Mgr Desmond Tutu, archevêque anglican et figure de la lutte contre l’apartheid en Afrique du Sud, est mort dimanche. Il avait eu 90 ans le 7 octobre.

Desmond Tutu est mort. Celui qui fut une véritable icône de la lutte contre l’apartheid et Prix Nobel de la Paix en 1984 s’est éteint à l’âge de 90 ans, dimanche 26 décembre. C’est le président d’Afrique du Sud, Cyril Ramaphosa, qui a confirmé la triste nouvelle par voie de communiqué. Le président exprime « au nom de tous les Sud-Africains, sa profonde tristesse à la suite du décès, ce dimanche » de cette figure essentielle de l’Histoire sud-africaine.

« Le décès de l’archevêque émérite Desmond Tutu est un nouveau chapitre de deuil dans l’adieu de notre nation à une génération de Sud-Africains exceptionnels qui nous ont légué une Afrique du Sud libérée », a ajouté le président. « Un homme d’une intelligence extraordinaire, intègre et invincible contre les forces de l’apartheid, il était aussi tendre et vulnérable dans sa compassion pour ceux qui avaient souffert de l’oppression, de l’injustice et de la violence sous l’apartheid, et pour les opprimés et pour les oppresseurs du monde entier », a ajouté Cyril Ramaphosa.

The Arch, comme il était surnommé par les Sud-Africains, était affaibli depuis plusieurs mois. Il ne parlait plus en public, mais saluait toujours les caméras présentes à chacun de ses déplacements, sourire ou regard malicieux, lors de son vaccin contre le Covid dans un hôpital ou lors de l’office au Cap pour célébrer ses 90 ans en octobre.

Des engagements fermes

S’ils ont inspiré les foules, les engagements de Desmond Tutu ont aussi beaucoup irrité. Son Église anglicane, par exemple, quand il défendait les droits des homosexuels (« Je ne pourrais pas vénérer un Dieu homophobe ») ou, plus récemment, le droit de mourir dignement. La Chine aussi, chaque fois qu’il prenait parti pour le dalaï-lama. Ou encore les gouvernements sud-africains successifs, dont il a dénoncé les turpitudes. Même son ami Nelson Mandela n’a pas échappé à ses foudres. À son arrivée au pouvoir en 1994, Tutu a reproché à son Congrès national africain (ANC) une mentalité de « profiteur ».

Ses convictions étaient fermes, mais Desmond Tutu les a toujours défendues avec une joyeuse exubérance. Volontiers blagueur, y compris à ses dépens, il n’hésitait pas à agrémenter ses harangues de quelques pas de danse et d’un rire proche du gloussement devenu sa marque de fabrique.

Desmond Tutu a acquis sa notoriété aux pires heures du régime raciste de l’apartheid. Alors prêtre, il organise des marches pacifiques contre la ségrégation et plaide pour des sanctions internationales contre le régime blanc de Pretoria. Seule sa robe lui épargnera la prison. Son combat non violent est couronné du prix Nobel de la paix en 1984.

Commission vérité et réconciliation

À l’avènement de la démocratie dix ans plus tard, celui qui a donné à l’Afrique du Sud le surnom de « nation arc-en-ciel » préside la Commission vérité et réconciliation (Truth and Reconciliation Commission, TRC) qui, espère-t-il, doit permettre au pays de tourner la page de la haine raciale. « Je marche sur des nuages. C’est un sentiment incroyable, comme de tomber amoureux », confie-t-il. « Nous, Sud-Africains, allons devenir le peuple arc-en-ciel du monde. » Ses espoirs sont vite déçus. La majorité noire a acquis le droit de vote, mais reste largement pauvre.

Fidèle à ses engagements, le « curé » du Cap devient alors le pourfendeur des dérives du gouvernement de l’ANC, à commencer par les errements de l’ancien président Thabo Mbeki dans la lutte contre le sida. En 2013, il promet même de ne plus jamais voter pour le parti qui a triomphé de l’apartheid. « Je n’ai pas combattu pour chasser des gens qui se prenaient pour des dieux de pacotille et les remplacer par d’autres qui pensent en être aussi », déplore Tutu.

Inlassable militant de l’unité raciale, il ne craint pas en 2011 de proposer une taxe sur la richesse des seuls Blancs pour corriger les inégalités. « Ils ont profité de l’apartheid », plaide-t-il. À l’étranger, on le voit aussi sur tous les théâtres de conflits, RD Congo, Soudan, Kenya ou Palestine. Il appelle à juger les dirigeants occidentaux pour la guerre en Irak.

« Un symbole de gentillesse et de paix »
Chemin faisant, il gagne le cœur de nombreuses personnalités. Le dalaï-lama en fait son « frère aîné spirituel », le président américain Barack Obama « un symbole de gentillesse et de paix ». Et le dernier président sud-africain blanc Frederik de Klerk confessait « un immense respect pour sa témérité ».

Nelson Mandela en faisait même un saint. « Dieu attend l’archevêque, il va l’accueillir à bras ouverts », écrit-il. « Si Desmond arrive au paradis et se voit refuser l’entrée, alors aucun de nous n’y entrera. » À l’inverse, l’ancien président zimbabwéen Robert Mugabe, dont il a étrillé la dérive dictatoriale, le taxait de « méchant petit homme en robe ».

Quand on l’interrogeait sur sa célébrité, l’archevêque souriait. Et remerciait sa famille de l’aider à garder les pieds sur terre. « Ma femme a mis une pancarte dans notre chambre, qui dit : “Tes opinions peuvent être erronées” », racontait-il. « Ils sont là pour dégonfler la haute opinion que j’ai de moi-même ! »

Desmond Tutu est né le 7 octobre 1931 dans l’anonymat de Klerksdorp, petite cité minière au sud-ouest de Johannesburg. Enfant, il souffre de poliomyélite. Marqué par cette expérience, il veut devenir médecin mais y renonce faute de moyens. Il sera enseignant, avant de démissionner pour protester contre l’éducation de moindre qualité réservée aux Noirs et d’entrer au séminaire. Ordonné prêtre à 30 ans, il étudie et enseigne au Royaume-Uni et au Lesotho, puis s’établit à Johannesburg en 1975. Avant d’être nommé archevêque du Cap et chef de la communauté anglicane de son pays. Il était marié depuis 1955 à Leah, dont il a eu quatre enfants.

Malgré un cancer de la prostate diagnostiqué en 1997 et plusieurs séjours à l’hôpital, cet homme d’une vitalité stupéfiante ne s’est retiré que très progressivement de la vie publique, partageant un compte Twitter avec sa fille Mpho, qui dirige sa fondation. Jusqu’au bout, il s’est accroché à son rêve d’une Afrique du Sud multiraciale et égalitaire.

À la mort de Nelson Mandela, en 2013, Desmond Tutu avait réveillé une cérémonie officielle bien ennuyeuse en faisant hurler un puissant « oui » à la foule après lui avoir lancé : « Nous promettons à Dieu que nous allons suivre l’exemple de Nelson Mandela ! »

Le Point