Alors que seulement 45% de la population burkinabè ont accès à l’électricité, principalement dans les grandes villes, que la production en énergie fossile est de plus en plus chère, l’énergie produite à partir du solaire pourrait être l’altérative viable pour sortir des millions de Burkinabè de l’obscurité. C’est en tout cas le défi que s’est lancée "AliothSystem, une société créée par des Burkinabè de la diaspora et spécialisée dans la production et la distribution de l’énergie solaire à moindre coût.
Explications avec son président Christophe Tougri, diplômé d’un MBA en Business Intelligence.

Que signifie AliothSystem Energy ?

« Alioth » c’est l’étoile la plus brillante de la galaxie de la grande Ourse. Le projet dans sa vision consiste à faire briller, donc apporter la lumière à tous les ménages du Burkina et dans les pays où nous nous installons à moindre coût. C’est aussi créer une dynamique dans le secteur de l’énergie en apportant de l’innovation, la recherche et le développement, la création de nouveaux métiers et l’employabilité des jeunes.
C’est cette vision globale que nous avons qui nous fonde à penser qu’avec les jeunes et l’innovation technologique, il est possible d’enclencher le développement économique à travers la promotion de l’énergie. L’objectif final est de mettre en place un écosystème qui permet de voir le développement autrement, à savoir que la lumière, ce n’est pas juste pour s’éclairer, mais elle permet aussi d’avoir des revenus et de vivre décemment.


Depuis quand la société AliothSystem Energy existe-t-elle ?

AliothSystem Energy a été créée en septembre 2016. Mais le projet date des années 2012 quand des jeunes de la diaspora burkinabè en France s’étaient réunis pour initier des projets d’entreprise en vue de leur retour au pays. Entre 2012 et 2016, il y a eu des phases de brainstorming, d’identification de projets type qui cadrent avec les besoins du Burkina, de prospection sur le terrain dans les années 2014 à 2015 jusqu’à la phase de maturation. En début 2016, nous avons effectué un projet pilote qui a permis de tester nos produits et d’entamer par la suite le processus de création de la structure.
D’une dizaine de jeunes au départ, c’est finalement en binôme que nous avons décidé en 2017 de rentrer au Burkina pour nous préparer au lancement de la société avec pour ambition de créer une industrie locale. Car, contrairement à ce qu’on peut penser, l’énergie n’est pas quelque chose qui doit être prise comme une science inaccessible au grand nombre. Tout dépend de l’utilisation qu’on veut en faire et nous sommes convaincus que notre pays peut atteindre l’indépendance énergétique.

Quels sont les produits et services que vous proposez aux clients ?

Toute la philosophie de AliothSystem Energy est basée sur l’optimisation du coût de kilowatt heure (kwh). Comment faire pour que le coût du kwh soit le plus faible possible, faciliter l’accessibilité à l’énergie et augmenter le rendement pour l’énergie productive ?
Partant de là, nous avons mis sur le marché des produits destinés aux ménages ruraux et périurbains appelés Solar Home System (SHS) commercialisés sous la marque « téréBox », et des produits destinés aux ménages urbains, aux industries et aux PME/PMI appelés Smart Solar Power System (SSPS). Nous avons aussi développé les Smart Meter ou compteurs intelligents connectés qui permettent de disposer d’informations fiables en temps réel de l’ensemble du système énergétique d’un pays (consommation, qualité du réseau, la production).
L’ensemble de ces produits est connecté à une plateforme multimodale Energy Managment and Operating System (Emos) et PAY-AS-YOU-GO (PAYGO). Grâce à cette plateforme, nous pouvons intervenir en temps réel sur l’ensemble des produits, faire le recouvrement (système à prépaiement), collecter des informations de consommation et de production dans le cadre du processus de Recherche et développement, surveiller l’obsolescence programmée des équipements et anticiper sur le recyclage.

Au Burkina, nous avons déjà déployé plus de vingt mille (20 000) Solar Home System (SHS) PAYGO pour vingt mille (20 000) ménages avec un taux de recouvrement de 95% en seulement deux ans.
Autre innovation, nous travaillons sur la mobilité urbaine, notamment comment contribuer à résoudre la question de la dépendance aux énergies fossiles en ce qui concerne nos moyens de transports. Dans certains pays, ça existe dans des proportions intéressantes, mais chez nous, on n’a jamais pensé aux véhicules électriques, alors qu’on parle depuis longtemps de transition énergétique. Et la crise mondiale du carburant révèle chaque jour notre vulnérabilité face aux hydrocarbures. Savez-vous que le plein en véhicule électrique coûte 8000 F avec 400 km d’autonomie contre ? « Haliot System » a terminé la phase d’expérimentation de cette offre et nous sommes à la phase de commercialisation. L’Etat dépense environ 40 milliards par an pour ses véhicules et on gaspille l’essence à faire des courses internes alors que le solaire peut assurer tout cela.

Quels sont vos rapports avec l’Etat burkinabè ?

Nous avons de très bons rapports de collaboration avec les structures de l’Etat en charge du secteur énergétique. Avec le ministère de l’Energie, nous avons par exemple travaillé sur le projet BACKUP Solaire (5000 Solar Home System déployés), et avec l’Agence Burkinabè d’Electrification Rurale, nous avons travaillé sur deux grands projets, à savoir l’introduction des compteurs intelligents connectés au Burkina Faso (plus de 30 000 compteurs déployés) et la mise en œuvre du Projet Plan d’Urgence (12 000 SHS). Enfin, avec l’Agence Nationale des Energies Renouvelables et de l’Efficacité Energétiques ANEREE qui est une structure d’accompagnement technique en matière de qualité et de normes.
Fort de la réussite du projet « BACKKUP SOLAIRE », au profit des ménages, PME/PMI et les populations vulnérables mis en œuvre entre 2020-2021, le gouvernement a décidé de reconduire le projet à plus grande échelle au profit des ménages, les PME/PMI, les personnes vulnérables, les personnes déplacées internes et les localités rurales du Burkina Faso à travers l’installation de kits solaires (Solar Home System (SHS) ou Smart Solar Power System(SSPS) 1 KVA à 30 KVA), le tout à des coûts abordables.

