En temps de crise, les populations regardent vers les Chefs mais le Sommet des chefs d’état de la communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) ouvert ce lundi 7 septembre 2020 à Niamey (Niger) n’attire aucun regard. C’est l’inverse même qui se produit. Comme l’atteste l’exemple plus qu’éloquent du Mali, sous régime spécial, militaire, depuis le 18 Août, après le renversement du pouvoir constitutionnel d’Ibrahim Boubacar Keita, le président renversé par l’armée, où le sentiment populaire qui prévaut envers l’instance régionale est celui d’un dépit profond. Les Maliens lui en veulent d’être restée jusqu’au bout l’ultime soutien d’un homme corrompu et coupable d’avoir conduit leur pays à une impasse pendant que son intégrité territoriale se délitait et que des forces extrémistes, religieuses ou criminelles, en faisaient un terrain de jeux.

Officiellement, la question malienne doit être l’un des sujets majeurs du Sommet de Niamey, notamment pour évaluer les effets des mesures prises lors de deux vidéo-sommets tenus par les chefs d’état pour répondre au coup d’état. La Cedeao, suivant la doctrine continentale, ne tolère plus l’interruption des processus constitutionnels par la force militaire. Seulement, les décisions qu’elle a prises, notamment l’imposition de sanctions économiques dures et la limitation de la transition à un an vers un retour à l’ordre constitutionnel normal, ne passent pas au Mali. Sa perte de légitimité et sa cécité face au besoin de plus de souplesse rendent ses solutions décalées.

Un lieu de débats verbeux, autour de petits fours

Les Maliens semblent en être conscients, eux qui mènent leur propre médiation intérieure en se plaignant des conséquences néfastes, malvenues, des sanctions économiques tout en s’orientant vers une transition plus longue, de 18 à 24 mois. Aucun d’eux ne se soucie dés lors des délibérations de la Cedeao. Tous, au delà du Mali, dans toute la région, ont beau jeu de rappeler la perte de pertinence d’une organisation qui se distingue par sa capacité à n’être qu’un lieu de débats verbeux, autour de petits fours, entre des protagonistes étatiques loin des urgences qui agitent leurs pays respectifs. Qui s’étonne, alors, du lourd silence qu’ils observent sur la question inflammable du 3 ème mandat présidentiel anticonstitutionnel, cyniquement poussé en Guinée-Conakry et en Côte d’Ivoire, entretenu au Sénégal, rêvé en d’autres cercles de pouvoirs dans la région, sans que la Cedeao n’en pipe mot ?

On observera, asymétriquement, combien les dirigeants Ouest-africains ont été pressés de s’unir pour condamner la prise du pouvoir par les militaires au Mali. Comme s’ils voulaient dire : nous, civils, avons le droit de tripoter constitutions et lois, de frauder les élections, de changer à notre avantage la limitation des mandats présidentiels ou encore de couvrir nos forfaits économiques et financiers. Bref, de n’en faire qu’à notre tête. Sans que qui que ce soit puisse en dire quoi que ce soit. La ligne rouge, en revanche, est franchie, dès que l’armée ou la foule tente de remettre en question le désordre constitutionnel civil, et ce pour quelques raisons, que ce soit celle du risque d’une anomie générale, d’un génocide ou d’une faillite d’état et de leadership, y compris par des pratiques anti-démocratiques.

Comment la Cedeao peut-elle rester crédible en continuant d’adopter une politique fondée, d’une part, sur sa tolérance zéro degré envers les réponses a-constitutionnelles et, d’autre part, sur la stratégie du silence, en restant sourde, muette et aveugle face aux coups tordus des dirigeants sensés maintenir le flambeau de ses valeurs et normes ? Il ne fait donc aucun doute que la Cedeao est en passe de devenir plus qu’un simple artifice institutionnel tournant en rond sur elle-même, une méprisée coquille vide. Les peuples ne se tournent pas vers elle car ils la sentent incapable de créer les conditions d’un mieux être régional. Qui ne constate son surplace sur le débat monétaire, vers la création d’une monnaie régionale, l’Eco, ayant fini de dénuder les économies de ses quinze États membres désormais exposées au danger de se voir déstabilisées par des monnaies de singe locales en l’absence d’une avancée décisive vers celle, unitaire, de la région.

