En réponse à la déclaration de Mgr Kutwa, cardinal d’Abidjan, selon laquelle, la candidature à la présidentielle du président sortant Alassane "n’est pas nécessaire", le ministre Kobenan Kouassi Adjoumani, part ailleurs porte-parole principal du Rassemblement des Houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP) et ses camarades se sont transportés le 2 septembre dans l’enceinte de la cathédrale Saint Paul d’Abidjan Plateau pour lui apporter la réplique.
Père Marius Hervé Djadji lui répond. Ambiance !

« L’homme comblé qui n’est pas clairvoyant ressemble au bétail qu’on abat » (Ps 48)
Depuis le 2 septembre, au moment où l’Eglise de Côte d’Ivoire est en prière et en pleure avec la perte de l’évêque émérite de Yopougon Mgr Mandjo et de l’éminent théologien Jean Sinsin Bayo, vous, fils et filles catholiques avez choisis cet instant précis pour poignarder l’Eglise locale d’Abidjan et son évêque Mgr Kutwa, notre Cardinal.
Votre acte a suscité indignation tant chez les catholiques que chez d’autres chrétiens et chez les non chrétiens. C’est le lieu de remercier tous les fidèles laïcs et d’autres citoyens de ce pays qui ont été propices et prolifiques dans la défense du Cardinal. Face au deuil que nous portons, il fallait attendre l’inhumation du P. Sinsin avant de vous répondre parce que : « Quand tu as un mort couché tu ne réponds pas aux appels des enfants à la place publique ». Cette réponse est une première bénédiction parce que nous sommes toujours en deuil.

Le contexte

L’Eglise catholique, dans son organisation, permet à ses filles et fils de vivre leur foi à travers des associations. Voilà pourquoi, nous avons des communautés nouvelles, des groupes de prière, des chorales et des groupes d’action catholique. Il n’est donc pas démoniaque d’avoir un groupe catholique au sein d’un parti politique si le but consiste à être sel et lumière dans ces lieux de décisions pour la vie de la nation parce que les fidèles laïcs mènent leur apostolat à travers leur témoignage de foi dans les familles, dans les partis politiques et dans leur lieu de travail. C’est ce que nous enseignent la Constitution dogmatique Lumen gentium et la Constitution pastorale Gaudium et Spes. Depuis quelques mois, nous suivons un petit noyau de ministres, noyau appelé ‘‘ministres catholiques’’ qui sillonne paroisses et séminaires pour faire des dons. Nous avons même vu ce même groupe demander une messe pour le repos du premier ministre Gon. J’ai été celui qui a défendu cet acte de piété face aux réactions de certains laïcs. Dans vos dons, je voyais personnellement un flou politique. Mais pour ne pas que des confrères et des laïcs me prennent pour le chirurgien de la fourmi, j’ai gardé le silence.
En effet, à quelques mois d’une élection présidentielle en Afrique, les prêtres et évêques doivent être prudents dans la proximité avec les hommes politiques car comme disait l’autre, tout acte que le politicien pose est en vue d’une élection. J’aurais voulu avoir tort, mais vous m’avez donné raison, parce que l’objectif de vos tournées n’avait aucune couleur évangélique mais était une stratégie politique pour affirmer l’existence de ce groupe en vue de préparer les consciences pour imposer à l’Eglise et dans l’église vos convictions politiques.

Votre intervention

J’ai pris quelques minutes pour visionner votre conférence à la cathédrale. Tout d’abord, si vous êtes un groupe catholique du RHDP, qui est votre aumônier ? De manière scripturaire et juridique quelle est l’autorisation écrite de l’autorité ecclésiastique d’Abidjan vous permettant d’agir ? Le curé de la cathédrale vous a-t-il donné l’ordre de faire cette Conférence ? Votre aumônier est-il au courant de votre rencontre ?
Monsieur le ministre et les cadres catholiques RHDP, la liberté d’expression dans l’Eglise catholique ne signifie pas désordre et anarchie. L’Eglise se définit comme Ecclesia, c’est-à-dire l’assemblée convoquée par Dieu. Il y a donc la dimension divine, verticale, invisible de l’Eglise et la dimension institutionnelle. Voilà pourquoi saint Paul définit l’Eglise comme un corps qui a pour tête le Christ. Effectivement c’est Dieu qui est la tête et le fondement de l’Eglise. Mais cette tête invisible se voit au niveau universel en la personne du pape, l’évêque de Rome, successeur de Pierre. Au niveau local, la tête de l’Eglise se rend visible dans la personne de l’évêque de l’Eglise particulière qui est le successeur des apôtres. Voilà pourquoi, l’Eglise est apostolique.
Dans l’Eglise, on obéit aux Evêques parce qu’ils sont successeurs des apôtres, on ne les vilipende pas. Quand on affirme publiquement qu’on est catholique, par ricochet on professe cette parole : « Je crois en l’Eglise apostolique », j’obéis donc aux évêques. Quand on fait le contraire on devient schismatique, c’est-à-dire, vous êtes en rupture de communion ce qui peut conduire à une excommunication.

