L’écrivain guinéen s’insurge contre ses compatriotes qui "jettent le nom que leur a donné l’ancêtre fondateur pour emprunter de ridicules sobriquets à consonance étrangère, arabe, en l’occurrence"
C’est notre confrère Gbassikolo qui donne l’alerte : depuis un certain temps, des villages guinéens, à un rythme inquiétant, jettent le nom que leur a donné l’ancêtre fondateur pour emprunter de ridicules sobriquets à consonance étrangère, arabe, en l’occurrence.
Donghol devient Faloullâhi, Fello devient Dar-Es-Salam, Parawol devient Missira ou quelque chose comme ça. Même les sites les plus historiques n’échappent pas à la catastrophe : Pétel-Djiga et devenu Hamdallaye. Et si l’on n’arrête pas le carnage, Talassan s’appellerait bientôt Nasroullaye, et Niani, Ksar-El-Kébir.
Nous savions que le complexe d’infériorité persistait encore dans notre société –on ne guérit pas facilement des fléaux de l’esclavage et la colonisation- mais pas à ce point ! Mon dieu, quelle psychopathie peut-elle expliquer qu’un beau matin, des fils de Guinée se réveillent pour renier leurs ancêtres, fouler au pied leur patrimoine historique et culturel au nom d’un Islam mal lu et mal compris ?
Pour ces abrutis-là, être musulman ne suffit pas : il faut coûte que coûte devenir arabe. Parce que dans leur petite tête, tout ce qui est dit ou écrit en arabe est sacré même quand il s’agit de films d’amour ou de matchs de football !
Mon dieu, jusqu’où peut mener l’aliénation ? Déjà, certaines de nos sœurs pourtant si belles dans leur superbe peau couleur d’ébène (« femme noire…par ta couleur qui est beauté », chantait d’ailleurs, Senghor !) tentent de se dépigmenter au risque de se ruiner la santé. Déjà, les prénoms proprement africains disparaissent. Il n’y a plus de Malal ou de Diogo, il n’y a plus que des Mamadou et des Amadou. Il n’y a plus de Mafing ou de Bolonkoun, il n’y a plus que des Oumar et des Abdoulaye. Il n’y a plus de Sêny ou de Niépou, il n’y a plus que des Jacqueline et des Françoise. « Si tout le monde devient Blanc, qui va donc être Noir ? », s’interrogeait dramatiquement à la fin des années 70, le génial écrivain congolais, Sony Labou Tansi.
En nommant nos fleuves, nos montagnes, nos villages et nos rivières, nos ancêtres n’ont pas posé un acte gratuit, ils ont délimité notre géographie, inscrit notre propre histoire sur la terre des hommes et fondé notre identité. Les noms de nos villages sont sacrés, ils relèvent du patrimoine national. Les débaptiser, c’est nous renier, c’est souiller notre mémoire collective, c’est humilier nos ancêtres, c’est trahir la Nation, c’est défier la République !
La dignité des peuples, c’est de préserver leur identité historique et culturelle envers et contre tout ; leur liberté, c’est de brandir comme on brandit un drapeau le nom qui est le leur et qui doit être honoré à tout instant. La première chose que fait l’envahisseur quand il débarque, c’est de changer le nom des lieux. La première chose que fait le maître quand il enchaîne l’esclave, c’est de lui donner son nom à lui.
Et puis, cette triste affaire ne soulève pas seulement des questions d’ordre esthétiques, historiques et morales, elle pose aussi une question hautement juridique. De quel droit, ces gens débaptisent-ils nos villages ? Les villages guinéens sont-ils leurs propriétés privées ? Qui sont-ils pour agir en notre nom sans même demander notre avis ? De quelle légitimité se réclament-ils pour toucher à notre patrimoine historique et culturel ?
C’est encore une fois la preuve incontestable qu’il n’y a pas d’Etat en Guinée, je peux dire un système cohérent capable de régler la circulation, de ramasser les ordures, de prélever les impôts, de faire respecter la loi. C’est l’Etat sauvage où chacun, à commencer par les chefs se permet de faire ce qu’il veut.
Dans un pays normal, ces énergumènes auraient déjà été arrêtés et traduits devant les tribunaux pour usurpation du patrimoine et atteinte à l’honneur national.
Tierno Monénembo
Ecrivain, lauréat du prix Renaudot en 2008.
Kaceto.net
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