Les Burkinabè ne connaissent-ils pas le pardon tel que prôné ans tous les livres saints ? Une question qui s’impose au regard des vicissitudes de son histoire. On peut le dire tout de go, les Burkinabè ont un sérieux problème avec le pardon !
Alors que partout alentours, tous les peuples sont passés par cette case pour franchir un palier dans la construction de leur nation, les Burkinabè buttent sur la question et se complaisent dans un éternel recommencement.
Ainsi 20 ans après une cérémonie haute en couleurs et en symboles qui a suscité d’immenses espoirs et au détours d’une transition à la suite d’une rupture violente anticonstitutionnelle du pouvoir en 2014, le Burkina Faso est revenu à la case départ. Bien pire, le fossé s’est agrandi entre les différents protagonistes. On frôle même la guerre civile sur fond d’irrédentisme identitaire avec des milices d’autodéfense civiles et des groupes terroristes. Le Burkina Faso est-il condamné à vivre le drame de Sisyphe, enfermé dans le cercle de son perpétuel recommencement jusqu’à la fin ?

Sans être fataliste, on peut penser que le Burkina Faso a biens de raisons de se croire condamné à vivre l’absurdité du drame de Sisyphe. Rien ne semble pouvoir briser le cercle de la violence en politique.
Depuis le coup d’État civilo-militaire des 30 et 31 octobre 2014, qui a vu le pays rompre avec sa plus longue période de vie constitutionnelle normale, le Burkina Faso a ouvert une page de remises en question ponctuée par les réouvertures de dossiers de justice exhumés au nom du fait du prince, nonobstant le PARDON demandé au nom de tous les Burkinabé par le Président Blaise COMPAORE le 30 Mars 2001 et l’amnistie votée par l’Assemblée Nationale le 11 juin 2012. La loi n° 033-2012/an portant révision de la constitution stipule en son article 168-1 : « Une amnistie pleine et entière est accordée aux Chefs de l’Etat du Burkina Faso pour la période allant de 1960 à la date d’adoption des présentes dispositions. »
A la manœuvre, Michel KAFANDO, Président de la Transition dont les motivations réelles symbolisent les drames que peuvent causer aux peuples la haine gratuite de leurs dirigeants et l’absence d’un minimum de nationalisme. Au-delà de sa personne, il faut interroger les consciences de bien d’autres acteurs d’autant plus que même les étudiants en première année de Droit vous diront que le FAIT DU PRINCE est une notion inconnue en Droit Pénal.
L’avènement au pouvoir du MPP en janvier 2016 a consacré la triptyque VERITE-JUSTICE-RÉCONCILIATION comme la voie à suivre pour construire un Burkina de cohésion et de paix. Pas une mauvaise option en soit, si ce n’est que des désignés coupables hier, sont devenus des juges contre des co-accusés et amis d’hier devenus ennemis à battre par tous les moyens.

UN MEA CULPA AU DETOURS D’UN MEETING DE L’OPPOSITION EN 2014 PEUT-IL ABSOUDRE DE 27 ANS DE COGESTION ?

C’est à ce niveau que l’histoire du Burkina Faso se met à balbutier, comme frappée d’une amnésie sélective. Sinon comment comprendre autrement ce refus obstiné de laisser l’Histoire (Histoire avec un grand H) s’écrire par elle-même et la forcer à emprunter des chemins de travers, alors qu’il est évident pour tous que tôt ou tard elle finira par triompher et à éblouir par sa clarté les forfaitures fussent-elles du fait du prince. Les Nations fortes sont celles qui ont été les plus éprouvées et qui ont su se relever en grandissant de leurs épreuves. Dans toutes les écritures saintes, il est admis que Dieu n’éprouve pas pour faire mal ou éloigner de Lui, mais pour forger et raffermir la foi et rapprocher davantage de Lui ! L’histoire de l’humanité regorge de faits illustratifs et les Burkinabè n’ont pas forcément besoin d’aller très loin pour s’en inspirer.

AU NOM DE LA PAIX ET DE LA COHÉSION SOCIALE, LES ALGÉRIENS ONT ACCEPTE DE PARDONNER MALGRE 100 000 MORTS.