L’opposition au Cardinal

J’ai lu à plusieurs reprises le discours du Cardinal. Il faut dire que j’ai trouvé le discours tendre, charitable, simple, courtois, gentil et plein de souci du bien-être du pays. Etant un amoureux des déclarations des évêques, j’ai fait une étude comparative avec les déclarations des évêques du Burkina dans l’affaire Blaise Compaoré et récemment celles des évêques de la République du Congo dans l’affaire Kabila et j’ai trouvé l’adresse du Cardinal Kutwa non directe, non fougueuse, chose que la branche dure des catholiques n’a pas accepté. Il est vrai que ce qui vous gêne c’est quand le Cardinal affirme qu’il n’est pas nécessaire que le président Ouattara se présente aux élections de 2020. Dans un premier temps, lors de votre conférence, on perçoit que vous n’avez pas pris le temps de lire la déclaration du Cardinal ou vous n’avez peut-être pas compris. Le Cardinal s’est appuyé sur les interprétations des éminents juristes RHDP qui ont dit hier que la loi ne permettait pas au président de se présenter en 2020.
Aujourd’hui s’il y a ébullition tout vient de vos experts. Sur cette incohérence, le Cardinal pose un problème au niveau éducationnel et intellectuel. Quelle génération de juristes avons-nous ? Quand la loi est claire a-t-on besoin de la rendre floue, confuse ?
De deux, le Cardinal par souci de sauvegarder la paix, n’est même pas allé plus loin puisqu’il n’a pas affirmé que le président Alassane n’a pas le droit de se présenter. Il a seulement souligné que vu le contexte il n’est pas nécessaire qu’il se présente. Cela signifie qu’il peut se présenter mais que ce n’est pas un besoin. Vous interprétez mal le discours du Cardinal.
Troisièmement, quand le Cardinal déclare que l’élection n’est pas une urgence par rapport à la paix et à l’unité, M. le ministre, je pense que tout homme de bonne volonté devrait applaudir son Éminence surtout lorsqu’on se dit catholique. Qu’est-ce qu’une élection dans le sang ? Qu’est-ce qu’une élection après des milliers de morts ? Quel est ce président qui aura pour programme de gouvernement l’ensevelissement de tous les morts causés par son élection ? Le Cardinal n’est pas contre une élection mais propose d’abord la concertation, l’unité et la paix. Je pense que vous qui présentez partout vos photos avec le président Felix Houphouët Boigny devez être le premier à soutenir cela. Quel est pour vous cadres catholiques RHDP le sens de ces deux paroles : « Heureux les artisans de paix, car ils seront appelés fils de Dieu » (Mt 5,9) ; « la paix n’est pas un mot mais c’est un comportement ». Quand on regarde vos agissements, vous n’êtes pas cadres catholiques et Houphouëtistes parce que vos actions sont contraires à ces deux paroles l’une du Christ et l’autre d’Houphouët Boigny.

Que retenir ?

