Notre chroniqueur aborde aujourd’hui le thème de la laïcité, un concept polysémique qui fait débats dans les sociétés dites modernes. Alors que les fanatiques religieux instrumentalisent les textes sacrés à des fins politiques ou carrément mercantilistes, comment préserver la jeunesse de l’idéologie de la haine et des mouvements nihilistes ?
Tentative de réponse.

Comment concilier le fait que les religions sont prégnantes dans toute notre vie sociale (et donc politique également), et ce que nous proclamons dans notre constitution qui, en son article 31 stipule que « le Burkina Faso est un Etat démocratique, unitaire et
laïc ? ». Lorsque l’on observe le fonctionnement des institutions de la république de ce point de vue, il y a comme un hiatus.
De même, l’observation du secteur de l’enseignement interroge lorsque l’on sait que l’article 27 de la même constitution stipule que :« Tout citoyen a le droit à l’instruction. L’enseignement public est laïc. L’enseignement privé est reconnu. La loi fixe les conditions de son exercice. »
Ces deux articles mériteraient d’être aussi connus que l’article 37 ! Tout comme l’article premier dont les principes sont rappelés par de nombreux autres articles de la constitution, et qui stipule que : « Tous les Burkinabè naissent libres et égaux en droits. Tous ont une égale vocation à jouir de tous les droits et de toutes les libertés garantis par la présente Constitution. Les discriminations de toutes sortes, notamment celles fondées sur la race, l’ethnie, la région, la couleur, le sexe, la langue, la religion, la caste, les opinions politiques, la fortune et la naissance, sont prohibées. »

Le préambule de la constitution fait par ailleurs référence à deux textes supra nationaux : la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 et la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples de 1981.

Le texte de notre constitution est clair et sa compréhension ne nécessite pas de connaissances juridiques particulières. Une bonne compréhension de la langue française suffit. Et cette constitution est celle d’un État « démocratique, unitaire et
laïc ».
Or, quel est le constat ?
La quasi cogestion de certains événements nationaux, en particulier les cérémonies protocolaires et la gestion des situations de crise par les institutions de la république et les chefferies religieuses (mais aussi traditionnelles) interpellent toujours ceux qui sont attachés aux textes.
Les nominations à la tête de nos institutions font parfois ouvertement l’objet de la recherche d’équilibres régionaux (pour ne pas dire ethniques), mais également religieux. L’exemple paroxysmique étant celui de la CENI dont les textes prévoient carrément une alternance à base religieuse à sa présidence !
Quant à la prise en charge partielle du coût et de l’organisation des pèlerinages religieux par le budget de l’État, cela laisse songeur…

Seulement voilà. Cette constitution étant largement inspirée de celle de la 5ème république de la France, ancien pays colonisateur dont la présence encore bien pesante dans nos pays, suscite bien des ressentiments et amalgames.
Quiconque ose s’interroger sur l’effectivité de la laïcité de l’État burkinabè est accusé d’aliénation et d’acculturation car soupçonné de vouloir importer au Burkina la loi de 1905 portant séparation des églises et de l’État en France.
Or, la laïcité n’est pas la loi de 1905, qui n’est qu’un texte étatique réglementaire de plus.
C’est ce qu’introduit l’article II et ce qu’explicite l’article X de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi.
La laïcité est le premier article du Bill of Right américain, le premier amendement de la constitution US, la première liberté, celle qui conditionne toutes les autres : celle de pratiquer la religion de son choix, de pouvoir penser et s’exprimer librement, de pouvoir écrire, publier et s’assembler pacifiquement.
La laïcité tire ses origines de la lettre sur la tolérance de John Locke : "On peut employer tant d’avis et de raisons que l’on voudra, pour contribuer au salut de son frère ; mais la violence et la contrainte ne doivent jamais être de la partie, et l’autorité n’a point ici de lieu".

La laïcité est l’interdiction formelle faite à l’État de ne jamais contraindre les individus dans leurs choix religieux, vestimentaires, alimentaires, culturels, artistiques ou autre tant que ceux-ci ne troublent pas l’ordre public.
La laïcité, ce n’est pas la négation de la religion, c’est la reconnaissance des religions comme liberté fondamentale et comme valeur primordiale de la société.
La laïcité, c’est la séparation stricte entre le pouvoir temporel et le pouvoir spirituel.
C’est la possibilité d’arriver à concilier l’intime conviction la plus absolue de chaque conscience, avec la vie en commun. Pour y parvenir, les religions n’ont rien à faire dans la politique, et naturellement, la politique n’a rien à faire dans les religions.
Ce n’est pas aux dirigeants politiques d’organiser les religions.
Les églises chez elles, l’État chez lui.
Nous sommes un pays multiconfessionnel. Les églises ont chacune une position, et on peut penser que leurs fidèles mettent en application la parole de leur église pour leur propre vie personnelle. Mais ils ne peuvent pas imposer aux autres leurs propres règles.
L’État n’a pas à discuter avec les églises du contenu des lois ou des grands thèmes qui sont en débat pour la raison que les églises fonctionnent dans le régime du dogme, de la vérité révélée. On ne peut pas discuter une vérité révélée !
Cependant, entre citoyens, on peut discuter de l’efficacité de toutes les idées.
Les politiciens le savent bien. Mais leur démarche vis à vis des chefferies religieuses est la même que celle qu’ils ont vis-à-vis des chefferies traditionnelles/coutumières et de toutes autres personne ou organisation qui a de l’audience auprès d’un certain public vu uniquement par le petit bout de la lorgnette électoraliste.
Pour autant, dans un pays comme le Burkina Faso dans lequel les religions jouent encore un rôle aussi important dans la société, l’État laïc ne peut ignorer ce fait social.
Et c’est là qu’intervient l’enseignement laïc (article 27).
En effet, ce ne sont pas les religions le problème. C’est l’ignorance et l’inculture.
Il faut donc enseigner une culture générale sur notre histoire, nos institutions, mais aussi, les religions dans nos établissements.
Enseigner la connaissance des différentes religions n’est pas "enseigner la religion" comme une vérité révélée, absolue, intouchable. C’est enseigner brièvement l’histoire des religions.

C’est expliquer ce en quoi les gens croient dans ce cadre, les valeurs prônées, les us et coutumes ainsi que l’organisation qui en découlent pour que les jeunes comprennent ce à quoi les croyants sont attachés.
Et faire comprendre que si un état est supposé laïc, aucune religion ne régit l’organisation de l’état, même si dans la vie quotidienne, la proportion de croyants de telle ou telle obédience influe sur l’organisation de la société.

Il est toujours délicat comme enseignant d’enseigner la connaissance des religions de façon descriptive sans exprimer une opinion ou une foi personnelle. Ceux qui y arrivent ont beaucoup de mérite, surtout en ces temps où la religion sert de prétexte à la violence.
Les programmes de l’éducation nationale sont là pour aider les enseignants à garder cette distance entre leurs croyances personnelles et cet enseignement nécessaire pour un minimum de tolérance entre croyants, et entre croyants et agnostiques.
Certains évènements violents des dernières années tendent à faire oublier que la plupart des religions expriment les salutations en termes de paix, monothéistes importées comme polythéistes locales.

C’est par l’éducation, en développant les connaissances et l’esprit critique que nous mettrons notre jeunesse à l’abri des manipulateurs, qu’ils soient religieux et/ou politiques.

Maixent Somé ; Analyste politique
Kaceto.net