Le discours d’Orientation Politique (DOP) est LE discours de référence par excellence du projet politique de la Révolution Démocratique et Populaire (RDP) burkinabè (1983-1987). Il a été diffusé le 2 octobre 1983, à partir d’un enregistrement effectué la veille par le Capitaine Thomas SANKARA, président du Conseil National de la Révolution, président du Faso, Chef de l’Etat

A Ouagadougou, la capitale du Burkina Faso, un monument - le monument du 2 octobre - a été érigé pour marquer à jamais ce moment historique et fondateur de la Révolution burkinabè. Dans ce court article, je vous propose un bref décryptage de ce discours aux plans énonciatif et sémantique.
✅Le DOP est construit sur un style plutôt narratif (importance de la dimension « récit »). SANKARA en donne le ton dès le début du discours : « Je vous invite, avec moi, à jeter un regard rétrospectif afin de tirer les enseignements nécessaires pour déterminer correctement les tâches révolutionnaires qui se posent à l’heure actuelle et dans le prochain avenir. En nous dotant d’une claire perception de la marche des évènements […] En sommes : d’où sommes-nous venus ? Et où allons-nous ? Ce sont là les questions de l’heure qui exigent de nous une réponse claire et résolue, sans équivoque aucune, si nous voulons marcher hardiment vers de plus grandes et de plus éclatantes victoires. »
✅La mise en scène du DOP est dynamique. Il s’agit d’un récit dynamique : usage massif des verbes dits factifs (verbes d’action). Répartition des verbes par catégories : verbes factifs (54,9%) ; verbes statifs (31,1%) ; verbes déclaratifs (14%) et verbes performatifs (0,1%). Pas de surprise, les discours politiques sont en général riches en verbes factifs, comme pour bien souligner que l’on est dans l’action et pas seulement dans la réflexion et le constat.
✅Le DOP est un récit dynamique et dramatisé. La dramatisation est marquée entre autres par un usage hautement significatif des modalisations d’intensité (43,9% des modalisations. Exemples d’intensifs utilisés : tout, tous, de plus en plus, particulièrement, grandement, véritablement, essentiellement, à peine, tout cela, de toutes sortes, chaque, par tous les moyens, encore, massivement, énormément, etc.). La dramatisation est l’action de dramatiser quelque chose, c’est-à-dire de donner un tour dramatique voire tragique à une situation ou faire ressortir exagérément la gravité/accentuer les péripéties, d’après le Trésor de la Langue Française informatisé (TLFi). Cette dramatisation rend le discours plus vivant et plus impressionnant. Elle n’est pas sans lien avec une visée de persuasion et d’influence assumée.

✅Enfin, notons que le DOP est significativement régi par une structure énonciative mettant en opposition les pronoms « NOUS » (15,2% des pronoms personnels sujets) et « ILS,ELLES,EUX » (15,8% des pronoms personnels sujets). Pour aller vite, disons que c’est « NOUS, les révolutionnaires » contre « ILS,ELLES,EUX , les contre-révolutionnaires/réactionnaires ». C’est en dénonçant/combattant les agissements des « ILS,ELLES,EUX » que se pose et se construit le « NOUS ». Celui ou celle qui se reconnaît dans ce « NOUS » devient « co-révolutionnaire » si j’ose dire, et s’inscrit du même coup dans le régime de la coénonciation révolutionnaire. Au fond, on a là l’expression du processus de la construction d’une « puissance d’agir ». Car comme le disait Anthony Pecqueux : « Reprendre le pouvoir de se définir c’est refuser qu’Eux Nous définissent à Notre place : définissent Nos pratiques, manières d’être, souffrances, pensées, etc. » (Pecqueux A., Le rap, Paris, Le Cavalier Bleu, 2009, p. 107. Eh oui, le rap est rebelle et révolutionnaire… enfin, à l’origine !).
Je m’arrête là pour les observations sur les aspects formels du DOP. Regardons maintenant la dynamique de l’univers sémantique qui y est déployé. J’ai retenu ici vingt-trois références structurantes et j’ai calculé la répartition de leurs occurrences dans cinq parties successives du texte contenant un nombre égal de mots. Le tableau suivant révèle trois temps forts successifs et intimement liés de la dynamique de cette mise en scène discursive.
✅Le premier temps du DOP est marqué par la mise en scène d’un peuple (le peuple voltaïque en l’occurrence) luttant contre/rejetant ses ennemis, les forces réactionnaires, néocoloniales, impérialistes, de domination et d’exploitation… et la mise en avant des enjeux de production et d’investissement productif.

✅Le deuxième temps du DOP consacre significativement l’entrée en scène des « adjuvants » du peuple en lutte (les « adjuvants » sont les « aidants » face aux « opposants » dans le « schéma actanciel » introduit en 1966 par le linguiste et sémioticien Algirdas Julien GREIMAS). Il s’agit des principaux acteurs de la Révolution Démocratique et Populaire (RDP) que sont le Conseil National de la Révolution avec à sa tête Thomas SANKARA et les Comités de Défense de la Révolution (CDR), qui sont les incarnations du pouvoir révolutionnaire.
✅Enfin, le troisième et dernier temps du DOP nous plonge au cœur des idéaux du pouvoir révolutionnaire dont (pour ne citer que quelques-uns ici visibles) :
  L’indépendance, la liberté, l’intégrité territoriale et la souveraineté nationale ;
  La libération et l’émancipation de la femme ;
  La révolution culturelle. Prenons un instant : « La révolution attend de nos artistes qu’ils sachent décrire la réalité, en faire des images vivantes, les exprimer en notes mélodieuses tout en indiquant à notre peuple la voie juste conduisant vers un avenir meilleur. Elle attend d’eux qu’ils mettent leur génie créateur au service d’une culture voltaïque, nationale, révolutionnaire et populaire. Il faut savoir tirer ce qu’il y a de bon dans le passé, c’est-à-dire dans nos traditions, ce qu’il y a de positif dans les cultures étrangères, pour donner une dimension nouvelle à notre culture. La source inépuisable, pour l’inspiration créatrice des masses, se trouve dans les masses populaires. Savoir vivre avec les masses, s’engager dans le mouvement populaire, partager les joies et les souffrances du peuple, travailler et lutter avec lui, devraient constituer les préoccupations majeures de nos artistes. » (DOP, 2 octobre 1983) :
  Les nécessaires transformations révolutionnaires, radicales de la société d’alors ;
  Les réformes révolutionnaires à conduire, notamment dans les domaines scolaire et agraire.
  Etc.
En vous encourageant à lire et à relire le DOP, ce discours fondateur de la Révolution d’août 1983 qui n’a rien perdu de sa force et de sa pertinence en de nombreux points, 38 ans après ! Un véritable projet de société.

Ousmane SAWADOGO, Consultant Text Analytics & Analyse sémantique
Kaceto.net