Une ONG européenne, Corporate Europe Observatory considère que l’hydrogène est autant nuisible à l’environnement que les énergies fossiles. Y compris l’hydrogène vert, gourmand en énergie et dont l’exploitation suppose l’accaparement des terres par de grands groupes.

L’Observatoire de l’Europe Industrielle (CEO) est une ONG spécialisée dans l’étude des lobbys et de leur influence sur les décisions de l’UE (Union européenne) et sur la vie économique. À contre-courant du discours dominant, cette association, dont le siège est à Bruxelles, publie une étude documentée sur le marché de l’hydrogène, tel que peut le promouvoir un pays comme l’Allemagne. Étude au titre provocateur : « La perpétuation par les entreprises des combustibles fossiles, du colonialisme énergétique et du désastre climatique. »

Le 28 mars 2023, le Parlement européen a rejeté une demande d’assouplissement des contraintes pesant sur l’hydrogène vert en Europe. Demande émanant de… l’Allemagne, accusée par les eurodéputés de faire du « greenwashing » sous la pression des lobbys.

Pendant des années, l’Allemagne a présenté l’hydrogène comme la pièce maîtresse d’une économie climatiquement neutre et l’UE a accueilli ce « gaz miracle » à bras ouverts, argumentent les auteurs. L’hydrogène est désormais au cœur des politiques climatiques et industrielles de l’UE, et Bruxelles prévoit de dépenser des milliards en subventions publiques pour stimuler le secteur de l’hydrogène en Europe.

Or, « ce battage publicitaire ne tient pas compte de plusieurs réalités », tranche l’ONG. Tout d’abord, 99 % de l’hydrogène produit aujourd’hui dans le monde est de l’hydrogène « gris », c’est-à-dire fabriqué à partir de combustibles fossiles, dont les émissions annuelles de CO2 dépassent celles de l’Allemagne tout entière. Deuxièmement, l’hydrogène « bleu » d’origine fossile, qui est présenté comme une alternative « à faible teneur en carbone », a une empreinte climatique presque aussi mauvaise, si l’on tient compte de l’ensemble de ses émissions.

Enfin, – et voilà qui intéresse l’Afrique –, même l’hydrogène « vert », considéré sans carbone, et qui ne représentait que 0,04 % de la production mondiale d’hydrogène en 2021, s’« accompagne de défis et de risques importants ». Pour les auteurs, « il est inefficace sur le plan énergétique, se comporte comme un puissant gaz à effet de serre indirect et sa production à grande échelle nécessite de vastes quantités de terres, d’eau et d’énergie renouvelable ».

Des liens suspects

Sa production peut alimenter l’« accaparement vert », c’est-à-dire l’appropriation de terres et de ressources à des fins environnementales. La demande exagérée d’hydrogène constitue un cheval de Troie pour prolonger l’utilisation des combustibles fossiles. De plus en plus d’experts avertissent donc qu’une économie de l’énergie axée sur l’hydrogène augmentera en fait les émissions, avancent les auteurs de l’étude.

Le Conseil consultatif allemand sur l’environnement, par exemple, considère que l’hydrogène « ne peut pas jouer un rôle primordial » dans la résolution de la crise climatique. Et le rapport de s’interroger alors sur les causes de cet engouement.

Celui de l’Allemagne repose sur un vaste réseau d’entreprises, d’associations sectorielles et de cabinets de conseil. Une centaine d’entreprises allemandes ont été identifiées comme des acteurs clés de la chaîne de valeur de l’hydrogène vert. « Nombre d’entre elles sont issues ou ont des liens avec l’industrie des combustibles fossiles et d’autres industries polluantes, et elles sautent dans le train de l’hydrogène pour verrouiller les infrastructures nocives ainsi que les modèles de production et de consommation. »

Le lobby allemand de l’hydrogène emploie des centaines d’activistes et dépense des millions pour influencer la politique. Le géant de la chimie BASF, par exemple, grand utilisateur et producteur d’hydrogène fossile, disposait d’un budget de lobbying de 3,8 millions d’euros en 2021 et emploie actuellement 24 lobbyistes. Le plus grand groupe de pression allemand dans le domaine de l’énergie, BDEW, dont les entreprises membres sont responsables de 90 % des ventes de gaz fossile en Allemagne et qui misent sur l’hydrogène pour rester en activité, dispose de 51 lobbyistes et d’un budget de 7,1 millions d’euros.

