Kaceto.net a reçu une contribution de notre compatriote Jacques Batieno sur le sujet qui agite les salons feutrés et les gargotes de du pays : la réconciliation nationale.
Si tous saluent la volonté du président Kaboré d’engager un processus de réconciliation des Burkinabè en soldant le passé depuis 1960 à nos jours, en revanche le contenu de ce processus demeure pour l’instant imprécis et suscite bien des questions.
Pour Jacques Batieno, l’élément structurant autour duquel doit être bâtie la réconciliation nationale, "n’est ni la religion, ni un autre fait social de ce type, mais l’esprit de nation, l’esprit patriotique".

Réconciliation nationale : une formule qui, au pays des hommes intègres, serait-on tenté de dire, chante plus qu’elle ne parle. En effet, il y a peu, la réconciliation nationale avait encore le visage d’une pétition de principe et semblait avoir désertée jusqu’au rêve des burkinabè. Mais aujourd’hui cela apparait comme un projet qu’ils doivent inscrire dans leur agenda politique pour les cinq prochaines années. La création d’un ministère spécialement dédié à ce que l’on est en droit de désigner comme un échec sociopolitique (la création même de ce ministère en est l’aveu, les différentes institutions créées auparavant ayant fait la preuve de leur inefficacité) doit être saluée à plus d’un titre. Comment faut-il le dire ? La cohésion sociale est la vraie patrie des hommes. La société ne peut remplir son contrat avec chacun de ses membres que lorsqu’elle connait la cohésion, c’est-à-dire que ses membres vivent en harmonie. Si ce fil d’Ariane est rompu, il faut le rétablir avec la plus grande diligence, sinon il n’y a plus société. Il s’agit alors de réconcilier la société avec elle-même en recourant à un élément lui assurant sa structure. Pour ce qui concerne le Burkina Faso, ce n’est ni la religion, ni un autre fait social de ce type, mais l’esprit de nation, l’esprit patriotique. Il ne faut pas perdre de vue que la société apparait comme réconciliation des hommes qui, auparavant, vivaient dans une situation de conflit permanente les mettant en danger les uns avec les autres. C’est dire que l’importance de la réconciliation transcende le seul espace burkinabè comme entité sociopolitique. C’est dire aussi que le Pays des hommes intègres en a, plus que jamais, besoin aujourd’hui. Le Président KABORE a-t-il enfin pris la mesure de la situation ? Sera-t-il enfin à la hauteur de la promesse, de sa promesse ? Fera-t-il en sorte que l’histoire, la grande histoire, retienne de lui, entre autres qualités, celle de président de la réconciliation nationale ?

