Panafricanisme (s), panafricaniste (s), Panafricain(e)s, ce sont là des termes bien en vogue et qui font couler beaucoup d’encre en ce moment. Mais que se dit-il autour de ces termes ? Pour en avoir une idée ramassée, j’ai analysé un corpus significatif et pertinent de titres de publications francophones en ligne centrés sur ces termes et couvrant une période de deux décennies successives (2002-2021). La cartographie sémantique issue de cette analyse permet de distinguer en gros deux blocs sémantiques liés : un bloc sémantique autour du groupe de références « panafricanisme / panafricanistes » et un bloc sémantique autour de la référence « panafricain(e)s ».

✅ Le bloc sémantique autour de « panafricanisme(s)/panafricaniste(s) », indiqué par le « crochet vert » sur la cartographie ci-jointe, pointe le fait que le panafricanisme est un mouvement intellectuel, idéologique et politique (indépendantisme, patriotisme, anticolonialisme, anti-impérialisme, lutte, militantisme, etc.) entre Africains et Afro-Américains (ou Africains-Américains si l’on préfère) qui considèrent ou qui ont considéré les Africains et les peuples d’ascendance africaine comme homogènes et devant s’unir. Dans ce bloc sémantique on peut observer un petit cercle panafricaniste qui va de W.E.B. DU BOIS à l’activiste Kémi SEBA. J’y reviendrai en détail car c’est important d’avoir à l’esprit (pour ensuite chercher à mieux connaître leurs contributions) ces figures qui ont jalonné le mouvement panafricaniste des débuts jusqu’à nos jours.

✅ Le bloc sémantique autour de « panafricain(e)s », indiqué par le « crochet violet » sur la cartographie, quant à lui, met en évidence la dimension culturelle en général (culture musique, cinéma, etc.), éducationnelle (éducation, école, université, recherche, institut, formation), organisationnelle (parlement, charte, association, institution, fédération, organisations, congrès, conférence, forum, réunion, etc.) et communicationnelle (radio, chaîne de télévision, média, évènement, information, etc.) du mouvement panafricain. Pour la culture on notera la centralité du Festival panafricain d’Alger de 1969 (dont le fim documentaire de William KLEIN rend compte) et qui a eu pour icône la « Mama Afrika » Miriam MAKEBA et bien sûr l’incontournable Festival panafricain du cinéma de Ouagadougou (FESPACO).

✅ Je fais remarquer que si l’on s’en tient à cette cartographie sémantique autour des termes « panafricanisme(s), panafricaniste(s) et Panafricain(e)s », issue d’une analyse sémantique d’un corpus significatif et pertinent de titres de publications francophones en ligne centrés sur ces termes, il y a comme des « silences thématiques » qui questionnent. En effet, quid des dimensions économico-financières, juridiques et de défense ? Je vous laisse y réfléchir.

✅ A l’origine, convenons que le panafricanisme fut un mouvement idéologique et politique porté par l’intelligentsia afro-américaine. Le premier congrès panafricain a eu lieu à Londres en juillet 1990, à l’initiative d’un certain Henry Sylvester Williams (Il n’apparaît que 6 fois dans mon corpus !!), avocat de Trinité. Ainsi, de 1900 à pratiquement 1950, le mouvement panafricain s’est mobilisé autour des causes des peuples africains contre l’esclavage, la discrimination raciale, la conquête et la domination coloniales. Il semble bien que les écrits et les actions des leaders de ces premières heures du mouvement panafricain continuent d’inspirer les luttes actuelles. C’est le cas de W.E.B DU BOIS, Marcus GARVEY, George PADMORE, Kwame NKRUMAH, pour ne citer qu’eux.

✅ A cette source originelle est venue se greffée une deuxième source historique : celle du mouvement progressiste africain qui a mené des luttes contre la domination impérialiste et l’exploitation dans les différentes colonies, pour l’émancipation et l’indépendance nationale. A partir donc des années 1950, le mouvement panafricain et les luttes anticoloniales vont fusionner en un seul et même mouvement historique qui a débouché sur ce qu’on a appelé le « vent du changement » en Afrique.

✅ On tend à l’oublier (y compris dans mon corpus de titres), mais il y eu la conférence de Bandoeng (Indonésie, 17 au 24 avril 1955) où 29 délégués des pays d’Afrique et d’Asie se sont réunis pour affirmer leur volonté d’indépendance et leur non-alignement sur les puissances occidentales. C’est ainsi que ce que l’on a appelé les « dynamiques de Bandoeng » (auxquelles les Kwame NKRUMAH (Ghana), Modibo KEÏTA (Mali), Jomo KENYATTA (Kenya), Julius NYERERE (Tanzanie), Ahmed Sékou TOURE (Guinée), etc., ont joué un rôle décisif avec leurs homologues asiatiques), ont donné un coup d’accélérateur à la décolonisation de l’Afrique. Tous les participants de ce congrès s’accordèrent sur leur volonté de coopérer et de s’opposer au colonialisme. Ils revendiquèrent :

 La décolonisation et l’émancipation des peuples d’Afrique et d’Asie ;
 La coexistence pacifique et le développement économique ;
 La non-ingérence dans les affaires intérieures.

