Pour la première fois depuis sa nomination le 3 mars 2022, le premier ministre s’est prêté à un long entretien hier soir sur les antennes la RTB et de BF1 pour faire le bilan d’étape de l’action gouvernementale. Son parcours universitaire et professionnel et les chantiers de la Transition étaient au menu des échanges.

"Je dis à mes anciens camarades de l’Association nationale des étudiants burkinabè (ANEB) que je n’ai pas changé". Hier soir, le premier ministre a rassuré ses anciens camarades de l’ANEB, cette association connue pour son ancrage idéologique à gauche, que ses convictions de jeunesse restent intactes.
Appelé pour diriger un gouvernement issu du putsch du 24 janvier 2022, celui qui a été enseignant à l’université essuie bien de critiques sur les choix et les priorités de la Transition.
Bien entendu, la question sécuritaire demeure la priorité des priorités puisqu’elle justifie le renversement du pouvoir du président Kaboré, réélu pour un second et dernier mandat en novembre 2020.
Sept mois après, le bilan de la lutte contre les groupes terroristes qui endeuillent notre pays au quotidien est pour le moins très mitigé. Le premier ministre a rappelé que le gouvernement avait adopté une approche holistique dans cette lutte, notamment par l’assèchement des sources de financements des terroristes et l’interdiction d’utiliser les motos Aloba et assimilés dans les zones à fort défi sécuritaire. Mais qui sont ces terroristes qui nous attaquent et d’où viennent-ils ?
Selon le premier ministre, si au début, c’était des étrangers, aujourd’hui, l’essentiel des terroristes sont des Burkinabè. Il a révélé que les services de renseignements sont parvenus à dresser leurs profils qui se déclinent comme suit :
 les terroristes religieux qui ne veulent rien d’autre qu’instaurer des califats et appliquer la charia dans notre pays.
 les terroristes qui le sont devenus parce qu’ils veulent défendre leurs communautés qui ont subi des attaques.
 les suiveurs, c’est à dire eux qui sont enrôlés dans les groupes juste par mimétisme
 les opportunistes qui regroupent pour l’essentiel des grands bandits qui ont trouvé l’occasion de se reconvertir dans le terrorisme alors qu’ils étaient traqués par les Koglwéogos.
 Enfin les terroristes qui ont été enrôlés de force et qui n’hésiteraient pas à quitter les rangs.
Pour beaucoup d’entre eux, le premier ministre est convaincu qu’il est possible de les faire revenir à la maison, d’où la création des comités locaux de dialogue. L’objectif étant d’assurer leur sécurité et les aider à se réintégrer.

Sur l’agenda de la Transition, le premier ministre a indiqué que la CEDEAO n’avait rien imposé au gouvernement et qu’un compromis dynamique avait été conclu avec l’instance régionale ouest-africaine. Lequel comprend notamment des indicateurs, à commencer par le recouvrement d’une bonne partie du territoire sous occupation terroriste à défaut d’un recouvrement total et le retour des Personnes déplacées internes (PDI) chez elles.
S’agissant des relations entre le Burkina et le reste du monde, le premier ministre a indiqué clairement que le gouvernement est libre de conclure des accords gagnant-gagnant avec tous les pays du monde, mais dans la lutte contre le terrorisme, il n’est pas question que des troupes étrangères viennent faire le combat à notre place.
Réagissant aux propos de l’ambassadeur de la France au Burkina, Luc Hallade parlant "d’idiots utiles" dans son discours du 14 juillet dernier, Albert Ouédraogo a confié en avoir été "outré". Il considère que la jeunesse africaine, en particulier celle burkinabè, est de plus en plus "décomplexée, plus ouverte et ceux qui n’ont pas compris ça, ce sont eux les vrais idiots utiles".

Sur le front social, le premier ministre n’a pas nié les chiffres publiés par la BCEAO indiquant que notre pays avait le plus fort taux d’inflation dans l’espace UEMOA et s’agissant de la hausse des prix des hydrocarbures, il a expliqué que le gouvernement n’avait pas le choix. Sinon, a t-il confié, la Sonabhy n’allait plus pouvoir assurer sa mission. Il estime par ailleurs qu’il faudrait casser le monopole qu’elle détient et permettre à des privés nationaux de distribuer le carburant.
Afin de booster la production agricole, le gouvernement a acquis 28 000 tonnes d’engrais qui est vendu à prix social aux producteurs.
Il a aussi estimé que les rapports avec les partenaires sociaux étaient bons et que le gouvernement est en train d’examiner tous les protocoles d’accord signés par tous les ministères afin de vider les contentieux qui existent dans leur application.
S’agissant de la lutte contre la corruption et la rationalisation des dépenses publiques, il a confié qu’un contrôle plus rigoureux des véhicules de l’état et une feuille de route sur la réduction du train de vie de l’état est en cours de rédaction.
"Seize (16) structures ont été auditées y compris l’armée et les résultats auront des conséquences judiciaires.
Sur les révocations avec effet immédiat que l’opinion avait critiquées, il a justifié cette démarche qui visait à mettre fin à des pratiques où "certaines personnes qui ont été remplacées et qui ont eu des comportements délictueux. Nous avons constaté que certaines personnes, lorsque nous les remplaçons, en attendant la passation de service, se sont mises à prendre des décisions qui engagent la vie de leurs structures. Elles se sont mises à faire des chèques antidatés, elles se sont mises à signer des contrats importants et bien d’autres actes que nous avons notés".
Il ne s’agissait donc pas d’un acharnement ou d’une volonté d’humilier, mais "plutôt de précautions de bonne gestion".

Sur la gestion de la fonction publique, il a noté de gros problèmes liés à la non maitrise des l’effectifs et à la frénésie de recrutements systématique. Se pose donc la question de la rationalisation des postes de travail et de l’utilisation optimum du personnel.
Quant à la réconciliation nationale, Albert Ouédraogo y croit et c’est pour la hâter par le sommet que la rencontre de haut niveau des anciens chefs d’Etat a été organisée en juillet dernier, malheureusement sans la présence de certains d’entre eux, dont le président Roch Kaboré. Son absence surprend le premier ministre car, dit-il, lui-même avait promis qu’il ferait venir Blaise Compaoré dans le premier semestre après sa réélection en novembre 2020.
Répondant à la polémique que la présence de Blaise Compaoré au Burkina avait suscitée alors qu’il est condamné à perpétuité dans l’affaire Thomas Sankara, il a révélé que le gouvernement avait pourtant entrepris des démarches auprès de la famille de Thomas Sankara, notamment Mariam Sankara ainsi que du conseil supérieur de la magistrature. "Il ne s’agissait pas de faire revenir Monsieur Blaise Compaoré de façon définitive, mais il s’agissait surtout de montrer que les anciens dirigeants et les dirigeants actuels peuvent être unis, peuvent faire l’union sacrée pour montrer à nos forces de défense et de sécurité que tout le monde, que toutes les composantes de notre société sont derrière elles", a t-il argumenté.

Joachim Vokouma
Kaceto.net