Cette puissance de lobbying permet à l’industrie de l’hydrogène de suivre et d’influencer des processus réglementaires complexes et d’obtenir des réunions de lobbying avec des décideurs clés. Par exemple, le lobby de l’hydrogène a participé à l’élaboration du programme allemand de financement public H2Global. Et le gouvernement allemand d’allouer plus de 4 milliards d’euros (après une dotation initiale de 900 millions d’euros) au programme de financement afin de stimuler les exportations d’hydrogène vert vers l’Allemagne.

Berlin prévoit de couvrir les deux tiers de sa future demande d’hydrogène vert par des importations et devrait devenir le premier importateur européen de gaz, avec une part estimée entre 60% et 70 % de la future demande d’importation de l’UE et du Royaume-Uni.

Légitimer des régimes autoritaires

Or, « Les projets d’hydrogène vert soutenus par l’Allemagne à l’étranger suivent des modèles coloniaux », jugent les auteurs. Les ressources sont accaparées tandis que les impacts négatifs tels que les dommages écologiques et la pénurie d’énergie sont « commodément externalisés ». Les conflits liés à l’utilisation des terres et de l’eau sont déjà apparents et pourraient s’intensifier au cours des prochaines années. Les auteurs s’inquiètent également des moyens de subsistance des communautés de pêcheurs en raison des mégaports et autres infrastructures d’exportation, ainsi que de la pollution causée par les déchets des usines de dessalement nécessaires pour obtenir l’eau nécessaire à la production d’hydrogènes verts dans les régions arides.

Le rapport cite « un exemple choquant » de violations des droits de l’homme liées à des projets d’hydrogène vert, celui du projet de mégapole Neom en Arabie saoudite, où Thyssenkrupp installera un énorme électrolyseur pour produire de l’hydrogène destiné à l’exportation. D’anciennes tribus ont été expulsées de force de leurs terres pour faire place à Neom. Plusieurs manifestants ont été condamnés à mort en raison de leur résistance à l’expulsion, et l’un d’entre eux a été abattu par les forces de sécurité, en avril 2020.

« De telles coopérations risquent de reproduire et de légitimer des régimes autoritaires au nom de la durabilité. » Les projets relatifs à l’hydrogène dans les pays du Sud ont tendance à être des mégaprojets centralisés et à manquer de participation citoyenne. Une cartographie de 27 pays, principalement africains, n’a pas permis d’identifier un seul projet d’hydrogène dans lequel la communauté a été consultée avant la décision de poursuivre le projet. « Un petit groupe d’élites politiques et économiques est susceptible de tirer profit de ces processus descendants. » Alors que le complexe État-industrie allemand a fait pression pour retarder les critères de durabilité de l’UE pour l’hydrogène vert, il a développé des normes qui sonnent bien pour faire accepter les projets d’hydrogène vert à l’étranger. Mais ces normes ne s’appliquent qu’à quelques sites sélectionnés et ignorent des questions essentielles telles que le consentement préalable et éclairé des communautés.

Les associations africaines ont critiqué la perspective de projets d’enclaves vertes qui ne feront pas partie intégrante de leurs économies en raison de l’absence d’appropriation locale. Ce rapport conclut que le colonialisme de l’hydrogène qui se profile dans l’UE et en Allemagne ne répond pas aux préoccupations en matière de justice mondiale et de démocratie énergétique, pas plus qu’il ne tient sa principale promesse : contribuer à la lutte contre la crise climatique. Au contraire, jugent ses auteurs, il existe un fort risque que la course à l’hydrogène retarde les actions visant à décarboniser structurellement l’économie.

Il s’agirait, par exemple, d’augmenter l’efficacité énergétique des bâtiments (au lieu de chauffer les maisons de manière inefficace avec de l’hydrogène), de passer à une agriculture agroécologique (au lieu de se contenter d’écologiser les engrais synthétiques) et de réduire le trafic (au lieu de gaspiller de l’énergie avec des voitures fonctionnant à l’hydrogène).

Le magazine de l’Afrique