Longtemps considérée comme un foyer de démocratisation et de progrès politique, l’Afrique de l’Ouest fait face, ces dernières années, à un inquiétant reflux démocratique. Cette région autrefois caractérisée par des régimes démocratiques relativement stables est aujourd’hui aux prises avec une tendance inquiétante vers des régimes autoritaires. Des coups d’État aux violations des droits humains en passant par les rapprochements entre régimes autoritaires, on constate que le paysage politique de l’Afrique de l’Ouest subit une transformation profonde. Ceci soulève des préoccupations cruciales quant à l’avenir des libertés et de la démocratie dans la région.

Au cours des dernières années, les violations des droits humains se sont intensifiées dans la plupart des États. Alors que la répression des voix dissidentes, la censure médiatique et les détentions arbitraires se multiplient, érodant les libertés fondamentales et sapant les avancées réalisées au fil des années, la situation sécuritaire est délétère. Le terrorisme a pris d’assaut nos États et prends de l’ampleur chaque semaine, se frottant à la mauvaise gouvernance militaire, économique, politique et sociale.
Parallèlement, et de manière inquiétante, les dernières années sont caractérisées par le retour des militaires à la chose politique, donc la résurgence des coups d’État. On note plusieurs renversements de gouvernements pourtant élus (démocratiquement ?). Plusieurs États ont été secoués par ce phénomène. On évoque plus les cas du Mali, de la Guinée ou encore du Burkina Faso. L’actualité se trouve au Niger, où le Général TIANI a renversé le Président Mouhamed BAZOUM, créant, cette fois-ci, une crise aux ressorts problématiques. Ces événements devenus rares après les années 1990 refont surface, se multiplient, ébranlant tous les fondements de la stabilité politique. Et on a l’impression de se retrouver au lendemain des indépendances, face à la fièvre de coups d’État connue à cette époque-là. La résilience des institutions démocratiques est en cause. Le respect de la volonté véritable du peuple aussi.
Des alliances informelles se forment entre certains dirigeants, permettant un environnement propice à la pérennisation des pratiques antidémocratiques
Pendant ce temps les démocraties « illibérales » se rapprochent, établissant des partenariats avec des puissances socialistes, agrandissant le spectre inopérant de la vision développementaliste des sociétés. Des alliances informelles se forment entre certains dirigeants, permettant un environnement propice à la pérennisation des pratiques antidémocratiques. Les sommets régionaux et les forums diplomatiques ont souvent été le théâtre de discussions et de négociations entre ces régimes, remettant en question la capacité des organisations régionales à promouvoir efficacement la démocratie et les droits de l’homme.
Dans le contexte actuel de l’Afrique de l’Ouest, comment caractériser et analyser le reflux démocratique en cours tout en évaluant les perspectives dans la région ?
La présente analyse sonde les pannes de la démocratisation et met en lumière des perspectives pour un avenir où les valeurs démocratiques et les droits fondamentaux sont préservés dans une région, telle l’Afrique de l’Ouest en quête de stabilité politique, sociale et sécuritaire.
La couleur principale de l’érosion des institutions démocratiques, c’est la manipulation de la volonté du peuple.[4] On y voit des pratiques visant à fausser le processus électoral pour maintenir ou préserver le pouvoir en place, souvent au détriment de la volonté réelle des électeurs.

I. La consolidation démocratique en panne

Après les transitions démocratiques connues en Afrique de l’Ouest à la fin des années 1990, consolider les démocraties issues de long processus de libéralisation était devenu un défi majeur. Cette consolidation suppose que « les élections libres, transparentes deviennent une routine, parce qu’organiser à bonne date, avec des alternances à la tête de l’État ; les institutions majeures de l’État de droit démocratique fonctionnent sur le principe de la séparation des pouvoirs ; le pluralisme politique devient une réalité. Les institutions et les procédures démocratiques se routinisent, se renforcent, s’imposent aux acteurs et sont acceptées par ceux-ci. »[1] Où en sommes-nous aujourd’hui ? Le constat est simple, mais triste. Une érosion des institutions démocratiques (A) et une répression des voix dissidentes (B).