Très bientôt, les marchés ne se gêneront pas de les sanctionner. Sur la coopération militaire, les forces en attente restent une charade tandis que même l’urgence sanitaire causée par la pandémie de la COVID-19 n’a pas suffi à donner un coup de pouce à la recherche d’une solution concertée dans la région encore moins à la positionner en pourvoyeuse de réponse médicale pour contenir le virus. Dans la course géo-médicale, nouveau nom de la géo-politique, la Cedeao reste larguée. Nul besoin d’évoquer les autres maux qui fragilisent l’Afrique de l’Ouest, jusqu’à la famine et aux inondations prévalentes en son sein. Qui donc se soucie d’une institution qui a échoué dans ses médiations, quitte à se parer des plumes du paon en se présentant comme l’architecte de succès réussis par les peuples, comme en Gambie, au Liberia, en Guinée-Bissau ou au Mali, ou par l’appoint de forces externes, notamment en Sierra Leone et au Liberia. La Cedeao doit se réinventer au risque de ne plus être qu’un mal institutionnel nécessaire. De toute évidence, son changement indispensable passe par l’admission que même l’acronyme qui la porte n’est plus en phase avec ses nombreuses missions, nouvelles, qu’elle essaie de s’assigner. Cette réalité n’est pas nouvelle.

Se réinventer au risque de ne plus être qu’un mal institutionnel nécessaire

Déjà, au début des années 1990, dans le contexte de la révision de son traité originel de 1975, menée par une commission de sages dirigée par l’emblématique Général Yakubu Gowon, ancien président du Nigeria et inspirateur avec le Togolais Gnassingbe Eyadema, du projet de création de la communauté, les dirigeants ouest africains semblaient en avoir compris la nécessité. Dans le nouveau traité de 1993, puis dans des protocoles additionnels, sur la démocratie, la bonne gouvernance, l’écologie et j’en passe, il y a eu des tentatives de réalignement des objectifs de la communauté avec les réalités changeantes d’un contexte alternant entre des accès de fièvre favorables à l’intégration régionale et d’autres moins propices portés par le réveil des replis identitaires voire nationalistes.

En lançant le journal “L’Ouest africain” pour servir de tribune à la communauté en 1993 et en proposant la tenue d’un Davos régional centré sur les enjeux ouest africains, je me souviens avoir proposé, es-qualité alors de directeur de la communication de la communauté, que son nom soit aussi changé, malgré la puissance de sa résonance, afin de lui en donner un autre plus conforme à la diversification de ses missions. Peut-on en effet continuer de la nommer communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) comme aux temps glorieux de sa création ou les blocages idéologiques entre ses membres les empêchaient de se doter d’une institution susceptible d’engager quelque sérieuse conversation au delà de l’économie ? Aujourd’hui, elle transcende ce seul champ. Ses compétences vont bien au delà des enjeux économiques. Elle s’occupe de promotion de la démocratie, des droits de l’homme, de lutte contre le terrorisme, de maintien de la paix ou encore de genre, de questions techniques sectorielles diverses, sans oublier son projet originel d’être au service de l’intégration économique régional.

Dans les faits, la Cedeao actuelle n’a rien à voir avec celle des débuts. Du moins sur le papier…Même si elle n’a pas marqué beaucoup de progrès dans ses actions sur le terrain, son statut multidirectional l’oblige désormais à revoir sa dénomination. Certes, dans le processus, elle perdrait une marque connue et reconnue. Mais qui se souvient que l’Union européenne (UE) fut longtemps connue sous son sigle originel de communauté économique européenne (CEE) ? Ou que l’Union africaine (UA) a fait oublier l’organisation de l’unité africaine (OUA) ? Qui sait encore que le Benin s’appelait Dahomey ? Le Burkina, la Haute Volta ? La Cedeao est donc dépassée même dans son sigle. Une idée : une communauté ouest-africaine (COA) ou, en anglais, The West African Community (WAC), lancée à travers une campagne de branding, redonnerait, à une poussive institution, le lifting dont elle a besoin dans son style pour aller à l’assaut, en substance, de ses missions. La question est cependant de savoir si les conservateurs, qui la gouvernent au nom des Etats qu’ils dirigent, les maintenant dans des crises multiformes, ne rêvant que de s’enraciner à vie au pouvoir, ont ce qu’il faut pour réinventer une organisation aujourd’hui âgée de plus de 45 ans et très mal en point. Personne ne se tourne vers eux. Tous savent qu’ils ont des neurones à l’arrêt au point d’avoir hélas contaminé la Cedeao !

Sans la destruction créatrice, indispensable pour redonner un nouveau souffle à toute organisation ayant atteint son degré achevé d’incompétence, telle que prônée par l’autrichien Schumpeter, la Cedeao continuera sa lente mais inexorable déconstruction. Manifestement, son sursaut passe par l’innovation, sauf si elle veut s’installer dans son déclin. Et ne plus susciter aucun esprit ni ne plus rien apporter pour donner droit à ses fonctions. Son état actuel de mort clinique risque de se transformer en mort définitive entre les mains des croque-morts qui l’ont prise en otage. Sans se rendre compte que son pronostic vital est engagé…

Adama Gaye, Journaliste, essayiste