Une enquête des Nations unies conclut qu’une frappe aérienne conduite par l’armée française au Mali en janvier a tué 19 civils réunis pour un mariage.

Le rapport constitue la plus sérieuse mise en cause d’une opération de la force antidjihadiste Barkhane par les Nations unies depuis le début de l’engagement français au Sahel en 2013.

D’après la Mission de l’ONU au Mali (Minusma), une frappe aérienne conduite par l’armée française au Mali le 3 janvier a tué 19 civils réunis pour un mariage, ainsi que trois djihadistes. Paris conteste ces conclusions, réfutant toute bavure. Voici ce qu’il faut retenir de ce dossier hautement inflammable pour l’armée française.

Les faits : une frappe sur un regroupement présumé de djihadistes

La Katiba Serma, affiliée au Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM, ou JNIM en arabe), alliance djihadiste elle-même affiliée à Al-Qaïda, a été la cible d’une frappe française, en tout début d’année, dans la région de Bounti. L’opération s’inscrivait dans le cadre d’"Eclipse", menée principalement dans le centre du Mali, mais également au Burkina Faso et au Niger voisins par Barkhane et ses partenaires locaux.

Les autorités françaises ont toujours assuré qu’il n’y avait pas de mariage, que le renseignement avait "formellement" établi avoir affaire à un des nombreux rassemblements de djihadistes dans la région et que l’intervention d’une patrouille d’avions français lâchant trois bombes avait "neutralisé" une trentaine de ces terroristes. Les éléments disponibles "permettent d’exclure la possibilité d’un dommage collatéral", avait déjà fait savoir en janvier l’état-major français dans un communiqué.

L’enquête : d’après l’ONU, la frappe a fait 22 morts, dont 19 civils

Problème, le document de l’ONU, rédigé à partir des investigations de la Division des droits de l’Homme de la Minusma appuyée par la police scientifique des Nations unies, indique que c’est bien un groupe d’hommes réunis par un mariage près de la localité de Bounti qui a été atteint par une frappe aérienne de Barkhane le 3 janvier. Mais principalement des civils.

Au moins 22 personnes ont été tuées, dont trois membres présumés de la Katiba Serma ; 19 sur le coup, 3 au cours de leur évacuation, dit le document. L’ONU s’appuie, dans son enquête, sur des entretiens directs avec au moins 115 personnes, presque autant d’entretiens téléphoniques et un certain nombre d’entretiens de groupes. La Minusma "est en mesure de confirmer la tenue d’une célébration de mariage qui a rassemblé sur le lieu de la frappe une centaine de civils parmi lesquels se trouvaient cinq personnes armées, membres présumés de la Katiba Serma", dit le résumé du rapport.

Les experts de l’ONU n’ont trouvé sur place aucun élément attestant la présence d’armes ou de motos, moyen de déplacement privilégié des djihadistes, livre également le rapport sans expliquer l’apparente contradiction avec le fait que des membres présumés de la Katiba Serma étaient armés.

Le rapport de la Minusma"soulève des préoccupations très importantes sur le respect de la conduite des hostilités", a réagi dans la foulée de la publication du document le porte-parole de l’ONU. Elles portent aussi sur "les principes de précaution et l’obligation des États membres de tout faire pour vérifier que les cibles sont bien des objectifs militaires", a ajouté Stéphane Dujarric lors de son point-presse quotidien.

La France se défend de toute bavure

Le ministère français des Armées a de nouveau réfuté mardi avoir commis toute bavure au Mali. Il a émis "de nombreuses réserves sur l’enquête de l’ONU. Il "maintient avec constance et réaffirme avec force" que "le 3 janvier, les forces armées françaises ont effectué une frappe aérienne ciblant un groupe armé terroriste identifié comme tel" près de Bounti (centre) et "émet de nombreuses réserves quant à la méthodologie retenue" et "ne peut considérer que ce rapport apporte une quelconque preuve contredisant les faits tels que décrits par les forces armées françaises".

La ministre des Armées Florence Parly avait assuré que les affirmations sur une bavure française relevaient d’une "guerre informationnelle". Les autorités maliennes avaient fourni des évènements une version cohérente avec celle de la France. La Minusma recommande toutefois aux autorités maliennes et françaises de diligenter "une enquête indépendante, crédible et transparente". Elle préconise d’examiner les processus préalables aux frappes, voire de les modifier. Elle recommande aussi aux Français et aux Maliens de chercher à établir les responsabilités et d’octroyer le cas échéant une réparation aux victimes et à leurs proches.

Pourquoi ça compte ?

La France engage environ 5 100 hommes au Sahel au sein de la force Barkhane. Elle a déjà en butte par le passé à des soupçons de bavure. La politologue Niagale Bagayoko, présidente de l’African Security Sector Network, organisation panafricaine qui réunit des spécialistes de la réforme des politiques de sécurité, estimait auprès de L’Express en tout début d’année que ce genre de manoeuvre pouvait alimenter le "doute de plus en plus généralisé quant à la pertinence, l’efficacité et la justification d’une présence militaire française dont les opérations ne procurent pas, aux yeux des populations locales, un surcroît de sécurité". Voire, carrément, un "sentiment anti-Français".

Selon l’ancien colonel Michel Goya, l’opération arrive à son "seuil d’acceptabilité" aux yeux des populations locales comme de l’opinion française. Au G5 Sahel, début février, Emmanuel Macron a néanmoins salué le recul de l’Etat islamique dans la région et appelé à renforcer la lutte contre les djihadistes. Le chef de l’État a décidé de garder le même cap, sans réduire les effectifs de Barkhane.

L’Express