Une décennie durant, l’Algérie a connu une crise politique marquée par plus de 100 000 morts. Le Front Islamique du Salut (FIS) d’Abassi MADANI et d’Ali BELHADJ a sévi à travers une violence inhumaine et des atrocités sans nom. Un Président en exercice a été assassiné : Mohamed BOUDIAF. Des hommes, des femmes, des enfants, des religieux ont été froidement assassinés. Le pays vivait une terreur dont nul n’osait pronostiquer la fin.
C’est pourtant dans ce contexte apocalyptique que monsieur Abdelaziz BOUTEFLIKA a été élu en 1999. Après sa prise de pouvoir, le Président Algérien a fait voter la LOI DE CONCORDE CIVILE pour permettre aux Algériens et aux Algériennes de se pardonner, de se réconcilier et de vivre ensemble en toute harmonie. Les deux leaders du FIS, Abassi MADANI et Ali BELHADJ ont été libérés de prison le 2 juillet 2003. Ils ont ensuite vécu librement dans leur pays. Le pardon a été accepté. Les Algériens en sont sortis grandis. L’Algérie a retrouvé la voie de la cohésion nationale. Le chef historique du FIS, Abassi MADANI, est mort le 24 avril 2019 à Doha aux Qatar et a été enterré chez lui en Algérie le 27 devant une foule de plusieurs milliers de personnes.

NIGER : AU NOM DE LA RECONCILIATION NATIONALE, LE « WANKAGE » PARDONNE

Le 9 avril 1999 au plus fort de la crise politique qui a paralysé le Niger, le Commandant Daouda Malam WANKE a commis l’irréparable en abattant en plein jour sur le tarmac de l’Aérodrome militaire de Niamey, le Général Barré MAINASSARA alors Président du Niger et certains de ses gardes du corps.
Un drame sordide et inqualifiable. Ce jour-là, sur le tarmac il y a eu au moins 10 morts. En décembre de la même année, il organise des élections remportées par Mamadou TANDJA. Le Commandant WANKE et ses sicaires n’ont jamais été inquiétés au nom de la recherche de la paix et de la réconciliation nationale.
Les Nigériens dans un sursaut de patriotisme ont su faire preuve de dépassement. Ils se sont pardonnés au nom de la paix, de la cohésion sociale et de la réconciliation nationale.
Le Commandant WANKE a été rappelé à Dieu le 15 septembre 2004 à Niamey.
Au Niger, le peuple a su pardonner au nom de la cohésion nationale et vit en paix avec lui-même.

LES IVOIRIENS SE RECONCILIENT MALGRE 3 000 MORTS ET UNE FRACTURE SOCIALE BEANTE

De septembre 2002 au 11 Avril 2011, les Ivoiriens ont vécu des années de braise. Des Ivoiriens ont été massacrés par milliers pour leur appartenance ethnique, politique ou religieuse. Des charniers ont été découverts à plusieurs endroits du pays.
Après son investiture, le Président Alassane OUATTARA a posé des actes concrets pour l’apaisement, le pardon et la réconciliation nationale. Le retour de nombreux exilés au pays a été facilité par le gouvernement ivoirien. Un avion a même été affrété pour ramener d’Accra, le Professeur Mamadou KOULIBALY, Président de l’Assemblée nationale sous le Président Laurent GBAGBO. Des élections inclusives furent organisées.
Ces actes forts du Président Alassane OUATTARA et son gouvernement ont largement ouvert la voie au pardon dans un pays d’emblée déchiré et fragmenté. Désormais, la paix se consolide. Le vivre ensemble refait surface et l’économie ivoirienne réalise de belles performances avec des perspectives encourageantes.
Le Président ivoirien a, par les actes positifs répétés, donné un exemple de démarche à suivre pour aller réellement à la paix et la réconciliation entre les filles et fils d’un même pays. Comme pour dire qu’en politique, la main tendue du pardon est le fait du vainqueur et non du vaincu.
Les Ivoiriens ont compté des milliers de morts mais ont su se pardonner au nom de la réconciliation nationale et de la prospérité de leur pays.

JJ RAWLINGS DU GHANA FAIT ASSASSINER 3 DE SES PREDECESSEURS ET S’OCTROIE UNE AMNISTIE

Jerry John Rawlings a incontestablement été le Président le plus sanguinaire de l’histoire de son pays depuis les indépendances. À son actif, plus de 300 personnes éliminées dont 3 anciens chefs d’État. Il a même poussé le cynisme jusqu’à assister au petit matin au bord de la mer à Accra à l’exécution de ceux-ci.
Avant de quitter la fonction présidentielle il a pris le soin de s’accorder une immunité présidentielle reconnue dans la constitution. C’est pour cela que le peuple ghanéen lui a accordé le pardon. Jusqu’à son décès l’année dernière, il était non seulement libre mais bénéficiait de tous les droits dus aux anciens chefs d’Etat. Le peuple ghanéen a pardonné.
Pourtant ce cher monsieur donneur de leçons de son vivant devant l’Eternel, n’a jamais eu le moindre mot de compassion pour les plus de 300 morts sous son magistère.

