Ex-députée au compte de l’Union pour la renaissance/Parti sankariste (UNIR/PS) dans la dernière législature, ancienne Haut-commissaire du Kouritenga sous la révolution démocratique et populaire (RDP), Germaine Pitroipa est connue pour son franc parler.
Dame au caractère de feu, elle revendique l’héritage de Thomas Sankara et n’a pas peur dire qu’un chat est réellement un chat, quitte parfois à indisposer ses camarades politiques.
Dans l’interview qu’elle a accordée à Kaceto.net le 1er février, elle revient sur les derniers bouleversements politiques intervenus dans notre pays le 24 janvier 2022, la position de son parti l’UNIR/PS, porte un regard critique sur les premières mesures prises par les dirigeants du Mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration (MPSR).

Vous êtes partie hors du pays le 20 janvier et le coup d’Etat a eu lieu le 24 du même mois. Vous avez écourté votre séjour pour revenir. Pourquoi ?

J’ai écourté mon séjour pour rentrer parce qu’à l’extérieur, les choses sont plus amplifiées qu’elles ne le sont en réalité. J’étais angoissée et mon esprit était au Burkina, alors autant revenir pour avoir au moins des informations actualisées qui me permettent de faire une bonne analyse. Quand on est à l’extérieur, le temps que certaines informations vous parviennent, elles sont déjà dépassées car la situation ne cesse d’évoluer.
Et puis, je voulais couper court aux rumeurs qui avaient commencé à courir selon lesquelles, certains avaient fui le pays peu avant le putsch.
Sur place, j’ai bien compris et apprécié l’attitude du président Roch Kaboré qui n’a pas voulu faire de la résistance quand les militaires sont venus l’arrêter. Il a évité à notre peuple un bain de sang inutile.

Avez-vous été surprise par le coup d’Etat ?

Surprise n’est pas le bon mot parce que toutes les informations tendaient vers ça. Lorsque Denise Barry a été arrêté, j’avais dit que c’était précipité ; il fallait attendre et remonter le fil pour voir plus clair. Aujourd’hui, on ne sait pas si les auteurs du putsch du 24 janvier 2022 n’ont pas offert le lieutenant Emmanuel Zoungrana, arrêté le 10 janvier pour tentative de coup d’Etat, pour mieux cacher leur coup ! Je rappelle que c’est un des leurs qui a dénoncé le projet du putsch. Emmanuel Zoungrana n’a-t-il pas été sacrifié pour détourner l’attention sur le vrai coup qui se préparait ? Comme un leurre pour détourner l’attention ? Si c’est le cas, il faut bien qu’ils le libèrent comme un retour de l’ascenseur. [NDLR, l’Itw a été réalisée le 1er février, et le lieutenant-colonel Zoungrana a été libéré le 3 février].

Le coup d’Etat a été quasiment acté par les partis politiques, les organisations de la société civile et l’opinion en général. Comment expliquez-vous cela ?

Vous avez raison et c’est quand même un peu dur à accepter. J’ai toujours dit que l’APMP est un fourretout où il y a des partis qui ne savent même pas ce que veut dire leur sigle. Il n’y a pas de contenu en dehors des grands partis. Exactement comme dans le Front républicain contre Blaise Compaoré dans le passé. Ce sont des sigles du ventre, comme les qualifie Roch Kaboré.
Si le Mouvement du peuple pour le progrès (MPP) n’a pas réagi vigoureusement, cela ne peut être que les conséquences de leur dernier congrès. On sait très bien que la préparation du congrès a été dure pour les uns et les autres, que le choix du président qui s’est porté sur Bala Sakandé s’est imposé à tous, ce qui a suscité des grincements de dents. Mais à vrai dire, il fallait manquer de vision pour penser que le président Kaboré allait donner la présidence de l’Assemblée à Bala Sakandé et lui refuser la présidence du parti. Un choix qui n’a certainement pas plu à certains cadres proches de Simon Compaoré qui s’attendaient à être promus.

L’UNIR/MPS, le parti auquel vous appartenez a pris acte de la prise du pouvoir par les militaires et a félicité le lieutenant-colonel Paul Henri Damiba « pour sa fermeté dans un esprit de conciliation ». Vous n’étiez pas là, mais vous reconnaissez-vous dans cette prise de position ?

