La suspension par la Russie de l’accord permettant les exportations de blé par la mer Noire pourrait provoquer une flambée des prix des denrées alimentaires, à moyen terme. L’inquiétude grandit en Afrique qui doit améliorer sa résilience.

La Russie a annoncé le 17 juillet 2023 qu’elle suspendait l’accord sur les céréales de la mer Noire, qui permettait à l’Ukraine d’exporter des cargaisons de céréales vers des marchés du monde entier au cours de l’année écoulée.

La suspension de l’accord suscite des inquiétudes au niveau mondial quant à son impact sur la sécurité alimentaire. La décision russe « portera un coup aux personnes dans le besoin partout dans le monde », a réagi le secrétaire général des Nations unies, António Guterres, tandis que le secrétaire d’État américain, Antony Blinken, a déclaré que les « actions cyniques » de la Russie nuiraient « à des millions de personnes vulnérables ».

À court terme, toutefois, la situation est moins critique qu’en février 2022 : les pays de l’hémisphère nord sont en pleine période de récolte, laquelle s’annonce supérieure à celle de l’an passé.

L’accord avait été conclu en juillet 2022 en raison de la pression internationale exercée sur la Russie à la suite d’une hausse rapide des prix alimentaires mondiaux provoquée par l’invasion de l’Ukraine cinq mois plus tôt. La guerre empêche l’Ukraine d’exporter des céréales via la mer Noire, tandis que les exportations russes de denrées alimentaires et d’engrais sont également perturbées.

Le blocus des exportations ukrainiennes et la hausse des prix qui en résulte exposent 30 millions de personnes supplémentaires en Afrique subsaharienne à un risque élevé d’insécurité alimentaire, selon le PAM (Programme alimentaire mondial).

Grâce à l’accord, les cargaisons de céréales ukrainiennes ont pu traverser la mer Noire en toute sécurité au cours de l’année écoulée, ce qui a permis de stabiliser les prix des denrées alimentaires au niveau mondial. Aujourd’hui, alors que l’accord expire, l’Afrique est à nouveau confrontée à un choc des prix alimentaires. L’Ukraine représente environ 8% des approvisionnements du PAM en blé ; un nouveau blocus du pays représente autant de stocks en moins approvisionnant directement des régions comme la Corne de l’Afrique.

Inquiétudes en Afrique du Nord

Le MV Brave Commander a fait la une des journaux internationaux lorsqu’il a accosté à Djibouti le 30 août de l’année dernière. Ce cargo affrété par les Nations unies transportait 23 000 tonnes de blé ukrainien achetées par le Programme alimentaire mondial, soit suffisamment pour nourrir pendant un mois 1,5 million de personnes en Éthiopie, pays en proie à la crise.

Ces expéditions vont désormais cesser. Bien que certaines exportations de céréales en provenance d’Ukraine se poursuivent par voie terrestre à travers les pays voisins, notamment la Pologne, les volumes devraient diminuer considérablement si les diplomates ne parviennent pas à rétablir l’accord de la mer Noire.

La suspension de l’accord est « une très mauvaise nouvelle pour les pays qui dépendent fortement des importations de denrées alimentaires », commente Jacques Nel, de la société de conseil Oxford Economics Africa. L’Afrique de l’Est commence à peine à se remettre d’une longue période de sécheresse, et Jacques Nel prévient que l’Afrique du Nord, région très dépendante des importations de denrées alimentaires, est également vulnérable. L’Égypte a été le sixième plus grand importateur de céréales ukrainiennes au cours de l’année écoulée ; la Tunisie est également dépendante des importations de blé.

Le Nigeria est également l’un des plus grands importateurs de blé au monde et reçoit un quart de ses importations d’Ukraine et de Russie, indique Debo Akande, spécialiste principal à l’Institut international d’agriculture tropicale. Qui prévient que les prix du blé vont « augmenter de façon astronomique », ce qui aura des répercussions sur les prix d’autres cultures de base.

La situation est d’autant plus alarmante que de nombreuses économies africaines ne se sont pas encore totalement remises d’une succession de crises récentes, notamment la flambée des prix alimentaires de l’année dernière et les effets de la pandémie de Covid-19.

« La dette publique et les coûts d’emprunt ont augmenté au cours des deux dernières années, de sorte que les gouvernements ont moins de marge de manœuvre fiscale pour augmenter à nouveau l’aide sociale », explique Jacques Nel. « Les ménages seront encore plus en difficulté si nous assistons à une nouvelle flambée des prix des denrées alimentaires à l’échelle mondiale. »

Certains signes montrent que la crise encourage les gouvernements africains à prendre plus au sérieux la production alimentaire nationale. « Un grand nombre de pays africains redoublent d’efforts pour élaborer des plans et des programmes visant à intensifier leur production céréalière », juge ainsi Debo Akande.

À court terme toutefois, la situation est moins critique qu’en février 2022 : les pays de l’hémisphère nord sont en pleine période de récolte, laquelle s’annonce supérieure à celle de l’an passé. Voilà qui est de nature à compenser le recul probable des importations ukrainiennes, y compris vers l’Europe de l’Ouest. Des exportations vers l’Afrique pourront donc s’opérer, tandis que les prix devraient rester sages. En revanche, la situation à moyen terme (six mois à un an) est plus préoccupante, si le corridor en mer Noire n’est pas rétabli, même au ralenti.

« Une fermeture durable du corridor aura un impact sur l’inflation alimentaire, qui jouera sur la sécurité alimentaire », avertit Olia Tayeb Cherif, de la fondation Farm, citée par l’AFP.

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