✅ Sur la base de l’analyse du corpus des titres retenu, et pour vous mettre de l’eau à la bouche, je vous livre ici quelques noms illustres qui ont marqué et continuent de marquer le fil du mouvement panafricaniste et progressiste des origines à nos jours, de DU BOIS au bouillonnant et controversé militant panafricaniste et anticolonialiste Kémi SEBA.

Le cercle restreint des célèbres panafricanistes du champ sémantique des termes « panafricanisme(s) / panafricaniste(s) et Panafricain(e)s » dans les titres de publications francophones en ligne entre 2002 et 2020. N.B. J’ai pioché une bonne part des éléments de présentation des personnalités ici concernées dans Wikipédia.

✅ William Edward Burghardt DU BOIS dit « W.B.B. DU BOIS » (1868-1963). Sociologue, historien, militant des droits civiques, militant panafricaniste, éditorialiste et écrivain américain. DU BOIS est un des penseurs Africains-Américains les plus influents du XXè siècle. Il est l’un des précurseurs centraux du mouvement panafricaniste. De nombreux écrits et conférences lui ont été consacrés aux Etats-Unis comme en Afrique et partout dans le monde. La vision panafricaine de DU BOIS a certainement influencé nombre d’élites politiques et intellectuelles de son temps, en particulier les nationalistes afro-centristes et leaders indépendantistes du continent africain. Son choix de s’exiler au Ghana montrait d’une certaine façon une volonté de « retour aux sources » qui habitait l’esprit de beaucoup d’Africains-Américains.

✅ Marcus Mosiah GARVEY (1887-1940). Né en Jamaïque, il est considéré comme un prophète par le mouvement Rastafari. Précurseur du panafricanisme, chantre de l’union des Noirs du monde entier à travers son Journal « The Negro World », il est aussi un promoteur obstiné du retour des descendants des esclaves Noirs vers l’Afrique (« Back to Africa » ou « Repatriation »).

✅ George PADMORE (1901-1959). Leader noir panafricaniste de l’Île de Trinité. E, 1945, il compte parmi les principaux organisateurs du Congrès panafricain de Manchester auquel participait DU BOIS, Jomo KENYATTA ou encore Kwame NKRUMAH. Ce Congrès de 1945, considéré comme le plus important, marque les débuts du panafricanisme militant.

✅ Cyril Lionel JAMES (1901-1989). Intellectuel, théoricien marxiste et militant politique de la colonie britannique de Trinité. Il adopte à travers ses travaux une triple perspective à la fois anticolonialiste, marxiste et panafricaniste. Son livre marquant, « Histoire des révoltes panafricaines » (2018), est une traduction d’un livre écrit en 1938 sous le titre « A History of Negro Revolt », réédité en 1969 sous son titre actuel « A History of Pan-African Revolt ».

✅ Kwame NKRUMAH (1909-1972). Homme d’Etat, indépendantiste et fervent panafricaniste qui dirigea le Ghana, d’abord comme premier ministre de 1957 à 1960, puis en qualité de président de la République de 1960 à 1966. Ami personnel de PADMORE, il organise avec lui les 6ème et 7ème Conférences panafricaines en 1953 et en 1958 au Ghana. Il a appelé de ses vœux la naissance des « Etats-Unis d’Afrique » et a tenté une union avec la Guinée de Sékou TOURE et le Mali de Modibo KEÏTA. Cette union est restée symbolique, mais elle a eu le mérite d’exister.

✅ Modibo KEÏTA (1915-1977). Chef du gouvernement de la Fédération du Mali puis président du Mali de 1960 à 1968, Modibo KEÎTA fut un panafricaniste et un tiers-mondiste convaincu. Pour lui, l’unité africaine passait avant la souveraineté de son propre pays. En cela il partageait la même vision que ses amis NKRUMAH et Sékou TOURE.

✅ Ahmed Sékou TOURE (1915-1977). 1922-1984). Premier président de la République de Guinée. Premier pays de l’Afrique francophone a devenir indépendant, la Guinée de Sékou TOURE a contribué de manière active à accélérer le processus de décolonisation de l’Afrique en opposant un « NON » retentissant et mémorable au Général De Gaulle. Contestateur de l’ordre colonial en Afrique et fervent panafricaniste, il partageait avec NKRUMAH et Modibo KEÏTA des positions très proches sur la scène internationale.