Cela permet de réduire le coût du kWh des bénéficiaires, les rendre autonome en énergie, d’accompagner les Personnes déplacées internes (PDI) et les personnes vulnérables avec l’apport de l’énergie solaire.
Sur le volet énergie productive, ce projet permet de booster les activités économiques du secteur tertiaire, d’atténuer les effets des délestages pendant les périodes de pointe en assurant la qualité et la continuité de la fourniture d’électricité, d’assurer un revenu constant pour les PME/PMI en baissant la facture, soulager le réseau public en permettant de redistribuer l’électricité aux gros consommateurs.
Pour l’Etat, cela va permettre de baisser les subventions aux combustibles à la SONABEL et de vulgariser le développement du programme solaire du Burkina Faso. Et ce, en s’appuyant sur l’investissement et le secteur privé national. Il s’agit d’un projet Partenariat Public Privé à paiement par les usagers.
Un objectif de dix mille (10 000) ménages et bénéficiaires (PME/PMI) minimum est attendu de la mise en œuvre dudit projet sur l’ensemble du territoire à travers la mise en œuvre de ce mécanisme revolving. A terme, le projet devrait impacter près d’un million d’habitants. Le coût global de l’investissement est de de vingt milliards huit cent vingt millions (20 820 000 000) de Francs CFA TTC.

L’ancien ministre de l’Energie, Ismaël Bachir s’était fait taper sur les doigts en déclarant devant la représentation nationale que le Burkina pouvait exporter de l’énergie. Avait-il tort ou raison ?

Je pense qu’il n’avait pas totalement tort. Il faut juste que nous ayons des ambitions et de la vision. Si on se met massivement au solaire, si chacun produit au moins 100% de son énergie, et que dans le même temps, la SONABEL continue de produire uniquement pour les gros consommateurs comme les mines et les cimenteries, il y aura sans doute un surplus de production que nous pourrions bien exporter vers les pays voisins. Je pense que la SONABEL bénéficie chaque année d’une subvention de 30 milliards de F CFA pour les hydrocarbures. Si on se place dans la vision de l’ancien ministre de l’Energie, on va inverser la tendance, c’est-à-dire que c’est la SONABEL qui va apporter de la recette à l’Etat.
C’est dans cette optique que le projet Backup a été mis en place et avec une telle vision, nous pouvons atteindre l’accès universel à l’énergie au Burkina.

Que répondez-vous à ceux qui disent qu’en réalité, le solaire coûte plus cher que le raccordement à la SONABEL ?

Ce n’est pas exact. Se mettre au solaire, c’est un investissement. C’est comme si on vous demande d’avancer votre consommation annuelle sur une période donnée. Cependant, avec la SONABEL, on est dans l’achat journalier d’énergie (kwh) peu importe la qualité et la disponibilité, alors que l’investissement a déjà été fait par l’Etat à travers la SONABEL qui nous revend l’électricité. Si votre question est de savopir si le coût du kwh produit à partir des équipements solaires (de AliothSystem) revient moins cher que le coût du kwh vendu par la Sonabel, la réponse est oui. Selon l’Agence burkinabè de l’électrification rurale (ABER) le coût moyen du kwh de la Sonabel est de 120FCFA. Chez nous, le Solar Home System que nous proposons à nos clients coûte 300 000 FCFA sur deux ans avec l’ensemble des équipements (télé, ventilateurs, lampes, torches) + le système de production (contrôleur, batterie, panneau solaire PV) et le coût du crédit. Le système de production d’énergie (contrôleur, batterie, panneau solaire PV) représente en moyenne 25% du prix, soit 75 000 FCFA. La production annuelle constante et disponible est de 255KWH. Sur une période de 5 ans (durée d’amortissement), le coût (constant) du kwh est de 58 FCFA contre 120FCFA pour la même consommation (255kwh annuelle sur 5 ans) avec la Sonabel. Exactement le même qui a été subventionné par l’Etat pendant la pandémie de Covid19 à 50% ! Cela a permis de baisser davantage le prix du kwh du kit à 29FCFA.

En plus du prix, il y a d’autres avantages, comme la constance du prix, la disponibilité de l’énergie, l’autonomie etc. Nous pouvons faire la même comparaison avec les Smart Solar Power System (SSPS) et le résultat est le même. Le coût du kwh produit revient moins cher que celui de la Sonabel.
J’ai indiqué plus haut dans la structure des prix, les charges du crédit que la banque nous facture dans le prêt. Il faut comprendre que dans le modèle PAYGO que nous proposons, c’est AliothSystem qui investit à la place du bénéficiaire via un mécanisme de prêt à la banque. Les charges financières s’élèvent à 10 voire 15%. Ce qui a une répercussion sur le prix du kit, donc du Kwh. L’enjeu ici porte sur le coût du crédit et si nous avons de l’argent (prêt) moins cher (taux très bas), nous pouvons proposer des kits avec un coût du kwh à moins de 50FCFA. C’est notre combat en ce moment.
Mais j’insiste dessus, nous ne sommes pas un concurrent de la Sonabel. Savez-vous qu’il y a environ seulement 700 000 abonnés à la SONABEL sur l’ensemble du pays ?
Il y a encore un gros déficit à combler en matière d’électrification dans notre pays et nous y travaillons modestement.

Propos recueillis par Joachim Vokouma
Kaceto.net