A l’initiative de la direction de la communication et des relations presse du ministère des Affaires étrangères, journalistes et diplomates ont échangé pendant 48 heures sur la nécessité d’une collaboration afin d’offrir aux Burkinabè les clés de compréhension du monde. Avec à la clé, la mise sur pied d’un club de la presse diplomatique.
La nuit est bien avancée ce 18 décembre 2022, mais le stade de Lusail, au Qatar où s’est jouée la finale de la coupe du monde est toujours en ébullition. A l’issue d’un match d’une haute intensité, l’Argentine a remporté lors des séances de tirs au but, la finale de la 22ème coupe du monde de football « Qatar 2022 » contre la France (4-2) après un score de 3-3.
Cote-à-côte, l’émir du Qatar, le Cheikh Tamil ben Hamal al-Thani et le président de la Fédération internationale de football association (FIFA), Gianni Infantino, remettent, sous les objectifs des caméras, le trophée au capitaine argentin, Lionel Messi qui le brandit sous une pluie de confettis dorés.
Selon la FIFA, la finale a attiré 1,5 milliard de téléspectateurs, au grand bonheur de l’émir qui vient ainsi de gagner son pari : mettre sous pays sous les projecteurs du monde entier et assurer ainsi son leadership dans la région. Mieux que ses voisins, ce pays petit de quelques 2,7 millions d’habitants dont seulement 300 000 nationaux, a compris comment les médias pouvaient lui assurer une existence et une respectabilité sur l’échiquier international. Hors mis ses réserves de pétrole et de gaz, objets de toutes les convoitises, le Qatar s’est surtout affirmé depuis une dizaine d’années au plan international en s’appuyant sur les médias, en l’occurrence, Al Jazeera « l’Île » en arabe, créé en 1996 en Arabie Saoudite, et BeIN Sports qu’il a lancé en 2012, spécialement dédié au sport.
Grâce à ses programmes déclinés en langues arabe, anglaise, turque et serbo-croate, Al Jazeera a très vite conquis une large audience au point de rivaliser avec les chaines américaines et britanniques, notamment CNN et BBC. Alors que CNN s’était imposée comme la seule chaine internationale dans la couverture de la première guerre du Golfe en 1991, sa suprématie a été en revanche battue en brèche lors de la guerre contre l’Irak en 2003, surtout dans les pays arabes où les opinions étaient plus réceptives aux contenus de Al Jazeera.
La chaine qatarie a aussi un joué un rôle fondamental dans les bouleversements politiques durant ce qu’on a appelé le Printemps arabe, ces révoltes citoyennes qui ont emporté de nombreux dirigeants arabes. Pendant des jours, la chaine a braqué par exemple ses caméras sur la Place Tahrir, l’épicentre de la révolte jusqu’à la chute du président Hosni Moubarak. En Libye également, Al Jazeera a accompagné les contestations qui ont débouché sur l’arrestation et l’assassinat du colonel Kadhafi.
Comme d’autres pays occidentaux, le Qatar a fait des médias des instruments de sa politique étrangère, non seulement pour étendre son influence sur la scène internationale, mais aussi orienter les opinions publiques dans les pays étrangers.
Hier, sous la guerre froide comme aujourd’hui à l’ère de la démocratie libérale et de l’économie de marché, les Etats manifestent toujours des velléités d’influencer les contenus des médias à défaut de les contrôler. Les subventions accordées directement à des médias ou des voyages de presse offerts à des journalistes « influents » ne sont que des procédés subtilement mis en branle pour avoir la faveur de ces derniers.
Bien entendu, il faut se garder d’accorder aux médias un pouvoir qu’ils n’ont pas, mais d’après la théorie de « l’Agenda setting »
, il y a des tragédies dans le monde qui sont plus médiatisées que d’autres et qui apparaissent comme des priorités internationales. Il y a de bonnes victimes et de mauvaises victimes ! « Le Burkina vit « la crise la plus négligée au monde », a regretté le Conseil norvégien pour les réfugiés (NRC) dans un communiqué publié 1er juin 2023. Une déclaration faite sur la base de trois critères : le manque de volonté politique de la communauté internationale, de couverture médiatique et de financements humanitaires. L’ONG ajoute que cette « négligence est un choix », et recommande de « fournir une assistance humanitaire selon les besoins des populations affectées et non selon les intérêts géopolitiques ou le degré d’attention portée par les médias sur certaines crises ».
