Hama Barry, Idrissa Nogo, Boukari Ouédraogo, Lookmann Sawadogo… La liste des victimes de la pensée unique s’allonge, le silence à ce propos se prolonge aussi. Apparemment, le règne de la pensée unique a de beaux jours devant lui au Burkina Faso.
En effet, les partis politiques, les organisations de la société civile (dignes de ce nom) et les faîtières religieuses et coutumière qui semblent tétanisés par le terrorisme, l’occupation radicale de l’espace médiatique et cyber-médiatique de prétendus soutiens au MPSR2, les agitations diurnes et nocturnes de rue de personnes affirmant assurer la sécurité du président de la transition Ibrahim Traoré contre toute éventualité de déstabilisation de son pouvoir donnent l’impression, au moins officiellement, d’avoir sombrer dans une certaine aphasie.
Hélas, hier c’était déjà ainsi quand Newton Ahmed Barry communicateur et ancien président de la Commission électorale nationale indépendante (CENI), Germain Bitiou Nama communicateur et administrateur général du bimensuel L’Evénement et Ablassé Ouédraogo président du Faso Autrement et Alain Nièzo Traoré dit Alain Alain (pour ne citer que ceux-là) avaient été soit menacés de mort, soit pris à partie pour leurs opinions sur des sujets d’intérêt national ou le traitement journalistique des informations.
Ceux qui appellent aux meurtres ont eu le temps de faire des émules
A l’époque, à part quelques déclarations et prises de position (que j’estime timides), il n’y a pas eu de mobilisation à la mesure de ces dérives criminelles absolument contraire aux dispositions de la Constitution et des autres lois telles la charte des partis politiques, la loi portant libertés d’association et surtout la charte de la transition revisitée par le MPSR2. Certes, certains de ces meurtriers en puissance ont été trainés devant les tribunaux mais les peines prononcées contre eux n’ont pas eu l’air de dissuader les émules qu’ils avaient déjà faits.
Certes, le gouvernement a rendu public un communiqué déplorant une telle situation mais malheureusement les ennemis de la liberté ne lui ont pas accordé d’importance ou ne l’ont tout simplement pas compris. La preuve, c’est qu’à la manière du phénix, ils renaissent de leurs cendres à travers d’autres personnes qui prennent le relais.
Aujourd’hui, c’est Hama Barry, militant du Mouvement des droits de l’Homme et des peuples (MBDHP) que l’on tente d’assassiner dans le Zoundwéogo du fait des activités de défense des droits humains qu’il mène dans cette province ; c’est également sur Idrissa Nogo président d’honneur du Mouvement des peuples citoyens (MPC) que l’on jette l’anathème sur Facebook, sur les différentes plateformes WhatsApp et dans la rue pour avoir animé en fin de semaine dernière une conférence de presse au cours de laquelle il a donné son opinion sur la gouvernance actuelle du pays ; il s’agit aussi de Boukari Ouédraogo, président de l’Appel de Kaya dont on dit qu’il a fait l’objet de menaces directes et par personnes interposées pour avoir apporté son soutien public à la population martyre de Tougouri ; c’est le cas enfin de Lookmann Sawadogo, journaliste, éditorialiste et écrivain qui, pour avoir apprécié positivement le don par la Côte d’Ivoire au Burkina d’armes pour contribuer à lutter contre le terrorisme, est menacé de mort à travers un message audio qui a tourné en boucle dans les groupes WhatsApp.
Les leaders perçus à tort comme des dangers pour la transition
A observer le profil de toutes ces personnes, on s’aperçoit que ce sont des leaders d’opinion que des prétendus soutiens du MPSR2 veulent réduire au silence soit à travers l’imposition et la pérennisation d’une terreur sibylline digne d’un régime autoritaire, soit par l’élimination physique, à la manière des régimes totalitaires, de citoyens qui pensent autrement mais ne sont pas des ennemis de la transition. Le choix de ces personnes n’est pas le fruit du hasard ; c’est simplement parce qu’un leader d’opinion est un individu, qui par sa notoriété et/ou son autorité sur un sujet, sa droiture morale, son engagement politique ou son activité sociale ou professionnelle est susceptible d’influencer les opinions ou les actions d’un grand nombre d’individus. Dès lors, ils sont perçus comme de sérieux dangers par certains décideurs et leurs partisans.
