Notre compatriote de la diaspora, Didier Ouédraogo revient sur le bilan d’étape de la lutte contre le terrorisme établi par le chef de l’Etat, le capitaine Ibrahim Traoré et appelle les Burkinabè à se mobiliser pour l’avènement d’une société libre et démocratique

D’après Alain Mabankou, dans son livre "le sanglot de l’homme noir", « il y a plus de héros dans l’ombre que dans la lumière".
Au Burkina Faso, l’histoire s’accélère. Négativement.
Après l’interview du capitaine Ibrahima Traoré, faisant office de bilan très transitoire d’une année de son pouvoir et de sa lutte contre le terrorisme, il n’aura échappé à aucun observateur soucieux d’un meilleur avenir pour le Burkina et son peuple, que le MPSR 2 précise sa nature, ses objectifs et ses moyens : se maintenir au pouvoir, outre son bilan plutôt mitigé. Ce qui est très préoccupant. Et pour cause.
Tout coup d’État produit incontestablement du désordre social, national et institutionnel. Pour ce qui est du Burkina Faso, on aurait pu consentir quelques sacrifices, au regard de l’exceptionnelle urgence dans la lutte contre ce nouvel ennemi, appelé terrorisme, pour retrouver quelque sécurité promise. Mais hélas ! En lieu et place de tant d’attentes populaires, de cette sécurité vitale, entre autres, les citoyens se sentent de plus en plus pris en étau, au fur et à mesure que semble s’éloigner ce que le régime leur présenta, il y a juste un an, comme une bouée de sauvetage.
À la place d’un tel espoir partagé, on assiste à la production d’un désordre dans la gouvernance en Transition, à un recul démocratique, au plan politique, économique et social, comme si le Burkina Faso se retrouvait à l’aube de son histoire. Cette involution est cependant sans surprise. Les mêmes causes produisent les mêmes effets.
Le coup d’État militaire qui a donné naissance à la Transition rectifiée le 22 septembre 2022 est demeuré fidèle aux principes et règles qui le définissent et l’alimentent :
1-Poursuivre la division et la fragilisation de la Grande Muette, régulièrement inféodée aux intrigues politiciennes d’accaparement et de gestion du pouvoir politique, au demeurant fragile, et en connivence avec quelques débauchés de la classe politique, mis comme à la retraite d’office, et d’une élite oligarchique qui composent avec le nouveau régime. Ainsi, on tente d’écarter les « indésirables » pour sauver la peau du régime ;
2-Procéder à une décantation obligatoire partout où cela semble vital, dans les institutions et services, au fur et à que les tenants du pouvoir, se trouvant des vertus politiques par la fréquentation du pouvoir, au-delà ou en dépit de leurs missions officielles, s’organisent pour y demeurer le plus longtemps possible. Au passage, ils semblent oublier leur mission première, noble et gratifiante : éradiquer le terrorisme, reconquérir et défendre l’intégrité du territoire, assurer la sécurité des citoyens et leurs biens, loin des incantations justificatrices de leur prise du pouvoir par un coup d’État ;
3-Épurer la société de ses citoyens honnêtes, civils comme militaires, de ses vrais patriotes et progressistes dont l’expression et les intentions politiques proposent une critique constructive, devenus ainsi délétères pour cette caste métamorphosée en groupuscule politicien et en « panafricanistes » de la vingt-cinquième heure, arborant le leitmotiv : « En dehors de nous, point de salut ! »
4- Verrouiller toutes les valeurs et vertus démocratiques arrachées par de longues luttes populaires chèrement payées, dans la pleine conscience du sacrifice pour l’intérêt général. Ce faisant, le processus démocratique se vide au fur et à mesure de sa substance, pour laisser place à des refondations hasardeuses, remettant en question la lente construction d’un État de droit.

Et pourtant !

Cette situation qui s’offre à nous a ses propres exigences pour chacun d’entre nous, pour chaque patriote, pour chaque démocrate, pour chaque progressiste et pour chaque révolutionnaire de ce pays. Nul ne peut s’accommoder de la réduction insidieuse en cours des périmètres des droits et devoirs des citoyens au sein de la société burkinabè, par la volonté et la vision personnelle du Capitaine-Prince.
En effet, les faits de notre histoire et de notre actualité nationale restent têtus. Ils n’offrent pas aux intentions légitimistes des raisons de dédouanement moral ou politique. Ces faits sont massifs, avec des apparences d’irréversibilité. C’est inquiétant ! Très inquiétant !

Alors,

Chaque citoyen doit prendre conscience de ce que la situation donne à voir et lui impose de faire. Sans fantasme politicien, chacun doit mesurer toutes les conséquences pour notre destin commun de ce cours endiablé et irrationnel de notre courte histoire nationale.
Le courage s’impose de nous redresser pour résister à toutes les manœuvres qui nous font régresser à terme, dans la construction d’une démocratie à la hauteur des enjeux de notre société et d’un progrès social réel, débarrassé de toutes sortes d’obscurantisme et d’héroïsme.
La lucidité s’impose pour constater, comprendre et agir ensemble, de manière organisée, démocratique et populaire. Des structures, des hommes et des femmes déterminés ont porté le peuple et ses aspirations les plus nobles depuis des décennies dans ce pays. Reprenons ces portes drapeaux de notre meilleur avenir commun, politique, économique et social et retrouvons les chemins de la reconquête de notre dignité et de notre grandeur comme peuple bâtisseur de son avenir, loin des scenarii de duperie facile, tous propices à notre régression collective. Cette forme de sidération contagieuse n’est plus acceptable. Nous pouvons y mettre un terme.
Seule une telle manière résolument combative, de voir et d’agir, portera le peuple hors des ornières actuelles et lui donnera tous les moyens pour relever les défis du présent et tracer les chemins d’un autre avenir. Tout le reste n’est que gesticulation et diversion.
Oui, ensemble, notre mobilisation doit être avant tout consciente, massive, courageuse, forte, et constante, sur les principes et les valeurs de la démocratie.
La conquête de cette démocratie, comme celle de la sécurité et de la paix ont un prix : une organisation populaire, mobilisant les dignes filles et fils du Burkina, à l’intérieur comme dans toutes ses diasporas, loin de tous les messianismes, anciens et nouveaux, quelles que soient les couleurs et les interprétations qui les justifient, les accompagnent et les alimentent.
Le peuple burkinabè ne réalisera son salut qu’au prix de ce changement conséquent de trajectoire, qu’en suivant son unique chemin, celui qu’il se sera donné lui-même : une lutte véritablement démocratique et populaire, à même de le mobiliser résolument contre le terrorisme, loin de tout nationalisme chauvin ou de tout panafricanisme artificiel et de salon.
Sachons nous regarder enfin en face pour affronter nos propres démons et notre destin : celui d’un peuple qui doit désormais conquérir son statut d’acteur et sujet de son histoire, loin des menées aventuristes internes et externes et des usurpateurs de son avenir.
Ouvrons définitivement nos intelligences pour cette œuvre unique.
Que vive le peuple burkinabè, conscient des urgences que lui impose sa lutte de libération, face aux entraves de toutes sortes.
Un autre Burkina Faso est possible. Il est en chacune de nos mains.
Paix, pain et liberté pour le peuple !

Didier OUEDRAOGO,
Philosophe