A. Une érosion des institutions démocratiques

Si en géomorphologie, l’érosion est le processus de dégradation et de transformation du relief, dans le cadre de cette analyse, le relief dégradé se trouve être l’ensemble des principes démocratiques consacrés et acceptés par les peuples.[2]
La couleur principale de l’érosion des institutions démocratiques, c’est la manipulation de la volonté du peuple.[3] On y voit des pratiques visant à fausser le processus électoral pour maintenir ou préserver le pouvoir en place, souvent au détriment de la volonté réelle des électeurs.
La couleur principale de l’érosion des institutions démocratiques, c’est la manipulation de la volonté du peuple.[4] On y voit des pratiques visant à fausser le processus électoral pour maintenir ou préserver le pouvoir en place, souvent au détriment de la volonté réelle des électeurs.
Cette manipulation en Afrique de l’Ouest a au moins deux visages. Premièrement, la manipulation des élections et des résultats à travers la fraude massive, l’exclusion des opposants et le refus de respecter les résultats issus des urnes.[5] Deuxièmement, les coups d’État. Qu’ils soient militaires ou constitutionnels, leur présence est remarquable aujourd’hui dans la région. La Côte d’Ivoire et le Togo sont témoins de la capture du pouvoir par des chefs d’État, au moyen de la manipulation du cadre juridique. Le Mali, le Burkina Faso, la Guinée et le Niger ont été pris d’assaut par les militaires.
Des alliances informelles se forment entre certains dirigeants, permettant un environnement propice à la pérennisation des pratiques antidémocratiques.
Au Bénin, on note de façon remarquable, une consolidation malveillante des prérogatives du pouvoir exécutif. La suspension de l’exécution des peines, la possibilité de contracter des accords de prêt sans l’avis préalable du parlement, la suppression du caractère obligatoire des avis de la Cour suprême sont au-delà des dernières élections non inclusives, des éléments d’érosions des systèmes démocratiques. Et ce n’est pas tout. Au Sénégal, la situation n’est pas moins préoccupante.
Globalement, on observe des ruptures dans l’ordre constitutionnel, la restriction des cadres législatifs et réglementaires, ainsi que des procédures judiciaires ayant pour conséquence de restreindre les candidatures aux élections. Aussi observe-t-on des remises en question des cadres électoraux et le rejet des résultats des consultations électorales.
Par ailleurs, l’émergence de formes de démocraties « illibérales » reflétant l’influence grandissante du populisme et du conservatisme, ainsi que les dérives au sein des systèmes politiques libéraux, contribuent à la complexité de la situation.
Les révisions constitutionnelles non consensuelles, les lacunes des mécanismes de participation et de représentation des femmes et des jeunes, entre autres facteurs, s’inscrivent également dans ce tableau.
A côté, toute dissidence est réprimée.

B. Une répression de la dissidence

La répression de la dissidence est un élément important de l’analyse de la panne de la consolidation démocratique observée en Afrique de l’Ouest. Elle implique d’une part les intimidations et arrestations des militants, des opposants politiques et des défenseurs des droits humains. D’autre part, elle provoque l’autocensure de la presse, s’investit dans la censure médiatique et donc le contrôle de l’information. Il faut constater que ces pratiques, de plus en plus remarquables, sont symptomatiques d’une tendance plus large visant à limiter les espaces de débat public et à limiter la voix des citoyens et celle des médias indépendants.
Les cas Ignace SOSSOU, Virgile AHOUANSE, Joël AIVO, Reckya MADOUGOU au Bénin, Ousmane SONKO au Sénégal, Agbéyomé KODJO au Togo et les multiples autres sont illustratifs.
Les gouvernements font usage de plusieurs méthodes telles que l’intimidation, l’arbitraire et la violence pour étouffer la dissidence. Les nombreuses violences observées ces dernières semaines au Sénégal sont une parfaite illustration. A la recherche du maintien d’une image de stabilité, les gouvernements limitent la liberté d’expression et de manifestation, évinçant toute critique susceptible de remettre en question la légitimité du pouvoir.
Les gouvernements font usage de plusieurs méthodes telles que l’intimidation, l’arbitraire et la violence pour étouffer la dissidence. Les nombreuses violences observées ces dernières semaines au Sénégal sont une parfaite illustration.
Parallèlement, pour contrôler et orienter l’information diffusée auprès des populations, la censure des médias indépendants, voire leurs fermetures sont malheureusement préconisées. Pendant ce temps, les médias gouvernementaux et les entrepreneurs de l’information diffusent des informations biaisées, faisant renaitre les idées de la pensée unique. Dans ce contexte, les droits des citoyens ne sont plus respectés. Ajouté à la mauvaise gouvernance et à la corruption galopante[6], ce climat de peur grandissante et d’autocensure chez les citoyens, les journalistes, les partis politiques et même les entreprises, contribue à la restriction de l’engagement citoyen. La transparence et la redevabilité baissent en effectivité.
En conséquence, la confiance envers les institutions démocratiques diminue, sapant les fondements de la gouvernance démocratique. Des frustrations naissent et les problèmes de sécurité émergent. Le développement économique est freiné. Et la consolidation démocratique est en panne.

II. Le présage conditionné d’une nouvelle vague de démocratisation

Les derniers développements de la situation politique en Afrique de l’Ouest prouvent à suffisance le reflux démocratique en place dans la région. Il faut une relance du processus démocratique. Les futurs changements positifs que connaîtront les États dépendent de la double condition de l’émergence de nouveaux leaders progressistes (A) et de la vigilance de plus en plus accrue des citoyens (B).

