Dans ce court article, je vous présente quelques résultats d’analyse sur la mise en scène discursive de deux présidents de l’Assemblée nationale du Burkina Faso qui se sont succédé sous la présidence KABORE : le premier, monsieur Salif DIALLO, a été président de l’Assemblé nationale (PAN) du Burkina Faso du 30 décembre 2015 à sa mort le 19 août 2017. Le deuxième, Monsieur Alassane Bala SAKANDE, est le président de l’Assemblée nationale du Burkina Faso depuis le 8 septembre 2017.

L’analyse a été réalisée en regardant la configuration de sept (07) catégories énonciatives et sémantiques dans l’ensemble des discours de chacun des deux présidents devant l’Assemblée nationale :
Le « JE » et ses équivalents (pronoms personnels, pronoms et adjectifs possessifs) ;
Le « NOUS » et ses équivalents (pronoms personnels, pronoms et adjectifs possessifs) ;
Le champ verbal de chacun des deux PAN : je n’ai retenu que les verbes les plus significatifs dans les corpus de discours ;
La catégorie « Peuple, Nation » qui regroupe un certain nombre de références telles : peuple, nation, burkina Faso, les Burkinabè, patrie, patriote, République… » ;
La catégorie « Valeurs républicaines » qui regroupe des notions telles : valeurs, démocratie, justice, état de droit, droits de l’homme, union sacrée, liberté, égalité, fraternité, solidarité, intégrité… » ;
La catégorie « Enjeu sécuritaire » qui renvoie à des notions telles : sécurité, insécurité, risque, terroristes, terrorisme, attaques terroristes, attentats, djihadistes, djihadisme, guerre, état d’urgence… mais aussi forces de défense et de sécurité, police, gendarmes, VDP, koglwéogo… » ;
Et enfin la catégorie « Loi,législation », qui est le cœur de métier de l’Assemblée nationale et qui renvoie aux notions de loi, législation, projet de loi, loi fondamentale, loi organique, loi d’habilitation, loi d’orientation, loi mémorielle. Je n’en dirai pas plus sur cette catégorie qui, bien que prégnante dans les discours, n’est pas structurante du champ verbal autour du « JE » et du « NOUS » des deux présidents de l’Assemblée nationale burkinabè.
Les deux cartographies ci-après nous permettent de visualiser la configuration des relations significatives et orientées entre les différentes catégories ci-dessus citées. Elles nous donnent à voir une part de la mise en scène discursive et du projet de sens des deux présidents de l’Assemblée nationale du Burkina Faso.
Que retenir de ces cartographies ? Sans développer en profondeur, nous pouvons noter ceci :
La structure « JE-NOUS » est fondamentale dans les discours des deux PAN. Elle décline, avec une certaine précision, un modèle de constitution d’une personne politique et d’un projet de sens qui se veut partagé autour d’un intérêt ou d’un but commun, pour autant que le sujet de la politique est bien le « NOUS ».
Le « JE » (qui se décline plus souvent sous forme de pronom personnel que sous forme de pronom ou d’adjectif possessif : 85% contre 15% chez le PAN Diallo et 77% contre 23% chez le PAN Sakandé) est d’abord un « JE » qui met les formes dans son adresse à l’Assemblée nationale. D’où la prégnance de la formule « Je voudrais » (« Je>Vouloir », mais un « vouloir » conjugué au conditionnel présent), formule de politesse par excellence. Plus généralement, il s’agit d’un « JE déclarant et performant » (ainsi des formules du genre : « je déclare », « je dis », « j’adresse », « j’affirme », « j’exhorte », « j’exprime », « je salue », « j’invite », « je remercie », « je félicite », etc. Bref, majoritairement des verbes déclaratifs et performatifs).

Le « JE » des deux PAN s’amplifie, se dilate en un « NOUS » d’identité, d’identification et de totalisation politique (la structure « JE-NOUS »). Ce « NOUS » qui se donne plus sous la forme possessive que personnelle (67% contre 33% chez le PAN Diallo et 53% contre 47% chez le PAN Sakandé) est, chez les deux présidents, projeté sur le « Peuple et la Nation burkinabè » (« notre peuple », « notre nation », « notre patrie », « notre pays » …) et sur ce que j’appelle les « Valeurs républicaines » (démocratie, liberté, égalité, justice, droit, état de droit, droits de l’homme, union sacrée, unité, réconciliation, paix, solidarité, etc.). Pour le dire vite, par ce « NOUS » plutôt possessif, les deux PAN tentent d’attirer notre attention sur ce qui nous appartient collectivement, soit comme bien précieux (patrimoine) commun, soit comme réputation/aspiration morale commune. En somme, « notre nation et ses valeurs fondamentales ». La relation du « JE » au « NOUS » comporte ici, de toute évidence, des enjeux sociaux, politiques et éthiques importants.

Il convient tout de même de noter deux points de singularité des discours du PAN Sakandé par rapport à ceux du PAN Diallo. Sur la cartographie des discours du PAN, nous pouvons observer que la relation « NOUS-Enjeux sécuritaires » (« NOUS face aux brûlantes questions sécuritaires ») est significativement marquée. Elle était déjà présente dans les discours du PAN Diallo, mais elle prend là une proportion beaucoup plus importante. Cela n’est pas sans lien avec l’aggravation de la situation sécuritaire du pays au fil du temps. Et cette donne oblige – c’est une hypothèse – le PAN Sakandé à tonifier son « NOUS », à l’ériger encore plus fortement en « actant », sujet du verbe (le « NOUS personnel » passe de 33% chez le PAN Diallo à 47% chez le PAN Sakandé) et à lui assigner l’obligation, le devoir d’agir. Plus généralement, cette « tonification » du « NOUS » du PAN Sakandé par rapport à celui du PAN Diallo est cohérente avec une dramatisation plus marquée de ses discours. En effet, les modalisations de négation (pas, ne pas, non, non pas, aucun, jamais, plus jamais, en aucun cas, etc.) et d’intensité (tout, tous, beaucoup, sans précédent, davantage, de plus en plus, encore, grandement, impérativement, etc.), qui sont des marqueurs linguistiques de la dramatisation, sont nettement plus présentes dans les discours du PAN Sakandé (55,2% des modalisations) que dans ceux du PAN Diallo (48,7% des modalisations). Exigence collective d’action donc !

Ousmane Sawadogo ; Consultant Text Analytics & Analyse sémantique
Kaceto.net