Le cabinet d’analyse de marché Innogence Consulting a mené une enquête de satisfaction chez la diaspora africaine vivant en France, à propos de leurs habitudes de voyages aériens vers l’Afrique. Décryptage des résultats de cette étude dans cette interview Jean-Louis Traoré un des membres du cabinet qui a dirigé cette enquête ...

Jean-Louis Traoré : « Notre enquête vise ainsi à éclairer les transporteurs aériens sur les attentes et préoccupations de la diaspora africaine. »

Agence Ecofin : Votre cabinet vient de produire un rapport d’opinion de la diaspora africaine sur les compagnies que ses membres préfèrent. Tout d’abord, de quelle diaspora parlons-nous et quelle est la composition de l’échantillonnage qui a servi de base à votre analyse ?

Jean-Louis Traoré : Vous avez tout à fait raison de mettre en avant ces considérations. Selon les estimations de l’INSEE en 2022, la population de personnes d’origine étrangère résidant en France est estimée à environ 5,3 millions. Cette population est extrêmement diversifiée et englobe des individus provenant de divers pays africains comme le Maroc, l’Algérie, le Sénégal, le Mali, la Côte d’Ivoire, le Cameroun et le Bénin, pour n’en nommer que quelques-uns.

Cependant, il est difficile d’établir de manière précise et quantitative quelle fraction de la diaspora africaine est la plus active en matière de voyages. Il faut noter que l’objectif de l’étude n’était pas de mener un sondage à grande échelle, car par sa nature même, elle présente un biais de sélection. Ce biais découle du fait que l’échantillon sondé ne représente pas la totalité de la population, comme préalablement mentionné, mais plutôt une portion constituée d’individus ayant voyagé vers le continent africain au cours des 24 mois précédents.

Pour identifier cette population cible, deux techniques d’échantillonnage ont été privilégiées dans le cadre de l’étude :

L’échantillonnage à participation volontaire, qui repose sur la sélection d’individus ayant choisi librement de participer à l’étude ;
L’échantillonnage par boule de neige, également connu sous le nom d’échantillonnage par recommandation ou échantillonnage par chaîne, a été employé pour accéder directement à notre population cible. Cette méthode implique la sélection initiale d’individus, suivie par la recommandation et l’invitation d’autres membres de cette population par les participants initiaux. Cela permet de constituer un échantillon représentatif de voyageurs africains.
Agence Ecofin : On note que la plupart des répondants sont majoritairement Camerounais, Béninois et Ivoiriens, des pays qui n’ont pas une forte population de diasporas, comparés au Mali ou encore au Sénégal. Comment avez-vous compensé ce déséquilibre ?

Jean-Louis Traoré : Notre enquête a été réalisée auprès d’environ 400 membres de la diaspora d’Afrique subsaharienne en France. Cette diaspora vaste et diversifiée est le résultat de migrations historiques, ainsi que de mouvements contemporains liés à des opportunités économiques, à des conflits et à des raisons personnelles. Les populations les plus représentées de notre échantillon sont les Camerounais (20%), les Béninois (19%), les Ivoiriens (16%), les Maliens (15%) et les Congolais (9%).

Agence Ecofin : Pouvez-vous résumer les indicateurs intéressants dans les réponses que vous avez recueillies pour le secteur du transport aérien en Afrique ?

Jean-Louis Traoré : L’analyse de l’étude portant sur l’expérience des passagers à destination d’Afrique révèle plusieurs faits significatifs :

En ce qui concerne la destination de choix, il est notable que les répondants privilégient majoritairement un retour vers leur pays d’origine lors de leurs déplacements vers le continent africain. De plus, environ 90% se déplacent vers l’Afrique principalement pour des motifs personnels tels que des visites familiales et la reconnexion à leurs racines culturelles.
Les Africains de la diaspora manifestent un intérêt marqué pour les canaux numériques, avec plus de 60% d’entre eux utilisant des plateformes de comparaison de prix pour l’achat de leurs billets d’avion.
En ce qui concerne la notoriété des compagnies aériennes, l’étude indique que dans l’esprit de la majorité (soit 65% des répondants), Air France occupe la 1ère position lorsqu’il est question de vols à destination d’Afrique, suivie par Ethiopian Airlines (10%) et Brussels Airlines (7%).
Les 3 critères prédominants qui motivent la décision d’achat d’un billet d’avion au sein de cette population sont la durée du vol (60%), la sécurité (57%), et la recherche des tarifs les plus avantageux (53%). La ponctualité, bien que significative, arrive en 4ème position, récoltant l’adhésion de 49% des répondants.
En consolidant divers critères d’évaluation, il apparaît que Ethiopian Airlines et Brussels Airlines sont les compagnies qui génèrent le plus haut niveau de satisfaction chez leurs usagers, mettant ainsi en lumière leur performance sur le marché de l’aviation desservant l’Afrique.
Agence Ecofin : Des compagnies comme Air France, Brussels et Ethiopian Airlines sont leaders dans les choix des diasporas africaines que vous avez étudiées. Est-ce un résultat logique au terme de votre analyse ?