La question doit se poser en ces termes compte tenu de l’expérience passée, faisant de tous les Burkinabè les témoins d’une promesse de réconciliation nationale non tenue. Il faut, cependant, se garder de jeter l’opprobre sur la seule gouvernance des nouvelles autorités politiques issues des élections de 2015, car cette promesse de la réconciliation nationale est d’abord née des évènements des 30 et 31 octobre 2014, évènements trouvant leurs sources dans une fracture sociale. La fracture sociale est donc antérieure à cette fameuse insurrection populaire qui, de fait, cela faisant partie de sa priorité, trouvait aussi sa raison d’être dans l’engagement pris devant les Burkinabè par ses acteurs de la résorber. C’est ainsi qu’immédiatement après l’installation du pouvoir de la Transition, est créée la Commission de la réconciliation nationale et des réformes. Une erreur politique fondamentale, car l’importance de chacune de ces deux réalités imposait de ne pas les jumeler dans une seule et même instance. Dès lors, la réconciliation nationale est vouée à l’échec puisque, in fine, elle est ravalée au rang d’une sous-commission Vérité, Justice et Réconciliation nationale. C’est dire que le projet de réconciliation nationale initié par la Transition n’est rien d’autre qu’un effet d’annonce, de la poudre aux yeux, car elle ne sert que de diversion pour asseoir et instituer une politique de la vengeance, son véritable agenda politique, à l’égard des personnalités de l’ancien régime. Celle-ci s’illustre par les différentes poursuites judiciaires et procès engagés à leur encontre, une chasse aux sorcières en somme. Peut-on parler de réconciliation nationale d’un côté, tout en brandissant le spectre de la politique de la vengeance de l’autre ?
La gouvernance post-transition, hérite de la situation. Comme un aveu d’échec des commissions et autres sous-commissions pour la réconciliation nationale mises en place par la Transition, il est créé Le Haut Conseil pour la Réconciliation et l’Unité Nationale (HCRUN) dont on est en droit, aujourd’hui, de se poser la question de son efficacité. Comment s’empêcher de penser que, encore une fois, la réconciliation nationale est mise au second plan durant le dernier quinquennat ? Deux raisons essentielles pourraient expliquer cela : la première, c’est que le nouveau pouvoir en place semble obnubilé par sa réélection qui est son principal centre d’intérêt. Mais, peut-on honnêtement et politiquement le lui reprocher ? N’est-ce pas politiquement de bonne guerre, durant un mandat en cours, que de travailler aussi à sa
réélection ? Seulement, dans le cas d’espèce, cela se fait au détriment de la réconciliation nationale. La seconde explication, comme si l’on voulait en quelque sorte prolonger la politique de la vengeance de la Transition, afin d’assoir les fondements d’une réélection devenue obsessionnelle, l’on s’est pleinement engagé dans une vengeance politique prenant la forme d’une confirmation des différents choix politico-judiciaires faits par la Transition. L’on passe ainsi de la politique de la vengeance à la vengeance politique, exacerbant encore la fracture sociale.
Telle est l’erreur politique majeure de cette nouvelle gouvernance, car à la vérité, la vengeance est comme des œillères sur un cheval, cela empêche de voir toutes les autres possibilités qui s’offrent à vous. Or ces autres possibilités, il y en a quelques unes, ce sont des femmes et des hommes de l’ancien régime qui n’attendent qu’on leur offre l’opportunité d’apporter leur pierre à l’édifice afin de permettre au pays des hommes intègres de sortir de l’ornière. Pour cela, il faut revenir à de meilleurs sentiments, il faut que l’on se parle comme à une époque encore récente. Faut-il alors considérer la création d’un Ministère de la réconciliation nationale et de la cohésion sociale comme le véritable élan vers une réconciliation totale et
patriotique ?
Reconnaissons le d’emblée, ce ministère est un aveu d’échec du HCRUN. Qu’à cela ne tienne, il faut voir sa création d’un très bon œil selon deux angles.
D’abord du coté du président KABORE, il faut reconnaitre de sa part une claire vision de l’importance qu’il faut accorder à cette action cruciale pour un fonctionnement total de la démocratie burkinabè. Le fait de consacrer un ministère entier, qui plus est un ministère d’Etat auprès du président du Faso, est, en premier lieu, une marque de respect envers le peuple burkinabè, honneur est fait à ce peuple qu’il veut voir réuni pour parler ensemble. En second lieu, ce sont les prémices d’une marque d’ouverture vers tous les Burkinabè qui sont en exil. En troisième lieu, c’est une lueur d’espoir donnée à tous les Burkinabè qui ont maille à partir avec la justice pour des raisons purement et simplement politiques. Le président KABORE est donc bien inspiré avec la création de ce ministère de la Réconciliation nationale et de la cohésion sociale, un ministère bien nommé par ailleurs qui, peut-être, rappelle la fibre social-démocrate du président du Faso. C’est une belle promesse faite aux Burkinabè. Par conséquent, il est bien parti pour être le président de la réconciliation nationale et de la cohésion sociale.