Aux catholiques ivoiriens : J’ai été marqué par votre réaction au sujet de cette désobéissance. J’ai senti le sens de la communion, je félicite surtout les laïcs. Mais, chers catholiques ivoiriens, l’acte posé par ce groupe catholique RHDP, n’ est que ce que beaucoup de groupes et communautés nouvelles font étant souvent soutenus par des confrères. Quand le Cardinal et les évêques réagissent pour mettre de l’ordre dans un groupe, vous êtes les premiers à les insulter sur les réseaux sociaux.
Quand le Cardinal sanctionne un berger, des prêtres se cachent pour aller célébrer des messes à son domicile. Aujourd’hui, vous êtes tous choqués. Pour ne pas arriver à une telle tristesse, il faut prévenir, il faut revenir aux fondamentaux de notre Eglise. C’est ce que j’essaie de faire avec d’autres confrères et fidèles depuis 2010 malgré les injures et persécutions venant de certains d’entre vous adeptes des miracles et de quelques confrères qui se cachent dans les plates formes "ésotériques (cachée)" pour jouer aux juges.
Dans l’Eglise catholique, on ne se lève pas un matin pour créer un groupe. Quant aux prêtres, veillez au respect de la doctrine de l’Eglise parce que certaines légèretés conduiront au schisme et à l’apostasie dans notre Eglise.
L’acte d’Adjoumani est le prolongement de la crise d’autorité et du non-respect de la doctrine dans l’Eglise catholique de Côte d’Ivoire. Quand dans une Eglise, chacun se donne le titre qu’il veut, enseigne ce qu’il veut, impose sa propre liturgie, on aboutit à des pratiques d’indiscipline comme celle de ce groupe de cadres catholiques. C’est le résultat du culte de la pagaille et de l’anarchie dans notre Eglise d’aujourd’hui.
Aux cadres catholiques RHDP : M. le ministre Adjoumani et son groupe, je vous dis clairement que par votre comportement, vous êtes en dehors de la communion catholique. Pour votre propre gouverne, retenez que la laïcité ne signifie pas l’absence du religieux dans la sphère politique et publique. Sur ce plan, j’invite le ministre Adjoumani à revoir sa définition de la laïcité de l’Etat. En France, les évêques donnent leur avis sur des décisions politiques, mais c’est un état laïc. La laïcité ne signifie pas absence de religion. Le Cardinal est donc libre de faire une lecture politique en vue de la paix. Et n’oubliez pas M. le ministre que le jour des élections les catholiques votent.
Si vous êtes au pouvoir c’est parce que des catholiques aussi ont voté pour le président Alassane Ouattara. De même, vous parlez des vêtements du Cardinal qui prouvent qu’il a parlé au nom de l’Eglise. C’est de l’analphabétisme religieux. Retenez juste que le Cardinal parle toujours au nom de son Eglise locale d’Abidjan et il a le droit de parler au sein de la Cathédrale avec ses vêtements qui sont propres à sa charge cardinalice.
M. le ministre et chers cadres catholiques, aujourd’hui je pense que par votre acte vous avez accentué l’environnement de tension politique dans notre pays. Vous avez besoin d’aller en eau profonde pour votre purification, vous avez besoin de vous laisser inonder par le Saint Esprit. Ne faites pas penser qu’il y a dans ce pays une tension entre l’Eglise catholique et le président Ouattara. Sur ce terrain vous avez échoué parce que hier la ministre Anne Ouletto a été la première à féliciter l’évêque de Yopougon car son discours arrangeait votre camp. N’oubliez pas que le Cardinal que vous vilipendez aujourd’hui a été celui qui a permis que vous soyez nourris de l’Eucharistie quand vous étiez confinés à l’hôtel du Golf. Chers cadres catholiques, ne soyez pas atteints de l’esprit qui rend aveugle.
M. le Président de la République, l’acte posé par le ministre Adjoumani et son groupe est contre-productif pour votre parti et pour votre image. A quelques semaines d’une élection, à travers leur acte, ils frustrent votre électorat catholique au niveau national, ils blessent les catholiques RHDP et ils blessent la sensibilité de tous les religieux de toutes les confessions et celle de tous les hommes de bonne volonté. Leur zèle ne vous rend pas service. C’est pourquoi j’attends de vous un acte fort parce qu’Adjoumani oublie que même dans sa région, il a été aussi élu par des chrétiens catholiques. Pour votre méditation, chers ministres catholiques ou chers églisiens, méditez cette parole : « Et tout homme qui entend les paroles que je viens de dire et ne les met pas en pratique peut être comparé à un homme insensé qui a bâti sa maison sur le sable. La pluie est tombée, les torrents sont venus, les vents ont soufflé ; ils sont venus battre cette maison, elle s’est écroulée, et grande fut sa ruine » (Mt 7,26-27).

Père Marius Hervé Djadji
Docteur en théologie dogmatique
Contact : lajoiedeprier.nguessan@yahoo.fr