Juriste de formation, spécialiste de la Responsabilité sociale des entreprises (RSE), enseignant à l’Institut supérieur d’informatique et de gestion, et au Centre d’action pour la paix à Abidjan (Côte d’Ivoire), Urbain Yaméogo préside depuis 2015 le Centre d’information et de formation des droits humains en Afrique (CIFDHA), une organisation de la société civile créée en 2009 et très impliquée, entre autres, dans le combat contre la peine de mort.
A l’occasion de la journée mondiale contre la peine de mort commémorée le 10 octobre dernier, il s’est entretenu avec Kaceto.net sur les risques que représente l’existence de la peine de mort dans notre législation, et l’urgence de l’abolir

La communauté internationale a célébré le 10 octobre, la journée contre la peine de mort. Quelle est la situation au Burkina ?

Le Burkina est un état abolitionniste de fait. La peine de mort existe dans le code pénal et dans la police des voies ferrées, un texte datant de 1978 et qui prescrit la peine de mort pour certaines infractions, comme par exemple le fait de faire dérailler le train. Les textes existent donc, et on peut les utiliser contre n’importe quel citoyen. C’est pour cela que nous plaidons pour leur suppression pure et simple parce que c’est sécurisant pour tous.
Ceux qui sont favorables à la peine de mort arguent qu’elle a un caractère dissuasif, mais ce n’est pas vrai. Premièrement, ce qui n’a jamais été appliqué ne peut dissuader, et deuxièmement, des études et surtout l’expérience dans de nombreux pays montrent que la peine de mort n’a jamais été dissuasive. Dans le cas du terrorisme, le terroriste ne va pas commettre des actes dans l’intention d’en réchapper, mais son objectif est de faire le plus de victimes possibles, y compris lui-même. Donc, lorsqu’on applique la peine de mort à ces gens-là, c’est entrer dans leur logique, et sans le savoir, on leur faciliter la tâche. Au Nigeria, la peine de mort existe et est même appliquée, mais cela n’a pas suffi à dissuader Boko Haram de commettre des attentats et de prendre en otage ceux qui exploitent le pétrole dans le pays.
Nous plaidons pour la suppression dans l’unique but de sécuriser le citoyen et faire du Burkina un Etat respectueux du droit de la vie qui est inviolable et sacrée.

Est-ce pertinent de mettre dans le même sac les bandits de grands chemins et les terroristes ?

Dans tous les cas, on ne peut pas combattre le terrorisme en exécutant le terroriste, de même que l’Etat ne peut pas entrer dans la même logique que le criminel ou celui qui commet un acte inacceptable.
Au plan international, la définition même du terrorisme est floue, et il n’y a pas de consensus dessus. Il y a des pays où la liberté d’expression peut être considérée comme un acte terroriste et j’ai en mémoire le cas de Mandela et ses camarades qui étaient taxés de terroristes parce qu’ils luttaient contre l’apartheid. Voyez au Gabon et en République démocratique du Congo ; les troubles qui y ont eu lieu récemment ont été qualifiés de terroristes, alors que ce sont des opposants et des activistes de la société civile qui protestent contre les pratiques du pouvoir en place. Quand on parle de terroristes, on pense souvent aux djihadistes, mais d’autres personnes peuvent y mettre d’autres critères pour frapper des activistes pacifiques ou des opposants politiques. Maintenir la peine de mort dans le texte, c’est la porte ouverte à toutes les dérives. Des gens ont été accusés de terroristes et incarcérés à la prison de Guantanamo où on leur a infligé des sévices. Or, s’ils avaient été jugés, ils seraient certainement condamnés à la peine de mort, mais ça n’a pas empêché l’Etat islamique de voir le jour et prospérer !

A quand remonte la dernière application de la peine de mort au Burkina ?

Pour les crimes de droit commun, on parle de 1978 quand des gens avaient été appréhendés dans la zone de Bobo. Puis, il y a eu la peine de mort qui a été appliquée contre Henri Zongo et Boukari Lingani en septembre 1989. Ils avaient été arrêtés, accusés de tentative de coup d’Etat, et certains disent qu’ils ont été jugés par un tribunal militaire à la hâte, puis passés aux armes dès le lendemain. Autrement dit, ils n’ont même pas eu la possibilité de faire appel parce que généralement, ils sont jugés par des tribunaux dont les procédures et les règles de fonctionnement ne respectent en aucun cas, le principe du contradictoire et de la défense. Il n’y pas possibilité de faire appel, encore moins d’aller éventuellement en cassation. Les juridictions militaires fonctionnent généralement ainsi et malheureusement, s’il y a erreur, il n’y a pas de possibilité de la réparer.

