Je partage avec vous un bref décryptage du premier discours-bilan du président Paul Henri Sandaogo Damiba prononcé le 04 septembre 2022, conformément à son engagement du 1er avril 2022. Ce décryptage s’articule autour de la caractérisation formelle de ce discours et autour de sa structure dynamique de sens.

Caractéristiques formelles du discours-bilan du président Damiba

Le discours a été livré sur un style narratif. Le Lieutenant-Colonel Paul Henri Sandaogo Damiba a fait le récit de l’action du MPSR depuis le coup d’Etat militaire du 24 janvier 2022. Au-delà, il a fait une plongée dans l’histoire du Burkina Faso des temps coloniaux à nos jours.

La mise en scène du discours est dynamique : usage massif des verbes factifs (qui expriment des actions ou des faits) : 58,8% de verbes factifs ; 29,1% de verbes statifs (verbes d’état) et 12,1% de verbes déclaratifs (verbes d’opinion/attitude mentale). L’intention manifeste est donc de donner clairement à entendre que : « Nous sommes dans le FAIRE ». Un « FAIRE » à situer et à suivre dans le TEMPS (utilisation statistiquement significative des modalisations de temps : 23,8% des modalisations utilisées dans le discours : hier, auparavant, aujourd’hui, déjà, désormais, souvent, quotidiennement, bientôt, tôt ou tard, périodiquement, etc.).

C’est un discours fortement dramatisé, sans doute dans l’intention de bien marquer les esprits : utilisation massive des modalisations d’intensité (44,1% des modalisations du discours : tous, plusieurs, davantage, beaucoup, très, considérablement, grandement, malheureusement, etc.).

Sur le plan du système « JE »/ » NOUS », c’est le « NOUS » qui domine très largement (90,72% de « NOUS » versus seulement 9,28% de « JE »). Depuis que j’analyse les discours des autorités de notre pays (du président Roch Marc Christian Kaboré au président Paul Henri Sandaogo Damiba, en passant par les différents premiers ministres qui se sont succédé), je dois dire que c’est la première fois que je vois un tel niveau d’insistance sur ce « NOUS » de totalisation politique (« totalisation » à ne pas confondre avec « totalitarisme ». Ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit).

Cette volonté affichée de totalisation politique, d’unification autour des enjeux brûlants du pays (dont centralement les questions de sécurité et d’intégrité territoriale) est cependant lestée de marques discursives clivantes. En effet, les marques de dénonciation des comportements et des sentiments négatifs (69,7% : compromissions, laxisme, clientélisme, luttes intestines, opportunistes, mauvaise foi, honte, rancœurs, bouc-émissaire, découragement, démoralisation, méfiance, etc.) l’emportent très largement sur la mise en avant des comportements et des sentiments positifs (seulement 30,3% : bravoure, courage, confiance, espoir, dignité, satisfaction, etc.).

Enfin, toujours sur le plan de la caractérisation formelle de ce discours, il n’est pas inintéressant de regarder l’usage fait des adjectifs qualificatifs. Car comme chacun le sait, les adjectifs sont des mots qui permettent au locuteur de qualifier les objets inscrits dans son discours. Eh bien, le discours-bilan du président Damiba est marqué par une domination significative des « adjectifs dits objectifs » (54,11% des adjectifs : ce sont des adjectifs qui indiquent l’existence ou l’absence d’une propriété. Exemples : perceptible, réactif, flexible, irréversible, concrets, continu, stable, manifeste, permanente, etc.) sur les « adjectifs dits subjectifs » (43,84% : ce sont des adjectifs qui indiquent un jugement de valeur ou une réaction émotionnelle. Exemples : grave, fatal, délicat, incapable, malsaines, désespérée, dangereuse, insoucieuse, vaillantes, audacieuses, valeureux, intègres, etc.). Toutefois, il est à noter que pour un discours-bilan, cette intention d’objectivation affichée n’est malheureusement pas étayée par un chiffrage des acquis, des avancées ou des régressions, des projections, etc. Cela se remarque en particulier par l’usage insignifiant des adjectifs numériques (2,05%). Seulement quelques adjectifs numériques intéressants ont été utilisés dans les passages suivants, mais ils sont très peu éclairants - voire sans rapport direct - sur le bilan attendu par nombre de nos concitoyens :

  « Il y a cinq mois, je prenais date avec vous pour faire un premier bilan d’étape du processus de reconquête de notre territoire national… » ;
  « Durant ces cinq mois, nous avons essayé d’interroger notre histoire. » ;
  « Et les premiers signes de ce réveil commencent à être perceptibles, aussi bien sur le plan de la réponse militaire, que celui du dialogue : les deux piliers majeurs de notre stratégie. »
  « Plusieurs dizaines de jeunes ont déjà accepter de saisir la main tendue des communautés, en déposant les armes et en s’engageant dans le processus encadré par le Gouvernement. »
  « Il y a 75 ans, jour pour jour, le territoire de la Haute Volta était reconstitué après sa dissolution de 1932.

Dynamique du sens au fil du discours}

Enfin, last but not the least, j’ai modélisé la dynamique de sens du premier discours-bilan du président Paul Henri Sandaogo Damiba (Voir graphique ci-joint). Pour ce faire, j’ai divisé ce discours en trois parties égales (trois temps du discours : T1 (début) ; T2 (milieu) ; T3 (fin)). Et j’ai regardé les taux de répartition (j’insiste sur la notion de « taux de répartition ») de quatre références sémantiques structurantes : la référence « NOUS et équivalents », la référence au « Peuple et à la Nation burkinabè », la référence aux « Enjeux sécuritaires et de reconquête territoriale » et la référence aux « Comportements et Sentiments » (Nous avons montré plus haut que, dans ce discours, la mise en cause des comportements et des sentiments négatifs l’emportait largement sur la mise en avant des comportements et des sentiments positifs ».)

Que constatons nous ?

  L’usage du « NOUS » totalisant, bien que massif, est resté stable/constant du début à la fin du discours (Temps T1, T2 et T3).

  L’évocation conjointe du « Peuple/Nation » burkinabè et des « comportements et sentiments » est plus marquée en début (temps T1) et à la fin du discours (temps T3) qu’en son milieu (temps T2). Ces deux groupes de références sémantiques ouvrent et ferment en quelque sorte le premier discours-bilan du président Damiba, comme pour marquer leur importance stratégique à ses yeux.

  Enfin, la référence à « l’enjeu sécuritaire et de reconquête territoriale » est l’objet d’une « rafale discursive » en milieu du discours (temps T2), comme pour montrer la centralité de cet enjeu.

Je m’arrête ici pour le décryptage. Si ce qui vient d’être dit peut contribuer à éclairer le débat public et peut-être la prise de décision, je n’en serais que très heureux. Paix au Faso. Paix au Sahel.

Ousmane SAWADOGO, Consultant Text Analytics & Analyse sémantique
Kaceto.net