NIGERIA : GUERRE DU BIAFRA ; 2 MILLIONS DE VICTIMES ; UNE RECONCILIATION NATIONALE REELLE

La guerre civile du Biafra au Nigéria qui s’est déroulée du 6 juillet 1967 au 15 janvier 1970 et a été déclenchée par la sécession de cette région orientale du Nigeria, qui s’est auto-proclamée République du Biafra sous la direction du colonel OJUKWU. Elle a fait entre un et deux millions de victimes. Certains n’hésitent pas à parler de génocide. A la fin de la guerre, à la suite des propositions de réconciliation du gouvernement fédéral, les combattants du Biafra sont autorisés à réintégrer l’armée régulière et aucun procès n’est organisé. Le Colonel OJUKWU lui-même regagne le pays en 1982, après 12 années d’exil en Côte d’Ivoire. Il a même été candidat à l’élection présidentielle de 2003.
La guerre de sécession a fait des centaines de milliers de victimes mais dans un sursaut patriotique, le peuple nigérian a su préserver la cohésion sociale.
On pourrait multiplier les exemples à n’en pas finir comme celui du Mali tout proche où élu en Août 2013, feu le Président Ibrahim Boubakar KEITA a affrété l’avion présidentiel qui a ramené le Général Amadou Toumani TOURE en exil à Dakar depuis le coup d’État de Mars 2012 ; ou encore le retour des exilés en Mauritanie ; que dire alors des cas sud-africain et rwandais, etc.?

LES BURKINABÉ FACE A LEUR HISTOIRE

On se souviendra au Burkina Faso, que le premier crime politique dans ce pays a été perpétré sous l’ère du capitaine Thomas SANKARA avec l’assassinat du colonel Nezien BADEMBIE. L’exécuteur de cette sale besogne est connu du landerneau politique burkinabé. S’en suivirent les assassinats du colonel Yorian Gabriel SOME ; du commandant Fidèle GUIEBRE ; de l’homme d’affaires Valentin KINDA ; du colonel Didier TIENDREBEOGO et de ses dix compagnons d’infortune et bien d’autres.
Certes, le Président Thomas SANKARA a été assassiné mais tous ceux qui ont participé à ces exécutions et à tous ces drames sont connus et certains sont toujours en vie. La liste des victimes de la violence en politique sous la Révolution de SANKARA serait autrement plus longue si on y ajoutait celles perpétrées par les CDR.
Par la suite cette liste a continué à s’allonger alourdissant le climat sociopolitique au point de faire de certains dossiers de véritables fonds de commerce. Certains ont été si grossis qu’ils étaient présentés à tort comme la carte d’identité du pays malgré les grands progrès réalisés en matière de protection et de promotion des droits humains. Conscient qu’il ne pouvait pas continuer d’ignorer la nécessité d’une réconciliation nationale qui permettrait de panser les blessures, le peuple burkinabè a décidé de franchir le rubicond d’une catharsis.

TOUS ENGAGES A LA JOURNEE NATIONALE DU PARDON DU 30 MARS 2001 ; POURQUOI SE RENIER APRES ?

Ainsi, le 30 mars 2001 dans un stade du 04 août archi-comble, le Président Blaise COMPAORE a demandé PARDON au peuple burkinabé pour tous les crimes commis depuis 1960 jusqu’à cette date. C’est à dire tous les crimes commis ou imputés à ses devanciers et lui-même.
Ce 30 Mars 2001, tous les corps constitués, toutes les catégories sociales étaient présents. Tous ceux qu’une NATION éprise de paix et ayant le PARDON comme VALEUR peut mobiliser étaient présents au stade du 04 août :
 Toutes les institutions de l’Etat ;
 Les trois anciens chefs d’État (le Général Sangoulé LAMIZANA, le Colonel Saye ZERBO, le Colonel Jean Baptiste OUEDRAOGO) ;
 Toutes les autorités coutumières du Burkina avec à leur tête le Mogho Naaba BAONGO ;
 Toutes les autorités religieuses (les archevêques et évêques, les grands imams de toutes les confréries, les pasteurs) ;
 Toute la hiérarchie militaire ;
 Tous les partis politiques de la majorité politique d’alors conduits par Monsieur Roch KABORE Président du CDP à l’époque ;
 Tous les partis politiques de l’opposition (sauf l’Unir MS qui a fait du dossier SANKARA un fonds de commerce).
Oui, la seule objection est venue de la famille de feu Thomas SANKARA. Objection significative certes, mais pouvait-elle entraver la volonté de 17 millions de Burkinabé de tourner la page et de se focaliser sur son futur ?
La cérémonie n’était pas seulement riche en couleurs, elle a été aussi très émouvante. Le président Blaise COMPAORE était au bord des larmes, le tremolo à la voix.
Ce jour-là, le peuple burkinabé a accepté le PARDON et a même convenu de célébrer chaque année à la même date le PARDON entre Burkinabé.