Comment votre message abolitionniste est-il reçu dans l’opinion, notamment chez le religieux et les autorités traditionnelles ?

Le message est très bien reçu et nous en sommes même surpris ! En réalité, c’est l’ignorance et le manque de discussion qui poussent les gens à tomber dans la facilité : il a tué, donc il faut le tuer ! On ne se pose pas la question de savoir pourquoi une personne tue son semblable et comment notre société a pu produire un tel monstre. Dans les pays développés, la police judiciaire dispose de moyens pour faire des investigations, y compris en remontant le passé de l’intéressé pour éventuellement trouver des faits qui pourraient expliquer son geste, et donc des situations atténuantes. Ce n’est pas le cas ici où on exécute les gens sans chercher à comprendre.
Les religieux comprennent notre combat, l’église catholique est sensible à notre discours parce qu’elle est engagée contre la peine de mort. Pareil pour les protestants à travers la Fédération des églises et missions évangéliques (Feme). Pour preuve, lors de la consultation devant le Conseil national de la transition (CNT) à l’occasion de la proposition de loi du président du parlement Cheriff Sy, la communauté protestante avait envoyé un délégué pour dire qu’elle soutient clairement l’abolition de la peine de mort. Là où ça posait problème, c’était au niveau de la communauté musulmane, tout simplement parce qu’elle a de la peine à parler d’une seule voix. Du coup, des individus s’auto-investissent représentants des musulmans et parlent en son nom alors qu’ils ne représentent rien.
J’ai en mémoire une personne qui était venue au CNT et disant parler au nom de la communauté musulmane. Il avait clairement déclaré que s’il y a un débat sur le sujet, eux, musulmans, sortiront marcher contre. Nous avons eu un premier débat avec lui à la télé, et à la fin, on a senti qu’il était un peu ébranlé dans ses convictions. Au deuxième débat, il était encore là, mais il a dit qu’il est venu en son nom propre. Lorsque nous avons organisé une formation contre la peine de mort, il est encore venu participer et on voyait que ses positions avaient vacillé, même s’il avait encore des difficultés à dire qu’il est contre. L’essentiel est qu’il est maintenant ouvert au dialogue.

Quelle est la position du recteur de la mosquée de Ouagadougou ?

Nous n’avons pas sa position sur le sujet, mais en revanche, nous avons reçu des responsables religieux musulmans membres de la Ligue islamique pour la paix, et d’autres qui ont dit clairement qu’ils sont contre la peine de mort. Ils disent que dans le coran, il y a la loi du talion, mais il y a aussi des éléments qui soutiennent l’abolition de la peine de mort, et qui plaident en faveur du pardon.

Que disent les autorités traditionnelles ?

Nous les avons invitées au dialogue, mais elles n’ont pas répondu. Dans le cadre du plaidoyer que nous menons, nous allons solliciter une audience auprès du Mogho-Naba et demander son soutien.

Pourquoi le CNT a-t-il échoué à abolir la peine de mort ?

Il a manqué de courage au parlement de la Transition même s’il y avait des députés courageux qui ont défendu bec et ongle la cause abolitionniste. Rappelez-vous, on était dans un contexte où la rue gouvernait , et dans les émissions interactives sur les radios, la tonalité générale n’était pas favorable à l’abolition de la peine de mort. Certains ont alors pensé qu’il ne fallait rien faire, et l’examen de la loi a été repoussé à une date ultérieure. Quand le texte devait repasser au parlement, il y a eu le coup d’Etat et beaucoup se sont résolus à faire le deuil de cette loi.

Allez-vous demander au parlement actuel de remettre le dossier sur la table ?

Il y a plusieurs possibilités pour abolir la peine de mort : par le biais de la réforme constitutionnelle. La commission qui travaille actuellement à la rédaction d’une nouvelle constitution pourrait prévoir un article supprimant la peine de mort comme ça été fait en Côte d’Ivoire. Ensuite, par la voie parlementaire à travers, soit un projet de loi, soit une proposition de loi. Nous savons que le président Roch Kaboré est abolitionniste puisqu’il l’a dit à plusieurs reprises et nous espérons qu’il ne va pas reculer. L’autre voie consiste à réformer le code pénal et la police des voies ferrées en substituant la prison à perpétuité à la peine de mort. Il est aussi possible de passer par la voie judiciaire en demandant au conseil constitutionnel de déclarer la peine de mort anticonstitutionnelle. C’est ce qui a été fait en Afrique du Sud, quelque temps après la libération de Mandela.