✅ Joseph KI-ZERBO (1922-2006) fut un homme politique burkinabè et surtout un éminent historien de l’Afrique et un grand intellectuel connu et reconnu dans le monde. KI-ZERBO a renouvelé, avec le Sénégalais Cheikh Anta DIOP, les études sur l’histoire générale de l’Afrique. Il est considéré comme l’un des plus grands penseurs de l’Afrique contemporaine. Il a consacré une bonne part de sa vie au combat panafricaniste. Son parcours panafricaniste s’est nourri des rencontres avec de grands panafricanistes de renom comme NKRUMAH, A. CABRAL, P. LUMUMBA, J. NYERERE, etc. Il est même allé jusqu’à porter main forte à Sékou TOURE en 1958. Pour lui, l’Afrique doit se libérer, et cette libération doit se faire de façon panafricaine ou elle ne se fera pas.

✅ Cheikh Anta DIOP (1923-1986) est un scientifique de formation, grand historien, anthropologue, chimiste et homme politique Sénégalais. Son immense œuvre a montré l’apport de l’Afrique et en particulier de l’Afrique Noire à la culture et à la civilisation mondiale. S’agissant de l’unité politique de l’Afrique, C. A. DIOP ne parlait pas de panafricanisme en tant que tel. Il proposait le fédéralisme comme cadre d’unification de l’Afrique noire dans son ouvrage « Les fondements culturels et industriels d’un futur Etat fédéral d’Afrique » (Présence africaine, 1960).

✅ Julius Kambarage NYERERE (1922-1999) fut premier ministre de la Tanzanie de 1960 à 1961, puis président de la République de Tanzanie de 1964 à 1985. Il est considéré comme l’un des principaux représentants de ce que l’on a appelé le « socialisme africain ». En cela il participait du courant de pensée des SENGHOR, Modibo KEÏTA, Sékou TOURE, Kenneth KAUNDA, NKRUMAH, A. CABRAL. Il revendiquait l’unité africaine, car disait-il : « Sans unité, les peuples d’Afrique n’ont pas de futur, sauf comme perpétuelles et faibles victimes de l’impérialisme et de l’exploitation ». Sa réflexion sur la place et le rôle de l’armée est pertinente et terriblement d’actualité. Le constat de l’influence démesurée des jeunes armées africaines sur la politique nationale et leur incapacité à lutter contre l’intrusion des grandes puissances l’incitait à militer pour la construction d’une armée commune aux pays d’Afrique ».

✅ Patrice Emery LUMUMBA (1925-1961). Mort assassiné le 17 janvier 1961, LUMUMBA est un homme d’Etat congolais, premier ministre de la République du Congo de juin à septembre 1960. Il est, avec Joseph KASA-VUBU, l’une des principales figures de l’indépendance du Congo belge. LUMUMBA est une figure tutélaire du continent africain, présents encore aujourd’hui dans les cœurs de beaucoup de jeunes africains de l’intérieur comme de l’extérieur. Par son charisme, la qualité de son verbe et ses positions radicales anticoloniales, indépendantistes et résolument panafricaines, il a su déchainer des passions. Sa participation en décembre 1958 à la Conférence panafricaine des peuples organisée à Accra par Kwame NKRUMAH lui a permis d’apparaître comme un leader panafricain de premier plan. Son discours mémorable prononcé le jour de l’indépendance du Congo l’a sûrement transformé en icône du mouvement libérateur du Tiers-Monde.

✅ Edem KODJO (1938-2020). Ancien premier ministre du Togo (en 1994-1996 et en 2005-2006), il a été Secrétaire général de l’organisation de l’unité africaine (OUA) de 1978 à 1983. Edem KODJO, le « Panafricain panafricaniste » comme le qualifiait RFI était un adepte d’un panafricanisme dit « rationnalisé ». Dans nombre de ses ouvrages il donne « son » mode d’emploi pour parvenir à l’unité africaine. Pour lui, les citoyens du continent espéraient cette union, tout comme ils rêvaient d circuler librement en Afrique, mais leurs chefs d’Etat ne semblaient pas encore acquis à cette cause.

✅ Mouammar KADHAFI (1942-2011) est un militaire et un homme d’Etat libyen, « Guide de la Révolution libyenne à partir de 1980 jusqu’à sa mort violente en le 20 octobre 2011 à la suite d’une insurrection armée. Sur la scène internationale, KADHAFI a milité pour le panarabisme et le panafricanisme. « Nous sommes des hommes libres. L’Afrique est la propriété des Africains » proclamait-il le 27 juin 2007 à Abidjan (Côte d’Ivoire), en appelant à la constitution d’un seul gouvernement africain, d’une seule armée de 2 millions de soldats, d’une seule monnaie, afin de « résister à l’Occident ».

