Chronique de nos travers que nous refusons de voir et qui hélas, nous rattrapent toujours.

D’entrée, je précise que je parle d’urbanisme et d’urbanisation. Celle ou celui qui voit une connotation ethnique dans cet écrit est un sorcier 2.0. Quand je dis Ouagadougou, il faut voir l’agglomération et tout l’équipement urbain qui s’y trouve. D’ailleurs, ce sont des choses que tout le monde peut facilement vérifier.
Quand vous quittez Ouagadougou vers la province, c’est la même continuité urbaine sur des kilomètres. Vers Bobo-Dioulasso, c’est en fait la même ville jusqu’à Koudougou. En direction du Sud, vous avez la même coulée urbaine jusqu’après Dapélogho. Vers Kaya, vos êtes dans la même ville loin après Ziniaré. En direction du Nord, il faut aller jusqu’aux abords de Boussé pour percevoir un changement dans le paysage. Vers l’Est, il faut passer la plaque qui indique la direction du nouvel aéroport de Donsin.
Je dis ce que mon œil a vu. Et vous pouvez le voir à votre tour. Il vous suffit de prendre votre mobylette et de rouler. Ce n’est donc pas le produit de l’imagination d’un médisant de passage. Les bâtiments existent, les équipements urbains existent. Ce n’est pas ma main qui est allée les placer là-bas. Ce n’est pas parce que je le dis que ce matériel se met subitement à exister. Ils étaient là avant ma venue, et ils sont toujours là après mon départ.
A l’inverse de cette débauche de moyens, que se passe-t-il quand le voyageur se prépare à aller en province ? Il faut s’équiper en tout. Penser à tout. De simples choses comme une eau potable deviennent vitales. Surtout, téléphoner tout azimut pour trouver un endroit à peu près acceptable pour le séjour. Je rappelle qu’il s’agit d’un déplacement de moins de 200 kilomètres. Et il faut se préparer comme si on allait sur la lune. Ainsi donc, sortir tout simplement de Ouagadougou devient une affaire préoccupante mettant les nerfs à vif.
Là également, je précise que je n’invente rien. L’épisode est resté fameux où un chef de l’Etat se rendant dans la Région du Nord s’est trouvé obligé de séjourner au domicile d’un commerçant ami. Ami lecteur. Chère sœur et cher frère. Vous avez bien lu. Le Président du Faso, en séjour à 180 petits kilomètres de Ouagadougou, ne peut trouver un endroit potable où dormir.
Ce que je décris là, toute personne honnête qui a voyagé dans les provinces vous le dira. Les fonctionnaires le savent bien. Une mutation en province est vécue comme une sanction injuste et injustifiée. Aller exercer dans des contrées où vivent des millions de Burkinabè est brandi par la hiérarchie comme une menace. Une déchéance à craindre. Et je signale qu’il y a eu des grèves pour ce motif.
Quelqu’un m’a posé cette question hallucinante à Ouagadougou : "Tu n’es pas fatigué de tes villages là ? Qu’est-ce que tu vas chercher même dans cette brousse ?". J’ai trouvé inutile de répondre. Les esprits sont formatés. L’aveuglement est devenu maintenant une évidence. Et c’est un aveuglement collectif. Dois-je signaler que les mots "paysan" ou "villageois" sont aujourd’hui des injures graves dans notre lexique ?
Alors, que nous dit cette réalité ? Tout simplement des choses que nous ne voulons pas voir. Et si nous les voyons quand même, s’appliquer à les taire. Parfois même, les nier. On ne fait même plus semblant de ne pas percevoir cette réalité. On dénonce celui qui en parle comme un vil calomniateur. Un esprit tordu qui ne sait pas quoi inventer.
Pourtant, c’est clair et net. On ne peut pas tout concentrer en un seul lieu, et transformer le reste du territoire en désert urbain. Mais, qu’est-ce que je raconte ? Bien sûr qu’on peut le faire ! Et nous l’avons fait. Reste maintenant les conséquences. Même un enfant sait que ses actes ont inévitablement des conséquences. Devant la bêtise, il se met à pleurer avant l’arrivée de maman. Parce qu’il sait que ça va "zoufler fort".
Nous voilà tous devant une situation semblable. On peut oublier des compatriotes dans un coin. On peut oublier des pans entiers du territoire. Mais le dirigeant sait qu’il n’a aucun moyen de lutte contre les ressentiments. Et notre problème aujourd’hui, c’est le ressentiment. C’est-à-dire des revendications qu’on s’applique à taire. Dans la direction des hommes, il faut craindre ce qu’ils ne disent pas. Interroger constamment ces "cris muets". Ce qu’ils disent, ils peuvent toujours le digérer. Ce qui a "dépassé la parole", c’est forcément source de désagrément futur.
Vous voyez ce visiteur ami qui vient d’arriver d’un long voyage. Vous lui proposez à manger. Mais la pudeur et la gène lui amoindrissent le geste, mutilent la parole. Il ne peut quand même pas se jeter voracement sur votre nourriture. Et il vous dit qu’il n’a pas faim. Et que ça va. Il faudrait être un grand sot pour croire ces mots. C’est peut-être vos manières à vous qu’il faudrait revoir. Et là également, il faudrait être un sombre idiot pour ne pas le comprendre.

Sayouba Traoré
Journaliste, Ecricain