Le collectif sénégalais And Samm Jikko Yi a organisé le 20 Février dernier un grand rassemblement à Dakar pour dénoncer le rejet « illégal » par l’Assemblée nationale de la proposition de loi visant à criminaliser l’homosexualité. Cette manifestation peut être interprétée comme une façon de maintenir la tension autour du débat sur l’homosexualité dans un état laïc.

Le débat sur l’homosexualité en Afrique frise souvent l’hystérie à cause des considérations irrationnelles qu’il charrie. La peur de ce que pense ou de ce que fera l’autre dicte des attitudes parfois inutilement agressives. Les contempteurs de l’homosexualité voient en tous ceux qui ne pensent pas comme eux des suppôts de sa légalisation. Ainsi au Sénégal, le Président de la République a beau répété que tant qu’il sera en fonction, l’homosexualité ne sera pas légalisée, certains pensent qu’il a un agenda caché.

Cependant, s’il est tout à fait compréhensible qu’on puisse se poser des questions sur l’opportunité ou non de criminaliser l’homosexualité, il convient de souligner que la seule répression des actes contre nature entre des personnes de même sexe ne saurait suffire à satisfaire les exigences d’une opinion publique remontée contre ce fait de société. Dès lors, ne faudrait-il pas compléter la loi de Février 1963 par une disposition sanctionnant sa promotion ?
Mimétisme d’Etat et force des traditions

La réponse donnée par les Etats africains à la lancinante interrogation sur la libéralisation ou la criminalisation de l’homosexualité varie. Globalement, les pays africains sont officiellement contre l’homosexualité que la loi condamne conformément à l’opinion dominante des citoyens. A cet égard, à titre d’exemple, nous citerons les cas du Cameroun et de la Tunisie.

Au Cameroun l’interdiction de l’homosexualité concerne sa manifestions publique dans toute ses formes. Ainsi, tout acte pour affirmer leur différence ou tendant à la promotion de leur situation est interdit aux homosexuels.

La situation n’est pas plus reluisante pour les LGBT résidant dans les pays du Maghreb. Ainsi en Tunisie, la situation des homosexuels est d’autant plus difficile qu’ils doivent faire face à des lois et à une société particulièrement homophobe.

Cependant, il faut bien le reconnaître, même s’ils sont peu nombreux, il y’a des pays en Afrique qui au nom des principes d’égalité des citoyens devant la loi, au nom de la nécessaire protection de leurs droits et libertés reconnaissent aux LGBT, le droit de vivre leur vie comme ils l’entendent, dans le cadre des droits et règlements. Parmi ces pays, nous pouvons citer l’Afrique du Sud et le Gabon. Toutefois, il convient de souligner que la position officielle n’y cadre pas toujours avec l’opinion dominante.

A cet égard, l’Afrique du Sud, qui a inscrit la protection des minorités sexuelles dans sa Constitution en 1996 et qui fut l’un des premiers pays au monde à autoriser le mariage entre couples de même sexe dix ans plus tard, est un pays ou le débat sur l’homosexualité est loin d’être clos. En effet, la grande ville de Johannesburg, derrière ses allures de « capitale gay », cache-t-elle aussi une sombre réalité pour les adeptes du mouvement LGBT .

Cette même ambiguïté caractérise la position du Gabon où depuis 1960 les relations sexuelles entre personne de même sexe n’étaient pas condamnées avant qu’un amendement au code pénal, interdisant ce type de pratique, ne fut voté par le Sénat en juillet 2019. C’est pourquoi bon nombre d’observateurs ont pu se demander quel était l’objectif visé par la dépénalisation de l’homosexualité voulue par le gouvernement gabonais et adoptée quelques mois plus tard par les deux chambres du parlement.

Le Sénégal ou la tentation de criminaliser le soupçon.

A côté de ces positions tranchées, il y a des pays qui comme le Sénégal n’interdisent ni n’autorisent l’homosexualité. Ici, le débat est entre des groupes dont les positions opposées sont essentiellement dictées par des préjugés.

Malgré la virulence des discours des protagonistes il a été donné à peu de citoyens l’occasion de voir ou d’entendre des personnes porter en public la revendication LGBT. En effet, les sénégalais fondamentalement attachés à leurs croyances religieuses rejettent toute forme de défense et de promotion de l’homosexualité. De ce point de vue, la recherche coûte que coûte de criminaliser l’homosexualité dans ce pays ressemble beaucoup plus à une volonté de criminaliser le soupçon que de combattre une réalité déjà condamnée par la loi.

Toutefois, l’Etat doit être à l’écoute des uns et des autres afin de gérer la question de l’homosexualité en veillant au respect des droits fondamentaux de l’homme et du citoyen, tout en accordant une grande considération aux exigences des valeurs traditionnelles que sont au Sénégal par exemple la « kersa » ou le sens de la discrétion et la « sutura » ou le sens de la retenue .

Dans cet esprit, afin de sauvegarder la paix sociale et de consolider les équilibres traditionnels, il conviendrait, sans aller jusqu’à la criminalisation de l’homosexualité avec son cortège de problèmes, juridiques, diplomatiques et économiques, de compléter la loi actuelle par une disposition prévoyant une sanction contre toute forme de promotion de l’homosexualité.
Que l’Afrique demeure une terre de tolérance

D’après Amnesty International, actuellement, l’homosexualité est punie par la loi dans trente-huit pays africains. Cependant, il convient de souligner que ceux qui combattent l’homosexualité comme ceux qui souhaitent sa légalisation s’inspirent rarement des valeurs fondamentales des civilisations africaines de tolérance et de sens de la mesure dans les relations sociales. En effet, l’Afrique se trouve embarquée depuis l’apogée du mouvement des LGBT dans les années 90 dans un débat parfois hystérique qui n’est pas forcément le sien.

L’Afrique doit demeurer une terre de tolérance. D’une manière générale, dans tout le continent africain, une certaine forme de tolérance a toujours existé à l’égard des minorités homosexuelles.

Ainsi, par exemple, de la fin du XVIIIe siècle au début du XXe siècle, les hommes homosexuels, malgré la stigmatisation, ont eu des rôles sociaux dans le monde arabo-musulman oú ils ont servi d’intermédiaires entre les mondes masculins et féminins dans les fêtes de mariage et étaient admis dans les espaces privés féminins. Dans des pays comme le Sénégal, on peut dire que cette réalité a perduré au XX e siècle et n’a reculé, paradoxalement qu’avec la poussée agressive du mouvement LGBT et les réactions de rejet qu’elle a entrainées.

Cette intolérance qui frappe aujourd’hui l’homosexualité en Afrique est née incontestablement de l’importation de valeurs culturelles occidentales parfois permissives et porteuses d’une grande agressivité. Ceci ne devrait-elle pas inciter l’Intelligentsia africaine à cesser d’imiter l’extérieur avec tant de facilité et de montrer en toute circonstance que nous pouvons avoir une offre doctrinale à présenter au reste de l’humanité ?

Dans un pays ou l’homosexualité, placée sous surveillance, n’a été ni légalisée ni criminalisée, la mobilisation du corps social ne devrait-elle pas être orientée vers des sujets dont l’urgence est connue de tous, notamment la lutte contre le Covid, contre la propagation du Sida,,du paludisme ou d’autres maladies endémiques mais aussi pour le nécessaire et opportun renforcement des capacités logistiques des lieux de formation de la petite enfance comme les « Daras » au Sénégal dont l’utilité pour la refondation morale et intellectuelle de la société est incontestable ?

Benoît Ngom, Président de l’Académie Diplomatique Africaine (ADA).