✅ Thomas SANKARA (1949-1987). Le leader de la Révolution burkinabè (août 1983 – octobre 1987) est un militaire, un homme d’Etat anti-impérialiste, révolutionnaire, marxiste, panafricaniste et tiers-mondiste. Surnommé le « Che Guevara africain », son engagement panafricaniste ne souffrait d’aucune ambiguïté. La puissance de son engagement, de ses discours et de son action politique ont fait de lui un pur héros panafricaniste notamment aux yeux de la jeunesse africaine à l’intérieur du continent comme dans la diaspora et au-delà. Mais, à en croire Amzat BOUKARI-YABARA que je présenterai plu loin, le panafricanisme de SANKARA se distinguait par la défense du principe d’émancipation des peuples, pas simplement des Etats comme chez ses prédécesseurs. C’est ainsi qu’il voulait fédérer autour d’enjeux régionaux, comme la lutte contre la désertification, la question de la dette, le rapport à l’histoire des Noirs (d’où la création de l’Institut des peuples noirs : IPN), la promotion des arts et des cultures africains (d’où par exemple l’éclat donné au Festival panafricain du cinéma de Ouagadougou, FESPACO ou au Salon international de l’artisanat de Ouagadougou, SIAO) etc... Une approche pragmatique donc.

✅ Roger Nkodo DANG est un homme politique Camerounais. Il a assuré la présidence du Parlement panafricain (PAP) entre 2015 et 2020. Le Parlement panafricain est l’Assemblée consultative de l’Union africaine, organisation continentale regroupant 55 pays africains. Sa première session inaugurale a eu lieu le 16 septembre 2004. L’Assemblée est composée de 265 députés. Chacun des 44 pays membres ayant ratifié le texte constitutif de l’Union envoie 5 députés élus ou nommés par les parlementaires nationaux. Les principaux partis ou mouvement politiques nationaux doivent être représentés dans cette délégation, ainsi qu’au moins une femme.

✅ Amzat BOUKARI-YABARA est un historien béninois spécialiste du continent africain, qui s’inscrit dans le mouvement historique et politique du panafricanisme. Sa thèse de doctorat est intitulée : « Walter Rodney : Itinéraire et mémoire d’un intellectuel africain. Les fragments d’une histoire engagée du panafricanisme ». Il s’est fait notamment connaître par son ouvrage « Africa Unite ! Une histoire du panafricanisme » paru en 2017. Il y retrace les grandes figures du panafricanisme come NKRUMAH, LUMUMBA, NYERERE, SANKARA, Martin Luther KING, MALCOLM X ou encore Stokely CARMICHAEL, et y interroge l’avenir de ce mouvement politique et intellectuel. BOUKARI-YARABA a été élu, le 19 décembre 2021 pour 4 ans, président de la Ligue Panafricaine UMOJA (LP-UMOJA. « UMOJA » veut dire « Unité » en Swahili). LP-UMOJA a pour objectif de fédérer les panafricanistes et tous les Africains dans la réalisation de l’Unité, l’Indépendance et la Renaissance du continent africain à travers la construction d’un Etat fédéral africain (Etats-Unis d’Afrique), en droite ligne avec la vision de KRUMAH.

✅ Amadou Elimane KANE est un poète, écrivain, enseignant et chercheur dans le domaine des sciences cognitives à Paris en France. Il est le fondateur de l’institut culturel panafricain et de recherche de Yene-Todd au Sénégal. C’est un intellectuel panafricaniste et auteur de plusieurs articles de recherche portant sur la Renaissance africaine publiés dans des revues scientifiques. Il est Lauréat du Prix de la Renaissance africaine 2006 et de bien d’autres prix. Il est aussi un des pourfendeurs du franc CFA dont il demandait la réforme dans une déclaration collective en janvier 2020.

✅ Kémi SEBA est l’un des jeunes activistes en vue sur le continent africain. De son vrai nom Stellio (Stélio) Gilles Robert Capo Chichi, né le 9 décembre 1981 à Strasbourg (il est franco-béninois), il est un activiste anticolonialiste, polémiste politique de télévision et conférencier panafricaniste en Afrique. Chef d’entreprise et essayiste, il est aussi une figure du radicalisme noir et du panafricanisme militant. Avec son ONG « Urgences panafricanistes », il mène en particulier une lutte sans merci contre le « néocolonialisme français » et contre le « franc CFA » dont il demande la suppression pure et simple, ici et maintenant. Certaines de ses prises de position et certaines des actions en France et en Afrique lui ont valu de nombreux soucis judiciaires et/ou avec les autorités de quelques pays africains (expulsions pour menace grave à l’ordre public).

Ousmane SAWADOGO, Consultant Text Analytics & Analyse sémantique
Kaceto.net