Le professeur Ki-Zerbo avait coutume de dire "Quand on ne sait pas ce qu’on cherche, on ne comprend pas ce qu’on trouve".
Il nous faut nous arrêter un instant et regarder autour de nous. Dans notre métier, on appelle ça faire le point.

Notre pays est attaqué depuis de nombreuses années. Les populations en font les frais de différentes manières. Et depuis tout ce temps, nous ne sommes pas parvenus à dire qui nous agresse.

On dit HANI. Hommes Armés Non Identifiés. Et nous ne savons pas pourquoi ces individus obscurs nous attaquent. En somme, qu’est-ce qu’ils veulent.

Est-il impoli de dire que c’est toutes les structures et composantes d’une armée nationale face à des barbus en guenilles ? Une armée professionnelle est donc impuissante face à des brigades disparates à moto.

Pendant des années, des gens ont parlé, écrit, hurlé, pleuré. Le pouvoir déchu a regardé ces compatriotes qui appellent tout simplement à l’aide à travers un prisme politicien. Et on a traité leur SOS à travers ce prisme politique.

Vient le 24 janvier. Les guerriers à la présidence, nous avons payé pour savoir. Mais, on s’est dit que des soldats directement au pouvoir se trouvaient à la bonne place pour nous débarrasser de ces méchants barbus.

Avec beaucoup d’espoir dans les capacités guerrières, on a évité un geste ou un acte pouvant gêner les nouveaux venus dans la bataille qu’ils n’allaient pas manquer d’engager.

Toujours le prisme déformant du politisme. Le silence prudent des populations a été interprété comme une adhésion populaire au putsch. Sans que rien ni personne ne puisse mesurer, peser, évaluer cette adhésion. Ou ce soutien populaire. On l’a compté et enregistré pour acquis.

Deux mois après, les HANI sont toujours libres d’aller et venir. Et à Kosyam ? A Kosyam, on a engagé une opération impossible. Mettre en place un pouvoir transitoire avec un calendrier d’un pouvoir qui a tout son temps. Mettre sur pied un pouvoir légal-illégal. Un pouvoir militaro-civil.

Voyons cela de plus près. Un putsch est en soi un acte illégal en ce qu’il viole la loi suprême, la Constitution. S’il veut fonctionner avec quelque chance de réussite, il faut accepter de continuer dans l’illégalité. Pourquoi ?

Eh bien, c’est simple. Si on veut échapper aux foudres de la loi, on met de côté la mère de toutes les lois, la Constitution. À l’inverse, si on veut remettre en jeu la Constitution, on se contraint soi-même à devoir rendre des comptes à cette loi suprême.

Qu’est-ce qui a été tenté ? Une gymnastique à hauts risques. On a d’abord suspendu la Constitution. Puis on s’est senti nu, et on a concocté un Acte Fondamental. On a vite vu les limites et les dangers de cette béquille bricolée à la hâte.

On a donc remis la Constitution en parallèle avec l’Acte Fondamental. Il se trouve qu’une mère supérieure ne peut tolérer une rivale. C’est la Constitution, toute seule comme une grande, et personne d’autre à côté.

On a donc dit que la Constitution s’applique, sauf dans le cas où des articles de la Constitution ne sont pas d’accord avec des articles de l’Acte Fondamental. Avec ce genre de grand écart, on risquait la déchirure de l’entrejambe. Très fâcheux !

Dans cette marche brouillonne, nous avons eu deux prestations de serments. Trop de miel, ça gâte pas la bouillie. Sauf qu’aujourd’hui, rare sont ceux qui peuvent dire où nous en sommes.

La Constitution est-elle totalement, partiellement, rétablie ? L’Acte Fondamental est-il toujours en vigueur ? Sous l’ombre de quel arbre nous sommes assis, il serait quand même bon de le savoir.

Vous voulez un exemple ? Il serait bon de savoir si les activités politiques sont autorisées dans notre pays ou pas. Avant de me poursuivre pour contravention à la loi, il serait quand même judicieux que je puisse savoir quelle est cette loi ! Ou bien ?

Voudrait-on interdire ces activités politiques pour les autres, en les autorisant pour le MPSR et ses alliés ? Même des apprentis politiques ou des ignorants de la chose juridique savent qu’un tel exercice ne peut pas réussir.

Et les HANI dans tout ça ? Il paraît qu’il ne faut pas voir le temps long. Si on regarde bien, des Burkinabè qui n’en ont rien à foutre de la politique parlent de leurs problèmes vitaux, et on leur répond à travers une lecture politicienne.

À ce que je sache, aucun villageois ne revendique le fauteuil de Damiba. Aucun PDI ne demande la place du premier ministre. Et on est vite accusé d’être contre les militaires, de vouloir la faillite de la Transition.

Je vous assure que tous les Burkinabè veulent le succès des militaires. Tous ensemble ! Mais pas à Kosyam. Sur le terrain face aux HANI. C’est pour cette raison qu’ils ont chassé le président Kaboré. Ou bien je me trompe ? S’il y a une autre raison, on a dû oublier de nous en parler.

Je vous assure que la grande majorité des Burkinabè se fout royalement de ce qui peut bien se passer à la présidence. Kaboré, Damiba ou un autre, de toutes façons c’est entre eux là-bas.

Sayouba Traoré
Journaliste, Ecrivain
Kaceto.net