Les années passent, mais les images semblent toujours les mêmes : à la fin d’un film réalisé par un cinéaste africain, le contenu du générique mentionne les mêmes guichets, toujours hors du continent, dont la générosité a permis de produire l’œuvre. Les choses sont en train de changer. Dans de nombreux pays, des structures publiques et privées se mettent en place pour accompagner les productions cinématographiques et assurer ainsi aux réalisateurs une certaine autonomie dans leur créativité.
C’est en tout cas l’avis de Amédée Pacôme, un jeune auteur réalisateur gabonais de 34 ans venu participer à la fête du 7è art africain d’une part, et rencontrer des partenaires qui pourraient l’accompagner dans la réalisation de son prochain long métrage fiction d’autre part. Sa conviction est établie : il est possible de financer le cinéma africain par des Africains.


Quel est le coût estimatif pour la réalisation de votre prochain long métrage fiction ?

Le coût est évalué à 500 millions de F CFA et nous avons l’Etat gabonais qui a accepté de nous soutenir à hauteur de 20% du budget. Ce qui est une bonne chose nous parce qu’on peut maintenant aller chercher ce qui reste à l’international.
Je suis aussi accompagné par un producteur malien et j’ai espoir de pouvoir boucler le budget et passer à l’étape de tournage. A défaut, on reverra à la baisse le budget, mais à un niveau incompressible, c’est-à-dire en dessous duquel, il devient impossible de faire une fiction long métrage de qualité.
Je suis à présent à la recherche de partenaires et je suis content d’être au Fespaco parce qu’on peut y rencontrer des structures privées et publiques qui soutiennent la production africaine. Nous Africains, ne pouvons plus continuer d’aller taper aux mêmes portes à l’international comme si nous n’avions pas de personnalité. Heureusement, l’Afrique de l’ouest est quand même une zone assez structurée en matière de productions et de distributions cinématographiques mieux que chez nous en Afrique centrale. Au Sénégal par exemple, il y a le Fonds de promotion à l’industrie cinématographique et audiovisuelle (FOPICA) et en Côte d’Ivoire, le Fonds de soutien à l’industrie cinématographique en Côte d’Ivoire (Fonci).
Grâce à ces structures, il est possible d’aller chercher des fonds et de réunir au moins 50% du budget, le reste pouvant être apporté en matériel avec une équipe technique dans un partenariat gagnant-gagnant. Il ne faut pas se faire des illusions, il n’est pas possible d’avoir les 500 millions de F CFA en numéraire car les gouvernements ont d’autres priorités que le cinéma.
L’essentiel est de ne plus dépendre des guichets internationaux où on peut attendre parfois, 3,4, 5 ans avant de bénéficier d’un accompagnement.
Avec le soutien du FOPICA au Sénégal, quatre (4) films ont été produits et sont en compétition actuellement au Fespaco. Des films de belle facture financés totalement en Afrique au point où certains partenaires du Nord commencent à se demander si on aura encore besoin d’eux. C’est ainsi qu’il faut continuer à surprendre les gens et nous y croyons.
Je me réjouis de voir qu’en Afrique, on travaille de plus en plus ensemble et que des politiques se mettent en place pour accompagner les cinéastes. Nous n’aurons peut-être pas la même notoriété que nos ainés comme Gaston Kaboré ou Idrissa Ouédraogo, Sembene Ousmane, mais le fait de se mettre ensemble pour faire des films qui parlent au monde va susciter un nouveau regard et respect à notre égard. Il nous faut innover, casser les codes et aller vers d’autres horizons qui nous permettent de travailler normalement.

Quelles sont vos références en matière cinématographique ?

J’ai déjà réalisé un documentaire et un court métrage que j’ai financé avec le soutien d’amis, sans fonds venant de l’extérieur. Quand le film est sorti, ceux qui avaient des réticences à nous accompagner se sont étrangement présentés pour dire qu’ils étaient disposés à nous aider et je leur ai dit que c’était tard.
Pour le projet que je porte actuellement, j’ai la chance d’avoir un producteur malien qui m’accompagne. Tout se passe bien pour le moment et nous travaillons à boucler le budget afin de commencer le tournage en 2024 pour présenter le film au prochain Fespaco.

Comment compter rentabiliser le film ?

C’est une question dont la réponse doit s’inscrire dans une vision industrielle. Dans dans certains pays comme le Burkina, il y a quand même des salles de cinéma où on peut récupérer un peu avec la billetterie, ce qui n’est pas le cas au Gabon où il y a zéro salle ; il n’y a même pas un espace où on peut projeter un film !
Je suis en train de vouloir produire un film qui sera vu au Burkina, au Mali, au Sénégal, en Côte d’Ivoire, mais que peut-être les Gabonais ne verront pas.
Franchement, je me sens cinéaste quand je suis en Afrique de l’ouest. Je suis du Gabon parce que c’est mon pays et j’ai envie de raconter l’histoire du Gabon, mais il n’y pas un environnement pour m’épanouir en tant que cinéaste. Au Burkina oui.
C’est fondamental que le producteur m’accompagne pour donner au film une carrière longue. Après le tournage, il y a aura le montage et le film doit sortir en première au Fespaco 2025, puis être projeté dans des salles et participer à des festivals. Si une chaine de télévision souhaite l’acquérir, pourquoi pas. Ce qui nous manque, c’est l’accompagnement marketing. J’ai rencontré une italienne qui est intéressée par la post-production. Elle est prête à étalonner le film, le mixer et faire le sous-titrage en anglais et en italien, ce qui est une bonne chose.
Ce qui est bien au Fespaco, c’est que chaque cinéaste a la possibilité d’exprimer ses besoins spécifiques et de trouver une oreille attentive auprès de partenaires qui pourraient l’accompagner.

Comment comptez-vous intégrer les TICs dans la diffusion de vos productions ?

Bien sûr, il nous faut intégrer les TICs dans le plan marketing car ce sont de précieux outils pour la diffusion des films. Je fais du cinéma d’auteur qu’il faut préserver, mais les plateformes numériques peuvent servir pour la distribution parce que les gens regardent de plus en plus les films à la maison, sur leurs ordinateurs ou leurs smartphones. Certes, ils n’auront pas les mêmes sensations que dans une salle de cinéma, mais l’essentiel aussi, est de rentabiliser auprès des jeunes qui n’ont pas la culture des salles. Nous devons leur donner l’envie d’aller au cinéma en leur proposant des films qui parlent d’eux, de leur histoire avec notre regard à nous.
J’ai vu le film Black Panther, Wakanda Forever, mais c’est un regard purement américain venant d’un réalisateur qui n’est jamais venu en Afrique. De toute évidence, un cinéaste africain qui va traiter le même sujet n’aura pas le même regard et le rendu sera totalement différent, surtout en Afrique de l’ouest où il y a une identité culturelle bien marquée.

Propos recueillis par Joachim Vokouma
Kaceto.net