Le message de Maître Sankara adressé à la CEDEAO me semble relever de la sagesse et de la responsabilité pour un homme de sa dimension. Selon lui, c’était surtout pour ne pas envenimer une situation sociale déjà très tendue. Manifestement, ceux qui ont pris le pouvoir avaient une rage contre le MPP que je ne m’explique pas, même si, c’est vrai, certains militants se sont montrés tellement arrogants envers les militaires.
Quant au communiqué publié à l’issue de la réunion du Directoire nationale (DN) de l’UNIR/MPS dont ne je suis pas membre, je ne suis pas du tout en phase avec son contenu. J’aurais énoncé les principes qui sont les nôtres, à savoir qu’on accède au pouvoir par la voie des urnes, ce qui n’est pas le cas avec ceux qui sont au pouvoir depuis le 24 janvier. En énonçant nos principes, ceux qui ont fait le putsch comprennent bien que même si nous n’avons pas les moyens de les affronter, nous n’en pensons pas moins.
Et puis, le président Roch Kaboré a indiqué qu’il ne veut pas d’affrontement, et vu que certains Burkinabè avaient prévu sortir soutenir les auteurs du putsch, si l’ex majorité programme aussi une manifestation, l’affrontement devient inévitable.
J’ajoute une chose : face aux militaires, avons-nous les forces nécessaires pour les contrer ? Mais cela ne doit absolument pas nous empêcher d’énoncer nos principes selon lesquels, on accède au pouvoir par les urnes et non par les armes.

Selon les dirigeants du Mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration (MPSR), ils ont pris leurs responsabilités devant le manque de résultats dans la lutte contre le terrorisme…

C’est un argument qui n’est pas recevable ! Qui était chargé de gérer cette situation ? C’est l’armée ! La faute ne peut pas incomber au pourvoir parce que nous avons voté un budget pour équiper l’armée et à chaque fois, c’était la plus grosse part du budget national. On a rogné sur beaucoup de départements pour que justement l’armée ait les moyens de faire son travail. D’autant qu’à son arrivée, l’ex-majorité a constaté que l’armée était déstructurée et sous-équipée. Mais comme eux-mêmes l’ont dit, les moyens seuls ne suffisent pas pour gagner la guerre contre les terroristes sans l’amour de la patrie. Donc quelque part, des gens n’avaient pas l’amour de la patrie !
En examinant le budget de l’armée, on se rend compte qu’elle n’a même pas pu épuiser le montant qui a été alloué. Pour l’exercice 2020-2021, il y avait un gros reliquat qui se chiffrait en milliards !. Et celui qui a fait le coup montre dans son livre que les effets du terrorisme ne peuvent être atténués que sur 10 ans, et la crise s’est installée en 2016 avant d’aller crescendo. Donc, l’argument ne me convainc pas et ne tient pas à l’analyse.
Le constat qu’effectivement les résultats dans la lutte contre le terrorisme n’est pas au rendez-vous est indiscutable. Mais est-ce que la responsabilité incombe au chef de l’état même si c’est lui le chef suprême des armées ? Je le répète, il a donné les moyens à ceux qui étaient chargés de mener le combat contre le terrorisme. Non, je ne peux pas accepter cet argument, et j’insiste dessus, le lieutenant-colonel Damiba lui-même dit qu’on ne peut pas arriver à bout du terrorisme avant une dizaine d’années. Donc, s’il n’a pas un autre projet en plus du combat contre le terrorisme, c’est déjà voué à l’échec parce que les gens ne vont pas accepter patienter au-delà d’un certain temps. Et ça m’étonnerait que d’ici cinq (5) ou six (6) mois, les personnes déplacées internes retournent chez elles et que l’administration se redéploie. Sinon, ça voudrait dire qu’on n’avait pas la situation exacte de l’insécurité dans les villages.

La situation sécuritaire qui est préoccupante n’explique-t-elle pas la réaction des Burkina au putsch ?

Oui, c’est bien possible. Mais un observateur averti ne peut pas se contenter de ce seul argument puis que ceux qui dirigent le pays actuellement ne savent pas combien de temps ils vont parvenir à normaliser la situation. De mon point de vue, il ne sert à rien d’apporter un quelquonque soutien sur la base d’une simple annonce.
C’est prématuré que des partis politiques se précipitent pour apporter leurs soutiens aux militaires parce qu’ils ont fait un coup d’Etat du fait de l’insécurité alors que pour le Lieutenant-colonel, le terrorisme n’est pas propre au Burkina, ni à la sous-région, et que pour atténuer ses effets, il faut miser sur dix (10) ans. Il y a forcément un autre projet et c’est ce que j’attends de voir pour me positionner.

