Alors que le premier sommet Russie-Afrique en 2019 avait officialisé le retour de la Russie sur le continent, le rapport souligne que la guerre en Ukraine a mis à l’épreuve la « RussAfrique » aux plans économique, militaire et diplomatique.

Les sanctions prises par les Occidentaux contre la Russie depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine ont contrarié les ambitions africaines de plusieurs grandes entreprises russes, notamment dans les secteurs des hydrocarbures et des mines, selon un rapport publié le 25 juillet par l’Institut français des relations internationales (IFRI).

Intitulé « La RussAfrique à l’épreuve de la guerre », le rapport souligne que ces sanctions ont rendu les compagnies russes infréquentables et restreint leur accès aux financements internationaux cruciaux pour le développement de certains projets. Ainsi, les visées russes sur le secteur pétrolier d’Afrique subsaharienne sont en grande partie compromises. Le géant pétrolier Lukoil, qui s’était positionné sur plusieurs gisements pétroliers dans la région, s’est retiré du projet d’exploitation d’un gisement offshore au Ghana. Le second producteur de pétrole en Russie semble aussi avoir abandonné le projet de construction d’un oléoduc au Congo-Brazzaville et voit le développement de son projet au Cameroun retardé.

Étant entré dans les gisements du golfe de Guinée grâce à des partenariats avec des sociétés européennes et anglo-saxonnes, le groupe Lukoil voit également sa position fragilisée : il est désormais un partenaire problématique à capacité financière limitée.

Rosneft, l’autre société pétrolière russe présente en Afrique subsaharienne, n’a qu’un seul projet de développement au Mozambique, en partenariat avec ExxonMobil, Qatar Energy et ENI. Paradoxalement, les investissements russes dans le secteur pétrolier africain diminuent tandis que le pétrole russe s’écoule de plus en plus sur le marché africain grâce à son prix compétitif. Sur ce marché, la Russie devient de moins en moins un investisseur et de plus en plus un fournisseur.

Projets « irréalistes »

Dans le secteur minier africain, l’expansion des compagnies russes devient aussi de plus en plus compliquée. Si certaines d’entre elles poursuivent leurs activités sur le continent à l’instar de Rusal qui exploite la bauxite en Guinée ou encore de Renova qui extrait le manganèse en Afrique du Sud, d’autres ont abandonné leurs projets ou ont dû réorganiser leur circuit de production.

Vi Holding s’est retiré du projet de développement d’une mine platine au Zimbabwe alors que Nordgold fait désormais raffiner l’or extrait de ses mines en Guinée aux Emirats Arabes Unis et non plus en Suisse.

Bien que détentrice de plusieurs mines au Burkina Faso, Nordgold semble aussi sur le point de quitter le pays où elle subit la triple pression des sanctions, des exigences financières du gouvernement et de la guerre en cours. De même, des doutes planent désormais sur la capacité de la compagnie russe Alrosa à participer au développement de la mine de diamants de Catoca en Angola dans le cadre d’un partenariat avec la compagnie d’État angolaise Endiama.

En Namibie, le gouvernement a stoppé le lancement des activités de la filiale minière du géant du nucléaire russe Rosatom, Uranium One, pour des raisons environnementales et l’affaire est pendante devant la justice namibienne.

Exception

La seule exception notable se trouve en Afrique du Nord avec le grand projet nucléaire égyptien. Le lancement de la construction de la centrale nucléaire a, en effet, eu lieu le 29 juillet 2022. Le chantier, estimé à environ 25 milliards de dollars, devrait s’achever en 2029, et est financé à hauteur de 85 % par un prêt de l’État russe. Mais des doutes subsistent sur la capacité financière de Moscou d’honorer cet engagement pharaonique.

Le rapport souligne dans ce cadre que les sanctions occidentales contre Moscou constituent aussi un bon prétexte pour geler des projets « irréalistes ». Avant même le déclenchement des hostilités en Ukraine, les retombées des nombreux accords afro-russes se faisaient attendre au point qu’on pouvait les qualifier de « contrats d’apparat ». A titre d’exemple, l’annonce de la construction d’une raffinerie en Ouganda en 2018 par une filiale du conglomérat de défense russe Rostec n’avait pas été suivie d’effet et, en RDC, le projet de rénovation du réseau ferroviaire pour 500 millions de dollars a été oublié sitôt signé.

D’autre part, que la position dominante de la Russie sur le marché de l’armement africain risque d’être remise en cause. Représentant 44 % du marché pour la période 2017-2021, l’industrie russe de l’armement est fortement sollicitée par le conflit, ce qui risque de contraindre ses exportations.

Test crucial

L’IFRI indique par ailleurs que la Russie a intensifié sa communication diplomatico-médiatique en Afrique pour la préparation du second Sommet Russie-Afrique (27 et 28 juillet 2023 à Saint-Pétersbourg), car le Kremlin doit réunir autant de présidents et de chefs de gouvernement africains qu’en 2019 afin de montrer qu’il n’est pas isolé sur la scène internationale. Cet activisme repose essentiellement sur des arguments historiques (absence de passé colonial, soutien dans la lutte contre l’apartheid), politiques (invitation des pays africains à participer au nouveau monde multipolaire), idéologiques (valeurs spirituelles et morales traditionnelles communes) et de coopération (bourses d’études, livraisons de pétrole à bas prix, dons d’engrais et d’équipements médicaux). Ces divers outils de soft-power visant à consolider la « RussAfrique » en temps de guerre n’ont cependant pas permis d’inverser le rapport de force diplomatique en mobilisant les pays africains. Le 23 février 2023, un an après le début de l’invasion russe de l’Ukraine, l’Assemblée générale des Nations unies a de nouveau voté massivement pour le retrait des troupes russes. De manière très révélatrice, le nombre de voix en faveur de la résolution (141 sur 193 pays) est exactement le même que lors du premier vote, il y a un an, le 2 mars 2022.

Parmi les 16 pays qui ont modifié leur vote – ou leur présence – par rapport au vote de mars 2022, plus de pays africains ont pris position contre la Russie en 2023 : Madagascar, le Maroc et le Soudan du Sud ont finalement voté pour la condamnation de l’invasion russe, après s’être abstenus ou avoir été opportunément absents en 2022. Lors du vote le 23 février 2023, le Mali qui s’était abstenu en 2022 s’est prononcé en faveur de la Russie et le Gabon a quitté le camp du « pour » le retrait des troupes russes et s’est abstenu.

Le rapport fait remarquer dans ce cadre que le second Sommet Russie-Afrique devrait être un test crucial pour la « RussAfrique », notant que cette nouvelle démonstration de force diplomatique du Kremlin sera jugée à l’aune de la participation de chefs d’État et de gouvernement africains, dont 43 avaient pris part au premier Sommet tenu à Sotchi en 2019.

Agence ECOFIN