Trois sœurs décrivent anonymement auprès du journal du Vatican le travail ingrat que ces femmes fournissent, quasi gratuitement, aux hommes d’Église.

C’est un petit séisme dans le monde catholique. Alors que le mouvement de libération de la parole des femmes continue de s’étendre, il secoue aujourd’hui le Vatican, où trois sœurs ont dénoncé, vendredi dernier dans L’Osservatore Romano, l’exploitation parfois gratuite des religieuses, dévolues à des tâches ménagères, au service de la hiérarchie masculine de l’Église.
Dans l’édition de mars du magazine mensuel Femmes Église Monde, distribué le 1er mars avec le très officiel quotidien du Vatican, les sœurs Marie, Paule et Cécile ont décidé de témoigner longuement, et anonymement. « Certaines sœurs, employées au service d’hommes d’Église, se lèvent à l’aube pour préparer le petit déjeuner et vont dormir une fois que le dîner a été servi, la maison mise en ordre, le linge lavé et repassé... », décrit sœur Marie, arrivée à Rome en provenance d’Afrique noire, il y a vingt ans. « Dans ce type de service, les sœurs n’ont pas d’horaires précis et réglementés, comme dans le monde laïc, et leur rétribution financière est aléatoire, souvent très modeste », dénonce-t-elle, attristée de voir qu’elles sont rarement invitées à manger à la table de ceux qu’elles servent.
« Est-il normal qu’un consacré se fasse servir de cette manière par une autre
consacrée ? » interroge sœur Marie, constatant que ce sont presque systématiquement des femmes qui sont chargées des tâches domestiques dans l’univers de l’Église. Cette situation très ancienne suscite chez certaines « une rébellion intérieure très forte », et « beaucoup de blessures ».
« De véritables abus de pouvoir »

Parfois aidées par la mère supérieure de leur congrégation religieuse, qui a payé les soins d’un parent malade ou les études d’un frère aîné, de nombreuses religieuses venant d’Afrique, d’Asie ou d’Amérique latine « se sentent redevables, ligotées, et alors elles se taisent », assure sœur Marie. Par ailleurs, lorsqu’elles tombent malades, les religieuses sont souvent renvoyées dans leurs congrégations, pour être remplacées auprès des hommes d’Église, « comme si elles étaient interchangeables », critique sœur Paule.
Elles sont aussi très souvent sous-exploitées au regard de leur formation, comme cette religieuse docteur en théologie envoyée sans explication « nettoyer des plats », ou cette enseignante chargée après l’âge de 50 ans d’ouvrir les portes d’une paroisse. « La responsabilité n’est pas que masculine dans cette affaire. Car même si les sœurs sont brillantes, des mères supérieures s’opposent à la poursuite de leurs études au motif que les sœurs ne doivent pas devenir orgueilleuses », termine Paule.
« Nous sommes les héritières d’une longue histoire, celle de saint Vincent de Paul, et de toutes les personnes qui ont fondé des congrégations pour les pauvres dans un esprit de service et de don », rappelle de son côté sœur Cécile, une enseignante sans contrat. Cela crée la conviction qu’une rétribution « ne rentre pas dans l’ordre naturel des choses », et « les sœurs sont perçues comme des volontaires dont on peut disposer comme on veut, ce qui donne lieu à de véritables abus de pouvoir », analyse-t-elle.
Les contradictions du pape François

Quelle est la position du pape François concernant la condition des femmes, en particulier dans l’Église ? En mai 2016, le souverain pontife avait formulé un conseil à l’Union internationale des supérieures générales : « Quand on vous demande une chose qui relève davantage de la servitude que du service, ayez le courage de dire non. » Dans la même rencontre, il ajoutait néanmoins qu’il ne fallait pas « sombrer dans le féminisme », ne cachant pas ses contradictions en la matière.
Le pape François reste en effet dans la pure tradition catholique romaine en interdisant l’ordination des femmes, malgré la sévère crise des vocations. Son grand synode sur la famille d’octobre 2015 fut « une occasion ratée », avec trente femmes auditrices sans aucun droit de vote. Et de conclure que le pape argentin a une vision plutôt intuitive sur les femmes sans puiser dans une idéologie. « D’où peut-être son incapacité à voir la trame patriarcale et sexiste d’un large pan de l’Église et de son enseignement. »

PAR LE POINT.FR (AVEC AFP)