Jean-Louis Traore : Effectivement, les résultats de l’étude sont en parfaite concordance avec les observations de terrain. Ethiopian Airlines jouit d’une renommée grandissante au sein de la diaspora africaine, se distinguant notamment en tant que compagnie offrant l’un des réseaux les plus étendus sur le continent, avec un total de 56 destinations desservies en Afrique subsaharienne, dont 20 en Éthiopie.

De son côté, Air France figure parmi les acteurs majeurs du secteur aérien européen, assurant la connectivité vers 44 destinations réparties dans 33 pays d’Afrique subsaharienne. Brussels Airlines, à l’instar des deux précédentes, détient une présence significative sur le marché africain avec une couverture de 17 destinations en Afrique subsaharienne.

Il faut toutefois noter que l’étude a été menée au sein de la diaspora africaine résidant en France, ce qui a inévitablement favorisé la position d’Air France, étant donné qu’elle offre le plus vaste éventail de liaisons directes vers des pays africains, principalement à partir des deux aéroports parisiens. Cette prépondérance logistique lui confère un avantage stratégique indéniable dans ce contexte.

Agence Ecofin : Il y a une montée des critiques anti-françaises sur les réseaux sociaux y compris par de nombreux Africains de la diaspora. Comment comprendre donc cet intérêt pour Air France ?

Jean-Louis Traore : Comme vous le savez, Air France a décidé de suspendre ses liaisons vers le Sahel, notamment Niamey, Ouagadougou et Bamako. Cette décision a impacté significativement les autres vols à destination d’Afrique subsaharienne et d’Afrique de l’Est, entraînant des rallongements de temps de vol allant de 15 minutes à 2 heures.

Pour Air France, la question de la suspension des vols entre Paris et Bamako a une importance particulière, car en 2022, la capitale malienne se classait 3ème en termes de capacité parmi les destinations d’Afrique subsaharienne, après Abidjan et Dakar selon les données fournies par OAG, un prestataire de données aériennes. Quant à Niamey et Ouagadougou, elles étaient nettement moins fréquentées que ces 3 principales destinations.

La question de la prééminence d’Air France se pose alors. Plusieurs facteurs peuvent influencer le choix des voyageurs et expliquer pourquoi beaucoup de passagers à destination de l’Afrique continuent de la privilégier.

« Par exemple, un vol Paris-Abidjan dure environ 6 heures 20 minutes sur Air France, 6 h 25 mn sur Corsair et 8 h 30 mn sur RAM. En comparaison, les passagers de Brussels Airlines doivent compter 9h10 mn et ceux d’Ethiopian Airlines, parfois 17 h 55 mn pour le même trajet. »

Du point de vue quantitatif, cette compagnie possède la plus large offre de destinations africaines au départ de la France, englobant à la fois les métropoles majeures et des destinations moins fréquentées. Cette diversité lui confère un avantage concurrentiel notable, même si ses tarifs sont souvent considérés comme relativement élevés. Ethiopian Airlines détient la meilleure couverture pour les vols intra-africains, mais Air France se distingue par sa connectivité avec l’Afrique depuis la France.

En outre, la plupart des passagers attachent une grande importance aux vols directs et aux temps de trajet réduits. Dans ce domaine, Air France se démarque. Par exemple, un vol Paris-Abidjan dure environ 6 heures 20 minutes sur Air France, 6 h 25 mn sur Corsair et 8 h 30 mn sur RAM. En comparaison, les passagers de Brussels Airlines doivent compter 9h10 mn et ceux d’Ethiopian Airlines, parfois 17 h 55 mn pour le même trajet.

