à dessein ». C’est la principale raison de son inculpation et son déferrement à la MACO en tant que justiciable de droit commun. Selon le procureur, l’infraction dont il est présumé coupable n’a pas de lien avec l’exercice de sa fonction de ministre et n’a pas été commise dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de sa fonction ministérielle. Dès lors, une telle infraction est « détachable des fonctions ministérielles en raison du caractère étranger aux dites fonctions et ou missions ministérielles ». L’ancien ministre ne saurait donc être traduit devant la Haute cour de justice, mais devant un tribunal de droit commun.

Quant au dossier du Groupement de sécurité et de protection présidentielle (GSPR), le corps d’élite de l’armée créé suite à la dissolution du Régiment de sécurité présidentielle (RSP), il est reproché à certains agents d’avoir établi de faux ordres de mission pour se faire des frais de missions qui n’ont pas été effectuées. Au cours de l’enquête, les éléments incriminés, tous des gendarmes, ont reconnu les faits et ont avoué avoir perçu des indemnités d’un montant variant entre 700 000 et 1 480 000 million F CFA. « Ces frais de mission ont été perçus par des agents commanditaires au détriment de ceux dont les noms figurent sur les ordres fictifs de mission. Les éléments supposés être les missionnaires ont été invités à émarger, mais les sommes d’argent perçues leur ont été retirées par les premiers. Ils n’ont bénéficié que de gratifications pour avoir apposé leurs signatures sur les documents, en sachant qu’ils n’ont pas effectué de missions », détaille le procureur du Faso.
Au total, sept (7) ordres de mission ont été établis et ont donné lieu à la perception de 5 334 000 millions de FCFA. Selon le procureur, les poursuites ont été faites et le dossier est en attente de programmation.
S’agissant du dossier ACOMOD, le DG Loué est mis en examen, mais laissé en liberté, tandis que l’ex-président du conseil d’administration (PCA), Moussa Sankara et Ibrahim Sanou, représentant de la société 2ARTS le seront prochainement.
Il leur est reproché des faits de « favoritisme, conflit d’intérêt, simulation illicite et blanchiment de capitaux ».

Les faits qui avaient été révélés par la presse, puis pris en charge par la police économique indiquent que le DG de l’ACOMOD a autorisé la passation de deux marchés publics au profit de son épouse à travers un regroupement de soumissionnaires. Pareil pour l’ex PCA, Moussa Sankara, bénéficiaire de l’entreprise 2ARTS, lequel a obtenu un marché de 155 704 000 millions de FCFA. Vu leur position, la justice estime que les deux entreprises ne pouvaient pas et ne devaient pas être attributaires des marchés de l’ACOMOD.
Le procureur du Faso s’est ensuite attaqué au dossier Kaboré William Alassane, actuel directeur général adjoint de la douane, poursuivi avec son épouse Sylla Salif, poursuivis pour « des faits d’enrichissement illicite, de délit d’apparence et de blanchiment ».
C’est sur une action de l’Autorité supérieure de contrôle d’Etat et de lutte contre la corruption (ASCE/CL), reprise par le commissariat central de police de Ouagadougou que des enquêtes ont menées sur les activités suspectes du DGA de la douane. Lequel a utilisé Christophe Anne Kaboré dans l’achat et la mise en valeur de 15 parcelles dans la ville de Ouagadougou pour un montant 1, milliard 300 000 000 F CFA, ce que son salaire ne permet pas d’avoir une telle fortune en 23 ans de service.
Ce n’est pas tout, le DGA a usurpé l’identité d’un certain Salif Sylla pour acheter 655 tonnes de ciment pour la construction de plusieurs immeubles. Pis, il a opéré d’importants transferts de fonds qu’il n’arrive pas à justifier l’origine.

Enfin, l’affaire des 70 millions de F CFA réclamés au maire de Ouagadougou, Armand Béouindé par des magistrats pour étouffer la procédure engagée dans l’affaire de l’acquisition des 77 véhicules de la mairie a été évoquée par le procureur Yoda.
Selon nos confrères l’Evénement qui a révélé l’affaire, un intermédiaire, Alassane Bagagnan et un juge, Narcisse Sawadogo ont démarché le maire de Ouaga en vue d’intervenir auprès des magistrats, en l’occurrence, Daouda Kouanda et Dieudonné Bonkoungou, en charge du dossier pour le faire classer contre la somme de 70 millions. Or, révèle le procureur, le dossier est encore en cours au niveau du parquet et aucun juge n’a pour l’instant été désigné pour l’instruire. Afin de rassurer le maire qu’il a en face de lui des personnes sérieuses, le juge Narcisse Sawadogo lui annonce qu’il a contacté le doyen des juges d’instruction, Emile Zerbo, supérieur hiérarchique du juge Kouanda et qu’il a son soutien.
L’enquête qui a été menée par le parquet suite aux révélations du bi-mensuel, montre que rien ne permet de dire que le doyen des juges d’instruction Emile Zerbo et le juge d’instruction Kouanda « étaient directement ou indirectement au courant de cette entreprise criminelle ».
En revanche, les sieurs Alassane Bagagnan et Narcisse Sawaogo sont bien les coupables présumés de cette tentative d’escroquerie dont le maire a failli être victime. Ils sont par conséquent poursuivis pour « tentative d’escroquerie et pour diffamation suivant la procédure de flagrant délit », la poursuite pour diffamation faisant suite aux plaintes de magistrats Bonkoungou et Zerbo.
« Pourquoi le maire de Ouagadougou n’est-il pas arrêté et déposé à la MACO ? », demandent les journalistes. « Dans cette affaire de 70 millions, le maire n’est qu’une victime présumé » répond le procureur Yoda. Quant à l’affaire des 77 véhicules qui a donné lieu à cette tentative d’escroquerie, elle est encore entre les mains du procureur qui a déjà entendu le maire et ses collaborateurs proches du dossier.

Dominique Koné
Kaceto.net