CHAQUE ACTEUR DE LA JOURNEE NATIONALE DU PARDON DU 30 MARS 2001 DOIT S’INTERROGER ET ÊTRE INTERROGE

Alors pourquoi après le 30 octobre 2014 les acteurs du pardon de 2001 ont-ils embouché un autre son de cloche ? Pourquoi sont-ils revenus sur des engagements pris en direct devant le peuple burkinabé ?
Pourquoi ceux qui peuvent être considérés comme les gardiens du temple ; Jean Baptiste OUEDRAOGO au titre des anciens chefs d’État, les coutumiers avec le Mogho Naaba BAONGO, les grands imams et pasteurs émérites gardent -ils le silence face à ce reniement qui ne fait honneur à personne ? Pourquoi tout ce silence devant le drame de notre peuple alors que tous claironnent sans fin qu’il n’y a aucune once d’espoir sans la paix, la réconciliation nationale, la participation de tous ? Est-ce à dire qu’en réalité il faut forcer le burkinabè à rimer avec incapacité de Pardon, voir tout simplement de raison ?
Des questions qui exigent des réponses sans faux-fuyants et sans langue de bois en évitant les formules stéréotypées qui renvoient les responsabilités à tout le monde et à personne au bout du compte. Il le faut car à cette allure, il n’y aura jamais de PARDON entre Burkinabè. Chaque régime viendra remettre en cause le PARDON demandé solennellement par son prédécesseur. On ne peut pas construire une nation de cette façon. Surtout lorsqu’on prend un malin plaisir à détruire sans rien proposer en retour, comme cela fut le cas en 2015 avec la Transition du sieur Michel KAFANDO qui a usé de la fameuse et fumeuse formule du « fait du prince » pour briser le consensus national de 2001, sans même se préoccuper de poser les bases d’une réelle alternative. Même la haine ne peut pas justifier une telle forfaiture !
Le régime de Roch Marc Christian KABORE qui lui a succédé n’a pas trouvé mieux que de s’engouffrer dans la même stratégie du déni et du moindre effort en profitant lui aussi d’une formule à la fois magique et démagogique : le triptyque : Vérité – Justice – Réconciliation pour renvoyer aux calendes grecques une réconciliation pourtant appelée de tous ses vœux par des populations lasses de souffrir des aléas d’une fracture politique et sociale qui allait s’agrandissant. Pour se donner bonne conscience, le régime a choisi de s’arcbouter sur la Justice présentée comme le passage obligatoire comme si c’était l’alpha et l’oméga de la réconciliation nationale. Le jeu était d’autant plus malsain qu’il avait instrumentalisé la justice de sorte que non seulement elle allait au rythme qu’il voulait, mais en plus elle disait le droit dans le sens qu’il ordonnait.

UN CRIME CONTRE NOTRE NATION !

C’est ainsi qu’il a clairement divisé le peuple en deux groupes antagoniques : celui des partisans du régime défunt de Blaise COMPAORE indexé comme les coupables et celui de ses propres partisans présentés comme les victimes. Il a tant et si bien excellé dans ce jeu irresponsable qu’il a réussi à y embarquer toutes les autorités morales et toutes les forces sociales au point que le pays tout entier a perdu tous ses repères.
Même le drame terroriste avec son cortège de malheurs, de sang, de drames et de douleurs indicibles ne les a pas suffisamment émus pour les pousser à la raison et rechercher l’indispensable union nationale, condition sine qua non pour espérer la victoire. Ils sont restés arcboutés sur leurs petits calculs irrationnels commandés par des considérations charlatanesques d’essence satanique. C’est comme s’ils n’avaient pas la moindre compassion et avaient réussi à envouter les Burkinabè au point qu’ils soient tous devenus totalement insensibles à la détresse d’autrui. Assurément un peuple de zombies qui refusait de s’imaginer un avenir.
En attendant que l’Histoire donne le sien, mon jugement est sans appel : le fait d’avoir poussé et repoussé la réconciliation nationale à plus tard est un immense crime inacceptable contre notre nation !

Issaka LINGANI
Journaliste ; Directeur de publication de l’Opinion