Plusieurs dirigeants africains pensent que les groupes paramilitaires russes, aguerris au combat, sont en mesure de venir à bout du terrorisme. Ils oublient cependant, selon l’Ifri, que la solution à ce problème passe par l’élimination des raisons fondamentales qui alimentent le radicalisme.

L’utilisation des sociétés militaires privées (SMP) russes en Afrique subsaharienne n’aura qu’un effet stratégique limité et ne devrait pas générer de bénéfices durables à long terme pour la Russie, a estimé l’Institut français des relations internationales (IFRI) dans un rapport publié en septembre 2022.

Intitulé « Sociétés militaires privées russes en Afrique subsaharienne : Atouts, limites, conséquences », ce rapport rappelle que l’Afrique, qui avait joué un rôle majeur dans la politique étrangère soviétique, a regagné une partie de son importance passée aux yeux de Moscou à partir de 2014, année de l’éclatement de la crise des relations russo-occidentales.

Pour tenter d’atteindre ses objectifs géopolitiques et économiques sur le continent, la Russie a employé une combinaison de facettes « légitimes et illégitimes » de la coopération militaro-technique, l’un des rares avantages comparatifs dont elle jouit par rapport aux autres puissances qui cherchent à renforcer leur influence en Afrique.

Outre les ventes d’armes, la formation et le conseil, Moscou a fait appel à des sociétés militaires privées, qui bénéficient d’une « aura de force et d’efficacité » grâce à leurs activités en Ukraine et, à un degré moindre, en Syrie. « De nombreux pays africains souffrant de la menace terroriste ont placé leurs espoirs dans la Russie, estimant que les entreprises russes de sécurité privée, aguerries au combat, seraient en mesure de résoudre ce problème efficacement et pour un coût relativement bas », souligne le rapport.

Ainsi, le groupe Wagner est intervenu dans plusieurs pays d’Afrique subsaharienne, dont la Libye, le Soudan, le Mozambique, la République centrafricaine et plus récemment le Mali, en sa qualité de relais officieux de la coopération militaire entre la Russie et les États locaux.

Contrairement à leurs homologues occidentales, principalement impliquées dans la formation et le conseil, les sociétés militaires privées russes sont directement utilisées dans les opérations militaires en tant que « troupes de choc », assumant certaines des tâches habituellement accomplies par les forces armées régulières.

L’IFRI révèle cependant que ces sociétés ont connu des difficultés dans certains pays africains. Selon des sources concordantes, le groupe Wagner s’est retiré du Mozambique quelques mois seulement après son arrivée dans le nord du pays, en raison des lourdes pertes humaines qu’il aurait subi.

Absence de stratégie africaine

D’après les analystes, cet « échec » s’explique, d’une part, par le manque de connaissance des coutumes, des traditions et de l’environnement local et d’autre part, parce que les campagnes anti-insurrectionnelles au Mozambique diffèrent significativement de celles menées sur les autres théâtres d’opérations, en raison des caractéristiques géographiques du pays et des tactiques employées par les groupes extrémistes locaux.

Plus généralement, selon l’IFRI, il est probable que les sociétés militaires privées russes obtiennent des succès militaires significatifs et parviennent à briser des insurrections en cours en Afrique subsaharienne, notant toutefois que la solution à ces problèmes réside dans un large éventail d’actions socio-économiques, politiques et sécuritaires coordonnées, basées sur l’élimination des raisons fondamentales qui alimentent le radicalisme.

D’autre part, le rapport indique que la Russie n’a pas de stratégie africaine globale et cherche essentiellement à saisir les occasions qui se présentent dans certains pays, ce qui signifie qu’à long terme, elle ne sera pas en mesure d’enregistrer des avancées décisives sur le continent.

Par ailleurs, le rapprochement opéré par beaucoup de dirigeants africains avec la Russie constitue « une façon de faire pression sur les pays occidentaux » et de mettre en scène la diversification de leur politique étrangère et ne semble pas constituer une tendance de fond appelée à s’inscrire dans le long terme. Ainsi, le Soudan − malgré les propos optimistes de l’envoyé spécial du président Poutine pour le Moyen-Orient et l’Afrique − privilégie ses liens avec des acteurs plus attractifs économiquement (Chine), plus influents politiquement (Etats-Unis) et plus proches culturellement et religieusement (Turquie, Emirats arabes unis).

Le rapport fait remarquer par ailleurs que les agissements de la Russie en général et celles de ses sociétés militaires privées en particulier, en Afrique subsaharienne, pourraient ouvrir la voie à une plus grande emprise de la Chine sur la région dans un contexte d’affaiblissement progressif des acteurs européens et des Etats-Unis. Un influent responsable de l’opposition en RD Congo, Christian Malanga, a d’ailleurs évoqué récemment l’émergence d’une nouvelle configuration en Afrique qu’il a résumée par la formule « argent chinois, muscles russes ».

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