Dire que les libertés publiques garanties dans la constitution et dans les traités ratifiés par notre gouvernement sont menacées, c’est enfoncer des portes déjà largement ouvertes.
Ces derniers temps, des individus incultes, se sont arrogés le droit de fixer une ligne rouge à ne franchir dans l’appréciation de la conduite de la Transition politique.
Une dérive que dénonce l’auteur de la Tribune ci-contre et contre laquelle il sollicite l’intervention des autorités coutumières et religieuses afin d’éviter que le pire n’arrive.

Je ne suis peut-être pas celui-là qui devrait lancer un tel appel étant donné que je suis un citoyen anonyme dont le point de vue n’a peut-être d’importance que pour lui-même. N’empêche ! En tant que Burkinabè jouissant de tous ses droits et reconnaissant la légitimité des autorités traditionnelles, coutumières et religieuses qui, à leur tour, sont à l’écoute de tous les Burkinabè, j’en conclus que je serai au moins lu. Dans l’hypothèse où mon argumentaire se révèle non pertinent, je compte sur l’esprit disposé au pardon des chefs traditionnels et coutumiers et des leaders religieux pour être cléments à mon égard.

Honorables légitimités traditionnelles, coutumières et religieuses, vous êtes, du fait de vos rangs respectifs, dignes d’estime et votre respectabilité n’est point récusable ; c’est d’ailleurs là le sens de l’adjectif honorable,
Vous savez probablement que Newton Ahmed Barry communicateur et ancien président de la Commission électorale nationale indépendante (CENI), Germain Bitiou Nama communicateur et administrateur général du bimensuel L’Evénement et Ablassé Ouédraogo président du Faso Autrement, Alain Nièzo Traoré dit Alain Alain animateur et Lamine Traoré journaliste, tous les deux, d’Oméga médias, pour ne citer qu’eux, ont tour à tour fait l’objet de menaces de toutes sortes : même leur droit à la vie a été remis en question par le biais de messages écrits, audios ou vidéos postés sur les réseaux sociaux et les médias sociaux.

Honorables légitimités traditionnelles, coutumières et religieuses,
Une telle témérité de la part des auteurs de ces messages est d’autant plus inquiétante que les institutions judiciaire et policière semblent impuissantes à mettre le holà sur ces comportements aux antipodes des principes fondamentaux de la démocratie et de l’Etat de droit ; or, ce sont ces institutions qui permettent aux justiciables s’estimant lésés par d’autres justiciables d’être rétablis dans leurs droits. Face à la remise en cause du droit à la vie (droit fondamental reconnu par la Constitution et qui conditionne l’exercice de tous les autres) de certains concitoyens par d’autres concitoyens, le pouvoir judiciaire devrait s’affirmer plus qu’il ne l’a fait jusqu’à présent.

Honorables légitimités traditionnelles, coutumières et religieuses,
En guise de circonstance atténuante, je reconnais qu’il s’est révélé plus d’une fois que la temporalité du juge n’est ni celle des politiques, ni des journalistes. Cette précaution permet, dans bien de situations, d’éviter les erreurs judiciaires. Ne dit-on pas qu’il vaut mieux relâcher un coupable que de condamner un innocent ? Mais en attendant, il urge qu’elle se hâte lentement car comme qui dirait « Doucement, doucement nous sommes pressés ». En effet, la cadence des institutions judiciaires à se saisir de ces situations de menace sur la vie d’autrui doit davantage prendre de l’allure au regard des multiples défis titanesques qui nous assaillent et compte tenu du fait que la justice est l’un des instruments qui, bien administrée et bien exercée, crée les conditions favorables à l’avènement d’une société cohésive. Elle procure ainsi un sentiment d’égalité de tous devant la loi et devient une des thérapies non militaires et non sécuritaires à la crise actuelle que le pays vit.

Honorables légitimités traditionnelles, coutumières et religieuses,
Du côté des gouvernants, on attend encore que des voix fortes s’élèvent pour dénoncer ces actes attentatoires à la vie de ces respectables citoyens qui, bien qu’ils puissent se tromper dans leur relation ou interprétation des faits (ce qu’il faut démontrer), n’ont fait qu’exercer leur liberté d’expression et/ou de presse dont l’opinion publique peut se nourrir intellectuellement ou qu’elle peut rejeter. Il n’y a pas non plus eu d’actions robustes qui ont été menées pour dissuader les croisades liberticides de ces personnes se disant soutiens inconditionnels du président de la Transition, chef de l’Etat le capitaine Ibrahim Traoré. Certes, tout régime politique doit œuvrer à obtenir des soutiens ou en accepter de sorte à disposer de la base sociale la plus large possible pour se légitimer et mettre en œuvre son programme. Toutefois, si ces soutiens en viennent à être animés par des velléités de privation de certains citoyens de leurs libertés et de leurs droits, il y a lieu de se demander si ceux-ci ne travaillent pas, en fait, à effriter la légitimité de leur chef au lieu de la consolider et de l’élargir.

Honorables légitimités traditionnelles, coutumières et religieuses,
Face aux contraintes procédurières de l’institution judiciaire et en attendant que les gouvernants soient plus fermes à l’endroit de leurs soutiens, je voudrais me permettre de lancer un appel pressant à l’adresse des légitimités coutumières que vous êtes afin que vous donniez de la voix de façon concertée, claire et franche. Cela contribuera sans nul doute à prévenir d’éventuels lendemains apocalyptiques pour le Burkina. Vous l’avez fait plus d’une fois avec brio dans des situations où le pays était en train de glisser vers des précipices. Ainsi, dans la résolution des crises sociopolitiques qui jalonnent l’histoire du Faso, vous possédez une expertise certaine et la légitimité des institutions multiséculaires que vous incarnez n’est mise en doute par personne même si ces derniers temps certains d’entre vous ont été la cible injuste de quelques individus mal informés ou manipulés par des gestionnaires d’officines politiques à cours de grain à moudre.

Honorables légitimités traditionnelles, coutumières et religieuses,
Jusque-là, vous avez su gérer et résoudre sereinement et efficacement les crises sociopolitiques de notre pays mais aujourd’hui, il ne s’agit plus de cela mais de prévenir ce qui semble poindre à l’horizon ; à savoir la transformation du Burkina en pays de non-droit dans lequel exprimer une opinion jugée inconvenante peut être considéré comme un crime passible de lynchage par le biais des réseaux sociaux ou les médias sociaux dans le meilleur des cas et dans la pire des situations d’élimination physique tout court par des loups solitaires. Si, en plus de la crise structurelle dont le terrorisme est tantôt la cause et tantôt la conséquence, devrait s’ajouter une chape de plomb sur les libertés fondamentales des citoyens, je crains que les personnes de qui vous détenez votre légitimité ne soient plus à vos côtés ou que le pays s’embrase davantage. Dans ces conditions, que vaudrait un chef traditionnel, coutumier ou religieux sans entourage ? Rien naturellement ! Malgré le risque que vous courrez en vous exprimant, ce risque est, de mon point de vue, autrement moins grand que les conséquences du fait de ne rien dire.

Respectueusement vôtre.

Moïse DIALLO