Y a-t-il un espoir de voir la peine de mort abolie dans un avenir plus ou moins proche ?

Il y a un réel espoir car le Burkina a signé des textes internationaux, dont le Pacte international relatif aux droits politiques et civiques qui consacre le caractère inviolable de la vie. L’article 2 de notre constitution actuelle dit que la vie est garantie à tous et on ne peut pas accepter que le code pénal, qui est inférieur à la constitution consacre encore la peine de mort. Enfin, on peut ratifier le protocole facultatif des Nations unies relatif aux civils et politiques qui visent l’abolition de la peine de mort comme l’a fait le Bénin.

Fin juin dernier, vous étiez à Genève où le rapport du Burkina sur la situation des droits de l’homme a été examiné par le Comité des droits de l’homme de l’ONU. Qu’en est-il des recommandations qui avaient été faites au gouvernement représenté à l’occasion par le ministre de la Justice ?

C’est vrai que les experts ont exprimé des inquiétudes sur la situation des droits de l’homme au Burkina et ont fait des recommandations visant à l’améliorer.
Depuis la publication le 15 juillet des observations de la commission des nations unies sur les droits de l’homme, beaucoup de choses ont été faites. J’imagine que le ministre René Bagoro a fait le point à ses supérieurs hiérarchiques à son retour car on a vu qu’une réunion a rapidement été organisée au ministère de l’Administration territoriale et la décentralisation en présence du ministre de la Justice, avec les responsables des Koglwéogos. A cette réunion, l’Etat a tenu un discours de fermeté vis-à-vis des Koglwéogos et très vite, on a vu que les exactions ont baissé.
Nous faisons un travail d’accompagnement par la formation et l’adoption d’une feuille de route suivant les recommandations de Genève. Des opérations sont programmées avec des résultats attendus, selon un calendrier assorti d’indicateurs d’évaluation visant à améliorer la situation des droits de l’homme.
Récemment, nous avons eu une rencontre régionale à Lomé et différents pays qui appliquent les recommandations formulées à leur intention étaient présents : Mauritanie, Tchad, Togo, Côte d’Ivoire, Bénin et Burkina. Il s’est agi de partager les expériences dans l’application des recommandations. Chaque pays était représenté par la société civile, un responsable de la commission nationale des droits humains, un ministre du gouvernement et des députés. J’y étais au nom du CIFDHA, aux côtés du directeur de la défense des droits humains, Jean de Dieu Bambara, de Somitié Sougué pour le CNDH, des députés Jacob Ouédraogo et Alphonse Nombré. Ensemble, nous avons réfléchi sur la manière de travailler sur l’application des observations et à affiner le plan d’action.

Le CIFDHA est-il représenté dans les provinces ?

Non, nous ne sommes pas très nombreux et on n’a pas de ressources financières nous permettant d’avoir des représentants en province. Nous veillons sur les critères de recrutement afin d’éviter que n’importe qui parle en notre nom. Nous sommes une organisation dont les membres, une trentaine, sont des experts, chacun dans son domaine : avocat, magistrat, sociologue, médecin, etc.
A partir de Ouagadougou, nous travaillons sur l’ensemble du pays comme on l’a fait lors des élections à travers la sensibilisation des jeunes pour le vote à Kaya, Boulsa, Koupéla, Zorgho, Ziniaré.

Bénéficiez-vous de subventions de l’Etat burkinabè ?

Pas du tout ! Peut-être parce qu’on ne l’a pas jamais demandé. Mais, nous savons que l’Etat n’a pas les moyens de nous aider puisque les autres n’en bénéficient pas non plus. Ce n’est pas si mauvais que ça, car cela nous garantit une forme d’autonomie dans nos activités. Nous avons le soutien de l’Etat de Genève, de notre partenaire, le NDI, la coopération suisse et l’Organisation internationale de la francophonie.

Vous avez été élu en 2015 pour un mandat de trois ans. Pensez-vous à un deuxième mandat ?

Pas du tout ! J’ai une haute idée de l’alternance et j’estime qu’un seul mandat suffit, ce qui ne m’empêche pas d’être toujours utile au mouvement en étant simple militant. Je ne suis donc pas candidat à ma succession car il faut l’alternance pour assurer la viabilité de l’organisation. Une organisation ne doit pas vivre que par un individu, sous peine de disparaitre avec lui un jour.

Propos recueillis par Joachim Vokouma
Kaceto.net