Ensuite du côté du ministre DIABRE, son entrée au gouvernement est, certes, l’histoire d’un échec politique. Après sa débâcle et celle de son parti aux dernières élections où il arrive seulement en troisième position à l’élection présidentielle et voit son parti amputer de la moitié de ses députés aux élections législatives lui faisant perdre du même coup son poste de chef de fil de l’opposition, il lui fallait rebondir politiquement afin de ne pas perdre la face. Le fait pour son parti de rejoindre la majorité et de faire son entrée au gouvernement est la meilleure offre politique à cet égard. Certes, c’est l’histoire d’une amitié, celle qui existe entre Zéphirin et Roch (le premier fut le ministre de l’économie et des finances du second alors Premier Ministre), deux compères, deux amis qui le sont toujours restés même au plus fort de leur opposition politique partisane. C’est donc aussi la main tendue d’un ami à son ami afin de lui permettre de ne pas perdre pied.
Mais, en tout état de cause, le fait pour le ministre DIABRE d’accepter cette fonction importante montre sa capacité à relever les défis. Est-il l’homme de la situation ? Là n’est pas la question, car pour une telle fonction, il n’y a pas de femme ou d’homme de la situation, il y a juste une volonté politique à exprimer. Quel que soit la femme ou l’homme, si la volonté politique y est, on devient alors la femme ou l’homme de la situation. Attendons donc de juger sur pièce. La seule certitude que nous ayons aujourd’hui, c’est que DIABRE a eu raison, et il a bien fait, d’accepter ce poste n’en déplaise à d’aucuns. C’est un homme politique d’expérience qui mérite la confiance des Burkinabè.
La réconciliation nationale dépend désormais du président KABORE et de son ministre DIABRE. Certaines opinions considèrent que réconciliation nationale rime avec justice. Soit. S’il fallait faire le choix de cette option, il faudrait alors que la justice ne soit pas sélective, qu’elle cesse d’être la justice des vainqueurs. Ce qui signifie que la justice doit aussi intervenir afin de statuer sur les actes de violence envers les personnalités de l’ancien régime qui ont vu leurs biens partir en fumée, et sur l’incendie de l’Assemblée nationale lors des évènements des 30 et 31 octobre 2014. S’il faut que la justice passe, elle doit passer partout, c’est-à-dire qu’elle doit être impartiale, objective, indépendante sans poursuivre et condamner seulement sur de simples présomptions, considérations morales, voire politiques et en dehors de toute preuve. Or, pragmatiquement, cela est-il possible ?
En réalité, la réconciliation nationale ne peut pas relever d’une décision de justice, cela ne fera qu’exacerber les tensions et oppositions sans atteindre l’objectif de la réconciliation. Comment peut-on se réconcilier avec quelqu’un qui est absent ?
Peut-on véritablement parler de réconciliation nationale avec la menace de poursuites judiciaires comme condition ? Se trouve alors posée la question des exilés et des procès politiques. La réconciliation nationale, telle qu’elle se présente aujourd’hui au Burkina Faso, est une question hautement politique, qui relève d’une décision et d’un processus de nature politique, d’autant que les sources de la fracture sont politiques. Il suffit d’avoir le courage politique de cette décision et de ce processus politiques. Il appartient donc à l’autorité politique de faire la pédagogie nécessaire à sa réalisation. Par conséquent, cela relève de la raison d’Etat, et il appartient à la raison d’Etat de s’exercer de façon totale et entière, car il y va de la survie de la nation burkinabè.

Lorsqu’on veut mettre l’accent sur l’utopie d’une situation, la formule populaire est de dire que « c’est trop beau pour être vrai ». La promesse est-elle donc trop belle pour être réalisable ? Certes, on n’est jamais sûr de rien, et tellement de promesses sont restées non tenues. Il appartient au président KABORE de faire démentir la formule, et de faire de ce second mandat son moment à lui, d’autant qu’il n’a plus le spectre de la crainte liée à l’inquiétude de sa réélection, dans l’hypothèse qu’il veuille respecter les termes de la Constitution burkinabè et qu’il veuille rompre avec cette habitude africaine de réviser la Constitution afin de s’assurer une longévité au pouvoir. Le temps politique, on le sait, étant un temps long, surtout pour un projet politique d’une telle envergure, il faut, c’est l’occasion de le dire, laisser le temps au temps. Que donc le président KABORE et son ministre de la réconciliation nationale et de la cohésion sociale prennent leur temps, sans pour autant perdre du temps.

Jacques BATIENO, professeur de philosophie (France)
Kaceto.net