Bien que leur volume dépasse celui de l’aide publique au développement, et même des IDE, les envois de fonds des migrants africains ne contribuent que marginalement au financement du développement et à la création de richesse sur le continent, selon un rapport publié en juin dernier par Ecofin Pro, la plateforme de l’agence Ecofin dédiée aux professionnels.

Intitulé « La gestion anarchique des envois de fonds des diasporas », le rapport précise que les transferts financiers des diasporas africaines sont passés de plus de 67 milliards de dollars en 2016 à 86 milliards en 2019. Après un léger recul en 2020 dans un contexte de crise sanitaire mondiale (84 milliards $), ils ont atteint plus de 97 milliards $, selon les estimations disponibles pour l’année 2022.

En Afrique comme dans la plupart des pays en développement, les remises migratoires ont ainsi dépassé les flux de l’aide publique au développement (APD), et même ceux des investissements directs étrangers (IDE). D’après les données de l’OCDE, les flux nets de l’APD bilatérale vers l’Afrique ont atteint 35 milliards $ en 2021, ce qui représente à peine le tiers des fonds reçus par les familles des travailleurs migrants au cours de la même année.

Les remises migratoires représentent d’ailleurs des parts importantes du Produit intérieur brut (PIB) de plusieurs pays du continent : 28,9% en Gambie, 23% au Lesotho, 21,1% aux Comores, 14,1% au Cap-Vert et 10,4% en Guinée-Bissau.

L’Egypte et le Nigeria, principaux récipiendaires

Le rapport élaboré par notre confrère Moutiou Adjibi Nourou indique également que l’Egypte est depuis 2017 le premier pays récipiendaire des transferts de la diaspora en Afrique. En 2022, ce pays d’Afrique du Nord a reçu 28,3 milliards $ de sa diaspora, soit 29% de l’ensemble des remises migratoires enregistrées sur le continent.

L’Egypte est suivie par le Nigeria qui a reçu 20,1 milliards $, soit près de 21% du total des envois de fonds de la diaspora africaine. Viennent ensuite le Maroc (11 milliards $), le Ghana (4,6 milliards) et le Kenya (4 milliards).

Une analyse des fonds reçus par ces cinq principaux pays de destination (Egypte, Nigeria, Maroc, Ghana, Kenya) permet d’établir une cartographie des principaux expéditeurs. L’Egypte reçoit des fonds essentiellement des pays du Moyen-Orient comme l’Arabie saoudite, le Koweït, les Emirats arabes unis et le Qatar. Les États-Unis sont le premier pourvoyeur de remittances vers le Nigeria. En ce qui concerne le Maroc, le Ghana et le Kenya, cette place est respectivement occupée par la France pour le premier et les États-Unis pour les deux derniers.

Mais contrairement à une idée répandue selon laquelle les migrants africains enverraient de l’argent vers leur pays d’origine systématiquement à partir de l’Europe ou des États-Unis, plusieurs pays du continent tirent l’essentiel de leurs remises migratoires de diasporas installées dans d’autres pays du continent. A titre d’exemple, l’Afrique du Sud est le principal pays pourvoyeur de remises migratoires vers le Lesotho. Au sein de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), 6 pays sur 8 tirent leurs remises migratoires principalement d’autres pays africains. En effet, seuls le Sénégal et la Guinée-Bissau ont pour principale source d’envoi de fonds de la diaspora un pays non africain, qui est la France pour le premier et le Portugal pour le second.

Les frais élevés encouragent les canaux informels

Le rapport souligne d’autre part que les transferts des migrants vers l’Afrique sont sous-évalués, en raison de la faiblesse des données disponibles et de l’utilisation de canaux informels pour les envois d’argent comme les transferts en numéraire. Une étude de la

BAD portant sur 4 pays d’Afrique subsaharienne montre que les volumes des transferts de fonds informels varient entre 25 et 80%, à cause des coûts élevés des canaux formels. Les expéditeurs ont dû payer une moyenne de 8% pour envoyer 200 $ vers les pays africains au cours du quatrième trimestre 2022, contre 7,8% au quatrième trimestre 2021. Ces coûts peuvent cependant aller jusqu’à 35% dans certains corridors.

Mais au-delà des frais élevés pratiqués par les opérateurs qui dominent le marché des transferts transfrontaliers de fonds comme Western Union et MoneyGram, les remises migratoires représentent une manne financière mal utilisée sur le continent. Les transferts d’argent réalisés par la diaspora africaine constituent souvent une ressource vivrière pour les familles qui les perçoivent. D’autant plus qu’ils sont essentiellement orientés vers des dépenses de consommation courante comme les achats de nourriture et le paiement des frais de scolarité. Ces ressources ne contribuent, de ce fait, que marginalement au financement des projets d’investissement et à la création de richesse.

Pour mieux exploiter le potentiel des diasporas africaines, le rapport recommande notamment d’élargir les bases de données disponibles sur les transferts financiers des migrants vers l’Afrique et de favoriser une concurrence loyale entre les opérateurs actifs sur le segment des transferts de fonds à l’heure où des fintechs très agiles comme Wave, Sendwave, M-Pesa et Orange Money affichent leurs intentions de gagner de plus en plus de parts de marché en proposant des services moins coûteux.

ECOFIN