Journaliste et écrivain, Sayouba Traoré a consacré son dernier livre au destin des jeunes filles devenues précocement mères, un drame social, miroir d’une société qui refuse d’assumer ses tares.

Selon l’Indice de développement humain du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), de 2019, plus d’une fille sur deux de moins de 18 ans, et une sur dix de moins de 15 ans sont des filles-mères au Burkina Faso, c’est à dire, des filles devenues précocement mères, sans l’avoir librement décidé. Pour la société, être fille-mère, c’est être coupable. Coupable d’inconduite. Incarnation de mauvaise éducation, incapable de bien se tenir, sans éthique sociale.
Objet social non désiré, la fille-mère est dès lors moquée, rejetée, méprisée. Victime d’opprobre, elle est parfois abandonnée à elle-même dans une précarité qui peut hypothéquer son avenir et celui de son enfant.
C’est sur ce fléau social que notre compatriote Sayouba Traoré, journaliste et écrivain a consacré son dernier livre publié en octobre dernier aux Éditions Plum’Afrik au titre plus qu’évocateur : « Des jeunes filles amères » (1). Un recueil de Nouvelles qui plonge le lecteur dans la vie cahoteuse de jeunes filles dont rêves d’une vie meilleure au contact d’un prince charmant se sont transformés en cauchemar. « Filles-mères, un fléau souterrain, pas si invisible que ça » et sur lequel « la société a un regard sélectif », écrit Sayouba Traoré. Être mère, c’est une aspiration légitime pour toute femme. Mais cela doit se faire selon des règles prescrites par des hommes qu’aucune femme n’a le pouvoir ni la légitimité de contester. Celle qui « par égarement », s’est faite « poinçonnée par un mâle », qui « s’est laissée prendre par les roucoulades des garçons », qui a « joui sans autorisation » est en porte à faux avec la bienveillance sociale. Elle doit en payer le prix parce qu’elle a fauté. Coupable de jeter la honte sur sa famille et d’avoir terni la réputation du village. L’enfant qui sort de son ventre n’est qu’un bâtard, un enfant sans père. Une infamie. Cette chose que personne ne veut voir, c’est la pièce fatale de la culpabilité de sa mère. La sentence qui tombe, est sans appel ; On lui tourne le dos. Pour toujours.

Et que risque le père, pardon le géniteur de l’enfant ? Pas grand-chose. Il faut d’abord l’identifier, ce qui n’est pas une mince affaire. Et puis, qui peut mettre son doigt au feu que d’autres garçons n’ont pas été pris au piège de cette dévergondée ?
Il n’y a pas de culpabilité partagée. Le garçon qui est pourtant souvent le plus entreprenant dans ce type de relation, n’y est pour rien. Sa famille, voire son village, le défendra bec et oncle, car « tout le monde sait que la tentation vient uniquement des femmes. Jeunes ou vieilles, ces diablesses savent entraîner le mâle dans des aventures sans issue ».
Au final, on demandera même à la fille et à sa famille de lui présenter des excuses d’avoir sali son nom en le soupçonnant d’être le coupable d’un grossesse indésirée.
Bannies, rejetées, les filles-mères vont devoir assumer des responsabilités d’adulte et préparer un avenir à leurs enfants alors que le leur est en pointillé. Elles tombent dans la débrouille comme on dit au pays, jongler pour survivre, fréquenter des lieux que sa conscience réprouve, en l’occurrence la Pissotière, faire comme la « tantie » qui n’est en réalité la tante de personne. Celle qui « a décidé de vendre aux hommes ce qu’ils veulent le plus. Son sourire, ses seins, ses cuisses satinées, le postérieur joufflu, et la cavité qui ne cesse de suer entre les deux jambes ». Ici, on y découvre les multiples visages des hommes, tous des hypocrites, des « faux galants, les fourbes qui jouent aux gars bienveillants, les tordus qui parlent de chair fraîche ; les mariés qui viennent pleurer une misère affective », sans oublier les « fornicateurs honteux, disant être de passage ».
Dans nos contrées où la violence sous toutes ses formes contre le sexe dit faible est encore d’une malheureuse banalité, l’avenir d’une fille-mère se conjugue aussi avec exil, très loin de la famille. Il faut l’oublier, dans l’espoir d’effacer avec le temps, son appartenance à la tribu, à la communauté. Par chance, elle peut trouver refuge dans le village de sa mère, chez ses oncles maternels. Dans la tradition, on ne refuse pas l’hospitalité à un neveu ou à une nièce. Mais pas au point de l’intégrer après une telle infamie, On lui « consent une case en terre avec un toit de branchages, reléguée dans son isolement avec un corps qui ne lui obéit plus. »
Il faut saluer le courage de notre confrère d’avoir porté sa plume sur un sujet délicat que celui des filles-mères. Parler d’elles, c’est dénoncer la honte d’une société qui rejette sa propre image qu’incarnent les filles-mères, l’échec d’une éducation qui ne fait pas de place à la sexualité au moment où l’exposition des Nouvelles technologies expose les jeunes à toutes sortes d’expériences. C’est aussi dénoncer l’iniquité d’un système patriarcal qui désigne et condamne d’office la jeune fille-mère comme l’élément perturbateur de l’ordre social. Et quand elle s’extirpe des griffes des conventions rétrogrades grâce à l’école, elle est à nouveau coupable de viol des normes sociales. « Une fille instruite, personne n’en veut pour épouse. La norme, c’est une épouse soumise. Et tous insistent là-dessus. Une femme plus savante que son homme devient une calamité. Y compris pour elle-même. Des parents soucieux du devenir de leur progéniture ne peuvent ignorer ces réalités ».

(1) Des jeunes filles amères
Editions Plum Afrik, 2022, Ouagadougou ; 150 pages ; 4500 FCFA

Joachim Vokouma
Kaceto.net