Or, ce ne sont pas les opinions différentes ou critiques qui peuvent constituer le péril pour un régime politique ; c’est plutôt l’inexistence de réponses adéquates (dans le fond et dans la forme) aux problèmes posés dans les critiques ou opinons qui constitue la vraie menace. La critique, les simples opinions différentes ou les informations susceptibles de déplaire à des tiers sont donc salutaires en ce qu’elles donnent à entendre une voix autre que la nôtre et à percevoir la réalité sous un angle différent de l’angle parcellaire ou partial qui est le nôtre et donc à disposer d’éléments suffisants pour décider en toute connaissance de cause. On peut avoir un même objectif sans regarder dans la même direction : dans un camion de transport de troupes militaires sans bâche, les hommes sont assis de sorte qu’en additionnant les différents angles de vue, cela fasse 360° ; si fait que les éventuels ennemis peuvent être facilement détectables et, pour ce faire, naturalisables.
Menaces sur les leaders d’opinion : une des conséquences de la confusion entre société politique et société civile
Cela dit, il importe de faire observer que ce sale temps pour les libertés d’expression se déroule sur fond de confusion entre la société politique et la société civile. Avec l’avènement du MPSR2, nombre de plateformes WhatsApp et de groupes Facebook de la société civile supposés être des cadres d’échanges et d’enrichissement mutuel dans la promotion et la défense des causes sociales sont devenus des arènes dans lesquelles ceux qui, à travers leurs points de vue, observent une neutralité bienveillante vis-à-vis du MPSR2 ou ont des opinions différentes à celles de la transition sont vite pris à parti par plusieurs personnes au ton généralement discourtois, menaçant ou ordurier.
Il faut ajouter, en plus des groupes Facebook et WhatsApp, les commentaires des internautes à propos des articles supposés non favorables au MPSR publiés par les journaux en ligne. Profitant du confort douillet de l’anonymat, certains procèdent à des tirs au flanc et assènent des coups en dessous de ceinture en direction de personnes qui ont pris le parti d’assumer publiquement leurs opinions en signant de leur vrai nom leurs articles de presse. Effectivement, au lieu d’apporter des contre-arguments au contenu des articles, ils versent dans les injures, sans doute dans le souci de dissuader les auteurs d’en rédiger et d’en publier d’autres. Si l’anonymat en démocratie est un droit, il se trouve parmi les valeurs de l’Etat de droit démocratique et libéral, figure en bonne place la transparence. Ainsi, en observant, au moins de temps en temps, la transparence, le bras de fer des idées se fera à visage découvert au bonheur de l’opinion publique qui en sortira davantage édifiée.
Hélas, cela ne semble pas être pour demain ; pendant que de nos jours, ne pas clamer son soutien au MPSR2 fait de vous un suspect et du suspect vous devenez un coupable bon pour la guillotine médiatique ou la guillotine tout court au regard des menaces qui pèsent sur Hama Barry et Lookmann Sawadogo.
La société civile n’est pas une société servile !
Ce qui est, par ailleurs, incongru, c’est que les mêmes qui, dans les groupes Facebook et WhatsApp, prennent des positions politiques de soutien aux autorités de la transition sont également les mêmes qui s’offusquent quand un politique, comme Idrissa Nogo membre du bureau politique du Parti panafricain pour le salut (PPS), s’aventure sur le terrain de la société civile en tant que président d’honneur (donc pas un membre exécutif du MPC), fait un constat peu reluisant de la situation nationale et propose ses solutions à lui. Là, c’est un sacrilège. De deux (02) choses l’une : ou on construit une cloison étanche pour tous entre la société civile et la société politique et là personne ne doit aller cultiver dans le champ de l’autre ; ou on admet que le politique qui est membre d’une organisation de la société civile puisse à partir de cela prendre position sur des problématiques nationales et qu’en retour, comme c’est déjà le cas, des animateurs de la société civile puissent opiner sur des sujets politiques.
La société civile n’est pas une société servile. Elle ne doit ni servir les puissants du jour, ni ceux qui aspirent à devenir les puissants de demain. A la limite, elle peut décider, surtout en ces temps incertains pour le Burkina, d’accompagner (mais de façon vigilante) les autorités actuelles de la transition tout en veillant à ne pas être le marchepied d’une opposition flasque et sans inspiration qui, cependant, aspire accéder au pouvoir.
Issaka SOURWEMA
Dawelg Naaba Boalga
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