Il y a deux formes d’impérialisme qui ont brimé et continuent de brimer l’Afrique : celui colonial, d’origine européenne, et celui non moins européen, anticolonial dont le rêve secret a toujours été de remplacer le premier.
A ces deux impérialismes, l’auteur du texte ci-contre pointe du doigt un troisième, d’origine autochtone, qui au nom de l’unité nationale, impose un terrorisme intellectuel et refuse toute contradiction. Aussi aliénante que les deux premiers !

Chacun le sait, il y a deux formes d’impérialisme étranger qu’il est légitime de combattre pour que nos sociétés réalisent le bonheur de leur liberté, la dignité d’être et d’agir en toute autonomie. L’impérialisme colonial, venu d’Europe, par le régime de la colonisation qui fut d’une violence indiscutable et qui se prolonge dans des dominations larvées contemporaines.
L’impérialisme anticolonial qui vient des puissances concurrentes des puissances coloniales et qui prétendent protéger l’Afrique tout en étant elles-mêmes désireuses de dominer l’Afrique déjà dominée. On peut y ranger les puissances soviétique, russe, asiatique, arabe qui tentent de séduire et de réduire une Afrique déjà éprouvée par l’humiliation coloniale.
Ces deux formes d’impérialisme se battent et se combattent entre elles sur le continent et chacune d’elles se prétend au service de l’Afrique, même quand de toute évidence, pour nous, il s’agit d’un tigre qui cherche à arracher une proie à un lion. En marge de ces deux formes d’impérialisme aux appétits en concurrence, une nouvelle forme émerge ces dernières décennies, des décombres du désenchantement des indépendances octroyées avec force folklore et jeux d’apparences.
Il s’agit d’une nouvelle forme d’impérialisme se déclinant à l’échelle autochtone qui s’est fait progressivement jour chez nous tambour battant, et qu’il faut bien appeler l’idéologie unanimiste, tant ce qui la définit s’apparente ni plus ni moins à une intolérance pathologique vis-à-vis de toute différence/divergence d’opinion. Cette idéologie unanimiste qui fonctionne avec le carburant de la haine irréductible de l’autre, participe bien entendu du régime des partis uniques qui longtemps ont imposé le silence à tous dans l’Afrique des indépendances sous le prétexte de l’unité nationale ou africaine, sous la bannière de la lutte commune contre l’ennemi extérieur blanc ou sous le drapeau de la bataille impérative pour le développement au cœur de la fourmilière industrieuse : silence, au travail, on développe !
On peut croire qu’une telle idéologie unanimiste procède d’une bonne intention et d’une noble ambition politique favorable à l’Afrique. Mais, si le panafricanisme est noble et mérite l’investissement des intelligences et compétences des Africains et de la diaspora (les penseurs de la négritude furent une belle illustration sans oublier la solidarité éloquente des intellectuels avec la Guinée), il faut être très prudent quand il fait l’objet aujourd’hui de captations et de récupérations idéologiques perverses par des truands d’une nouvelle espèce. Cette nouvelle forme d’impérialisme castrateur qui se cache sous les espèces du panafricanisme bruyant et violent cherche par tous les moyens à s’imposer et à imposer la direction et la cadence de la marche africaine vers la liberté, en refusant malheureusement aux Africains concernés la liberté d’expression et la liberté d’exercice de leur autonomie.
Il y a en même qui poussent le vice jusqu’à tenter de berner les populations en les invitant à surseoir à leur désir de liberté, à leur demande de dignité et de reconnaissance, le temps que soit atteint l’objectif dogmatique de leur lutte. Il faudrait selon eux consentir un temps de violence dictatoriale pour espérer un jour, à la fin des temps, la liberté, l’émancipation. Cette manière religieuse de renvoyer aux calendes grecques la liberté, bien combien précieux, est naturellement révélatrice de la supercherie politique en jeu. Nul n’est obligé de céder à une telle ruse par laquelle certains cherchent à se servir des autres comme du bois mort pour allumer/attiser leur incendie, pour mener leur bataille communautariste, partisane se moquant de toute forme d’universalité. Pourtant, même si chacun est dans des circonstances particulières, relatives, il faut confesser que l’humanité est une et que le monde que nous habitons tous est un ; il n’y a pas deux, pas un de rechange. Rien que cela oblige les différents peuples à une solidarité stratégique.
Tout presse et les agitateurs décomplexés de cette idéologie unanimiste ne savent rien faire d’autre que de s’auto-proclamer les messies, les leaders, les missionnaires et les figures de la libération d’un continent qu’ils ne prennent même plus le soin de respecter, la peine de consulter. C’est l’idéologie de la libération à pas forcés d’un continent qui n’a plus son mot à dire, car certains de ses enfants en ont simplement décidé ainsi. A leurs yeux, Mère Afrique n’est plus assez digne de respect et de considération, on la libérera malgré elle, contre elle-même s’il le faut, même contre son gré.
C’est un nouvel impérialisme local, autochtone qui vient lui aussi tyranniser l’Afrique à sa guise, avec ses nouveaux missionnaires auto-proclamés, auto-consacrés, avec ses tortionnaires illuminés et méprisants, armés de leurs gros chapelets autour du cou, flanqués de la carte de l’Afrique dessinée sur les nouvelles soutanes panafricanistes, etc.
Il s’agit bel et bien d’un nouvel impérialisme qui est tout aussi dictatorial que les anciens impérialismes qu’il prétend combattre sans pour autant changer leur mode d’action sur l’éternelle victime qu’est l’Afrique. Le paradoxe c’est que la libération de l’Afrique reste le slogan qui inspire cet ultime impérialisme, quand bien même de toute évidence, au lieu d’être libérée, l’Afrique se trouve dans les faits, à nouveau enchaînée, instrumentalisée dans son histoire, dans ses tribulations, dans ses frustrations anticoloniales.
Comment libérer l’Afrique sans lui retirer sa liberté ? Peut-on libérer l’Afrique sans promouvoir et accepter l’effectivité de la liberté en Afrique ? Autrement dit, voulons-nous d’une libération de l’Afrique qui fasse l’impasse sur la liberté des Africains et de l’Afrique elle-même ? Ici comme ailleurs, ne faut-il pas juger de la qualité des fins par celle des moyens employés ? Ici comme ailleurs, les moyens n’en disent-ils pas long sur les finalités que l’on prétend poursuivre ? Peut-on prétendre poursuivre une fin noble en usant allègrement et sans vergogne de médiations sans éthiques ?
L’ultime question à se poser est donc de savoir si les libérateurs autoproclamés de l’Afrique, qu’ils viennent de l’extérieur ou de l’intérieur du continent, sont légitimes pour décider que les Africains ne sont pas encore dignes d’être traités comme des êtres de liberté, des êtres de dignité méritant un respect inconditionnel ...
Africains, réveillons-nous, pour que notre avenir ne nous doit pas volé

Jacques Nanéma
Professeur de Philosophie ; Université Joseph Ki Zerbo (Ouagadougou)