En attendant la mise en place d’un éventuel parlement de la Transition, le MPSR a publié un Acte fondamental qui lui permet de diriger. Comment l’appréciez-vous ?

Ca ressemble à une improvisation même si les Maliens l’avaient déjà fait.
La suspension de la constitution avait perturbé le fonctionnement de la justice et nous l’avons vécu au procès Thomas Sankara. On ne peut pas bricoler la constitution comme ça et j’attends que le conseil constitutionnel se prononce là-dessus. S’il dit que c’est normal, hamdoudilah. Pourquoi le pouvoir militaire reçoit le gouvernement qui est aussi dissout et ne reçoit pas l’assemblée nationale ?
Quant à l’élaboration d’une éventuelle charte, je n’y prendrai pas part. J’attends un agenda clair qui va nous conduire à une vie constitutionnelle et comment on y va.

N’avez-vous pas peur d’être isolée dans vos analyses et votre prise de position non seulement à l’UNIR/MPS, mais aussi dans l’opinion publique ? Vous pourriez être sanctionnée pour indiscipline…

Non, pas du tout dès lors que j’ai la conviction que mes idées sont justes, je n’ai pas peur. Quant à la discipline du parti, elle ne s’impose pas à mes convictions. Il faut qu’on me démontre que j’ai tort dans mes idées. Je rappelle que le centralisme démocratique fonctionne lorsque la contradiction principale a été résolue et qu’il faut s’attaquer aux contradictions secondaires. Pour moi, ce coup est contre les institutions qui fonctionnaient normalement avec un président n’a pas violé la constitution.

Comment voyez-vous l’avenir du Burkina ?

L’avenir du Burkina appartient aux Burkinabè et s’ils constatent que malgré les déclarations de bonnes intentions, la situation ne s’améliore pas, ils donneront leur point de vue. En tout cas pour les militaires qui sont au pouvoir, il n’y a plus d’alibi pour ne pas gagner la guerre contre les terroristes.

Craignez-vous les sanctions que la CEDEAO pourraient prendre contre notre pays ?

La CEDEAO s’est discréditée dans la sous-région. Elle aurait pu depuis plusieurs années lever une armée pour aider chaque pays à faire face aux terroristes. Au lieu de cela, elle reste dans les sommets à parler de solidarité mais on n’a pas vu la solidarité face aux pays confrontés au terrorisme.
Si le pouvoir militaire n’a pas de positions jusqu’au boutistes sur la durée de la transition, je pense que la CEDEAO peut accompagner le Burkina pour un retour à une vie politique normale.

Comment réagissez-vous à l’expulsion de l’ambassadeur de France au Mali ?

Le ministre français des Affaires étrangères Jean Yves Le Drian n’est pas un diplomate car on ne peut pas traiter un partenaire de cette façon. Les autorités maliennes représentent le peuple malien et on ne peut pas les traiter d’illégitimes et d’irresponsables. A ce que je sache, le peuple malien n’a pas manifesté pour demander le départ du gouvernement de la Transition ! Je considère qu’on a est allé à l’extrême et c’est dommage.

Selon le ministre français, le gouvernement malien ne respecte pas la mémoire des 53 soldats français morts au Mali dans la lutte contre le terrorisme…

J’ai effectivement entendu ces propos, mais est-ce parce que 53 militaires français sont morts au Mali qu’on peut injurier les dirigeants Maliens qui sont des alliés dans la lutte contre le terrorisme ? Combien de Maliens sont morts pour la France ? Je rappelle que l’Afrique a fait la première et la deuxième guerre mondiale sans parler de la guerre d’Indochine ou d’Algérie au nom de la France. Combien de tirailleurs sénégalais sont morts sous les balles d’Hitler ? Mais est-ce que cela donne le droit d’insulter le gouvernement français ? Si on veut être respecté par son partenaire, il faut commencer par le respecter.

Interview réalisée par Joachim Vokouma
Kaceto.net