A l’évidence, il est devenu difficile voire impossible de conduire une politique étrangère en ignorant les médias. En ce sens, les médias sont devenus des alliés objectifs des Etats et ne doivent plus être perçus comme des menaces. Cela est encore plus vrai pour les Etats en conflit ou qui traversent une crise endémique. En période de guerre, la gestion médiatique devient un élément de la stratégie militaire et l’information doit être associée à la politique de défense mise en œuvre.
Ayant perçu l’intérêt d’une telle association, le ministère burkinabè des Affaires étrangères, de la coopération régionale et des Burkinabè de l’extérieur a organisé les 22 et 23 mai dernier une rencontre d’échanges entre le ministère et les journalistes dénommée « Journées Presse Diplomatie ». L’objectif étant de renforcer les connaissances des hommes et femmes de médias sur la diplomatie, la politique étrangère et le département en charge des Affaires étrangères.
Alors que notre pays est frappé par des attaques terroristes depuis 2015 ayant occasionné une crise humanitaire avec plus de 2 millions de personnes déplacées internes (PDI), au moment où les autorités du Mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration (MPSR2) ont opéré des choix stratégiques et diplomatiques, comment les médias peuvent-il « servir de bouclier dans la présentation des positions politiques prise ? », s’est interrogé la ministre des Affaires étrangères, de la coopération régionale et des Burkinabè de l’extérieur, Olivia Rouamba.
« Qui mieux que vous, ajoute-t-elle, peut apporter la contradiction à des analyses parfois portées par des médias internationaux à la solde de certaines puissances pour des objectifs prédéfinis ».
D’abord, la nature de la crise que vit le Burkina. Quelle est-elle ? Comment nommer ce qui se passe dans notre pays ? Une guerre civile comme l’avait estimé l’ancien ambassadeur français au Burkina Luc Hallade ou avons-nous à faire à une invasion étrangère visant à occuper notre pays et à y changer le modèle de société ?
La réponse à cette question implique des postures radicalement opposées. Dans le premier cas, il faut une réponse interne holistique qui prend en compte les dimensions politique, économique et social. Dans le deuxième cas, la communauté internationale a un devoir d’assistance à pays en danger dont la souveraineté en tant qu’Etat membre de l’ONU est gravement violée.
Avec l’Internet, l’alliance entre médias et diplomatie devient un peu plus un impératif politique d’autant le réseau met en contact des millions d’usagers qui communiquent par voix, sons et images sans restrictions. Et les médias traditionnels que sont la radio et la télé ont vite fait de trouver leur place dans cet outil qui crée à lui seul une opinion publique planétaire. Dans ce contexte, la ministre Rouamba estime que la convergence entre diplomatie et médias devient délicate d’autant que dans le même temps, des attaques sont menées contre des journalistes.
Les « Journées Presse-diplomatie », ont permis aux gratte-papiers de mieux cerner l’organisation et le fonctionnement du ministère des Affaires étrangères, de comprendre le sens et l’intérêt de l’immunité diplomatique accordée aux diplomates que le citoyen peut percevoir comme une prime à l’impunité. En tant que représentant d’un pays dans un autre pays, le diplomatique risque tout au plus une expulsion par le pays d’accueil ou un rappel par son pays d’origine en cas de commission d’un délit. Jamais de procès.
Les participants à ces deux jours d’échanges et de réflexion conviennent : face à la crise sécuritaire d’une ampleur sans précédent qui frappe notre pays, la collaboration, voire l’alliance Presse-diplomatie devient un impératif catégorique politique. Ils ont convenu de mettre sur pied un club de la presse diplomatique afin d’offrir à l’opinion nationale les clés de compréhension d’un monde pour le moins complexe.
Joachim Vokouma
Kaceto.net
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