Agence Ecofin : A contrario, si Ethiopian et Brussels Airlines offrent, selon votre étude, un service jugé meilleur, pourquoi ces deux compagnies ne sont pas davantage choisies ?

Jean-Louis Traore : La notoriété et les habitudes de voyage jouent un rôle significatif dans les choix des compagnies aériennes.

Une des raisons majeures se trouve aussi dans la durée des voyages, comme mentionné plus haut. Les vols d’Ethiopian et de Brussels peuvent être plus longs que ceux d’autres compagnies pour certaines destinations africaines, en raison de leur modèle de réseau et de leurs hubs de correspondance. Les voyageurs, en particulier ceux qui visitent leur pays d’origine pour des raisons familiales ou personnelles, accordent souvent une grande importance à la durée totale du voyage. Un vol long peut être perçu comme moins commode, ce qui peut dissuader les passagers de choisir ces compagnies, malgré une qualité de service jugée supérieure.

Du point de vue de la compétitivité des prix, bien que certaines compagnies ne puissent pas se targuer d’avoir a priori les tarifs les plus bas du marché, elles continuent d’attirer du monde en raison d’accords de partage de code et de programmes de fidélisation. Les passagers qui cherchent à minimiser leurs dépenses sont alors plus enclins à choisir une compagnie fixe afin de cumuler des points et se voir offrir des réductions en tout genre, en dépit d’une qualité de service jugée légèrement inférieure.

Agence Ecofin : Comment vous est venue l’idée de cette enquête de satisfaction de la diaspora africaine sur les compagnies aériennes qu’elles empruntent et qu’est ce qui a motivé votre démarche ?

Jean-Louis Traore : Innogence Consulting est un cabinet spécialisé en Market Intelligence basé à Paris, Abidjan et Kinshasa. Nous intervenons dans plus de 25 pays africains et poursuivons l’objectif d’aider nos clients (grands groupes, PME, institutions, etc.) à développer des produits et services adaptés à leurs organisations et aux changements liés aux évolutions du marché.

Innogence Consulting a pris l’initiative de mener cette enquête auprès de la diaspora africaine concernant son expérience avec les différentes compagnies aériennes desservant le continent à cause de notre engagement à produire des données utiles qui éclaireront les entreprises de divers secteurs sur les démarches efficaces à entreprendre auprès de leur clientèle. Notre objectif fondamental est de favoriser une amélioration significative de l’expérience des clients, et par là, de garantir leur satisfaction.

Ces derniers temps, de nombreuses voix se sont élevées pour dénoncer des expériences insatisfaisantes, des traitements peu appropriés et divers aspects négatifs liés aux compagnies aériennes opérant en Afrique. Cette situation a suscité des préoccupations légitimes au sein de la diaspora africaine. Nous considérons que cette dernière constitue un marché extrêmement important. Dans le contexte concurrentiel actuel, tout prestataire de services qui ne traite pas sa clientèle avec le plus grand des égards risque de subir des conséquences dommageables.

« Ces derniers temps, de nombreuses voix se sont élevées pour dénoncer des expériences insatisfaisantes, des traitements peu appropriés et divers aspects négatifs liés aux compagnies aériennes opérant en Afrique. »

En effet, la diaspora africaine est un marché en constantes croissance et expansion, avec un pouvoir d’achat croissant. Les compagnies qui réussissent à répondre efficacement à ses besoins ont un avantage compétitif majeur. De plus, la manière dont elles sont perçues par la diaspora africaine peut avoir un impact significatif sur leur réputation et leur image de marque. Les avis et témoignages des clients jouent un rôle déterminant dans la création d’une perception globale. Cela est d’autant plus vrai qu’une expérience client positive est l’un des principaux facteurs de fidélisation.

Notre enquête vise ainsi à éclairer les transporteurs aériens sur les attentes et préoccupations de la diaspora africaine. Elle s’inscrit dans une perspective d’amélioration de l’expérience client, de consolidation de la réputation des marques, de fidélisation de la clientèle et de renforcement de la compétitivité sur le marché mondial.

En recueillant des données précises sur les besoins et les attentes de la diaspora africaine, nous pensons aider les compagnies aériennes à mettre en œuvre des améliorations ciblées visant à fidéliser leur clientèle.

Entretien réalisé par Idriss Linge

Agence ECOFIN