A. Une nécessaire émergence de nouveaux leaders progressistes

La troisième vague de démocratisation, selon la formule de Samuel Huntington, qui a envahi l’Afrique au début des années 1990, commençant par le Bénin[7], a connu un succès relatif en raison d’un certain nombre de facteurs. L’un des facteurs les plus déterminants est l’engagement des élites, qui embrase la population en général.
Se basant sur l’expérience du Bénin, vers la fin des années 1980, où la violence politique avait atteint son paroxysme, avec une économie asphyxiée, le rôle des élites engagées a été une étape décisive vers l’amorçage de la démocratisation. Les nombreuses rencontres des élites avec le Général Mathieu Kérékou, le rôle des élites catholiques, la contribution des intellectuels, l’enflamme du mouvement étudiant et les grèves ont été d’une grande importance dans la décision d’organisation d’une conférence nationale des forces vives.
Les jeunes générations sont désireuses de faire entendre leur voix et de façonner l’avenir de leurs nations. Ils devront s’attacher aux respects de l’État de droit, qui ne se limite plus au simple respect des règles élaborées.
Aujourd’hui, au Bénin, tout comme dans la plupart des États d’Afrique de l’Ouest, cette classe disparait progressivement de la scène publique. Plusieurs élites qui ont incarné ce combat ont malheureusement quitté ce monde, tandis que d’autres demeurent dans la retraite, jouissant de leurs années avancées. Si les générations suivantes ne s’approprient pas les idéaux défendus par les Pères, l’héritage démocratique sera gaspillé. Alors que la région est aux prises avec des pratiques antidémocratiques, l’émergence de nouveaux leaders engagés en faveur de la démocratie, de la transparence et du respect des droits humains peut apporter un souffle d’espoir et de changement positif.
Les jeunes générations sont désireuses de faire entendre leur voix et de façonner l’avenir de leurs nations. Ils devront s’attacher aux respects de l’État de droit, qui ne se limite plus au simple respect des règles élaborées. Encore faut-il que ces règles soient conformes aux principes fondamentaux des droits humains.
Cependant, l’émergence de nouveaux leaders progressistes n’est pas sans défis. Ils feront face aux effets de l’érosion des institutions démocratiques. Mais ils doivent être résilients et stratèges, bien formés, épris de justice et d’égalité, ouverts à la construction du consensus et surtout, respectueux de la dignité inhérente à la personne humaine.
Mais ce n’est pas tout. La vigilance des citoyens est indispensable.
Les jeunes générations sont désireuses de faire entendre leur voix et de façonner l’avenir de leurs nations. Ils devront s’attacher aux respects de l’État de droit, qui ne se limite plus au simple respect des règles élaborées.

B. Une vigilance souhaitée des citoyens

Une chose est claire. Lorsque les citoyens sont conscients de leurs droits, engagés dans le processus politique et disposés à surveiller les actions du gouvernement, cela renforce la responsabilité des dirigeants et contribue à préserver et à promouvoir les principes démocratiques.
Dans un contexte où le contrôle du pouvoir est au centre de toute démocratie, ce contrôle est encore plus bénéfique lorsque les citoyens s’y attèlent. La vigilance souhaitée implique de surveiller les activités du gouvernement et de ses représentants élus, exiger des comptes par les moyens légaux, poser des questions et remettre en question les décisions et les politiques attentatoires aux droits et aux principes démocratiques. Ainsi donc, le pouvoir du peuple arrête le pouvoir du dirigeant.
Les médias sociaux ne doivent plus servir qu’aux divertissements. Ils doivent contribuer à la mobilisation citoyenne, au partage d’expériences, à diffuser le droit et la nécessité de la démocratie et des droits humains. Alerter sur les violations des droits humains, s’investir dans le contentieux stratégique, exiger que les dirigeants expliquent leurs actions et justifient l’utilisation des fonds publics. Autant d’actions à mener. Mais la société civile doit se dynamiser. Les sociétés de production de la connaissance, les think tanks doivent s’investir.
Des coups d’État aux violations des droits humains en passant par les rapprochements entre régimes autoritaires, on constate que le paysage politique de l’Afrique de l’Ouest subit une transformation profonde.
Et pour tout dire, la flamme de la démocratie brille avec une intensité accrue lorsque chaque citoyen devient un gardien intrépide de ses principes. La naissance d’une conscience collective des citoyens ouest-africains est nécessaire pour une démocratie vivante, dynamique et résiliente.
C’est en éveillant la curiosité, en exigeant la transparence et en refusant l’obscurité que les citoyens façonnent un paysage politique où l’intégrité, la responsabilité et la justice sont des réalités tangibles. Alors, la vigilance des citoyens ne sera plus un simple devoir, mais une voie lumineuse vers une démocratie florissante, où le pouvoir appartient véritablement au peuple et où l’idéal démocratique trouve sa plus belle expression.
C’est encore possible.

Conaïde Akouedenoudje
Juriste – chargé de recherche associé à WATHI, Conaïde AKOUEDENOUDJE est en fin de formation à la Chaire UNESCO des droits de la personne et de la démocratie où il finalise un Master, option « droit de la personne et de la démocratie » à l’Université d’Abomey-Calavi au Bénin. Jeune béninois, il s’intéresse aux droits humains et à la démocratie et place au cœur de ses réflexions, les grands enjeux du monde d’aujourd’hui, dont notamment, la centralité du constitutionalisme et la sécurité.
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