J’ai suivi avec beaucoup de chagrin l’évolution du dossier Aïcha Trembler, sans aucune voix publique autorisée pour défendre la petite avec des arguments de poids qui balaient ceux méprisants des petits esprits. Et cette histoire ressemble à celle de l’affaire COTRADIS contre Fenie brossette où le Burkina Faso subit un mépris incompréhensible. J’avoue que le traitement de ce dossier me laisse perplexe !

Tous ceux, ici ou ailleurs qui traitent la promotion de Aïcha Trembler de « promotion de la médiocrité », méconnaissent et nient les fondements des responsabilités en matière de construction de la mémoire culturelle africaine.

I. Non ! La promotion de Aïcha n’est pas celle de la médiocrité

Le rôle de l’État en matière culturelle, à partir de la vision de l’Union Africaine (UA), « objectif b)- Promouvoir la liberté d’expression et la démocratie culturelle qui est indissociable de la démocratie sociale et politique », article 3 Charte de la Renaissance Culturelle Africaine (CRCA), 2006 :
« principe d)- Renforcement de la place de la science et de la technologie, y compris les systèmes endogènes de connaissance, dans la vie des peuples africains en incluant l’usage des langues africaines » article 4 CRCA (2006)
« Les États africains s’engagent à œuvrer pour la renaissance africaine. Ils conviennent de la nécessité d’une reconstruction de la mémoire et de la conscience historique de l’Afrique et de la Diaspora africaine » (Article 7-1, CRCA 2006)
Pour reconstruire cette mémoire et cette conscience historique de l’Afrique, les États modernes ont deux instruments :
1- la constitution d’une liste du patrimoine immatériel national constitués de biens immatériels (une organisation sociale, un savoir-faire, une mémoire familiale, dont les langues, la danse…) ;
2- la constitution d’une liste de patrimoine matériel national constitué de biens matériels (bâtiments, sites, livres, tableaux, monuments, etc…)

II. Pourquoi l’U.A parle-t-il de reconstitution ?

L’UA parle de reconstitution parce que, du fait de l’invasion arabe du 7ème siècle, qui a commencé une vraie « castration culturelle », par la négation et la destruction de ces patrimoines culturels africains, beaucoup de choses ont été perdues. Cette castration s’est poursuivie avec l’invasion occidentale du 14ème siècle.
Ces Occidentaux, après avoir nié la religiosité de la culture africaine, ont procédé à un savant métissage de leur religion, à travers le concept de l’inculturation expérimenté en Asie, quelques temps plus tôt. Ce qui a permis aujourd’hui de sauver quelques biens de cette folie destructrice initiée depuis le 7ème siècle, même si la plupart de ces biens gisent dans des musées occidentaux.

III. Comment l’U.A procède-t-il ?

À l’article 10-1 de la CRCA (2006), il est dit ceci : « Les États s’engagent à assurer l’introduction des valeurs culturelles africaines et les principes universels des droits humains dans l’enseignement et dans les programmes d’information et de communication ».
L’intérêt de le faire réside dans le fait que ces patrimoines, faits de valeurs matérielles et immatérielles, sont destinées à servir tous les domaines de la vie publique (même la sécurité et la défense), dont l’éducation en premier pour fabriquer un citoyen conforme à l’idéal attendu par la République et servir avec la culture comme des instruments de construction de politiques publiques.
Cela a été (ré)affirmé dans la convention de 2005 de l’UNESCO sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, à son article 13 consacré à « l’Intégration de la culture dans le développement durable » :
« Les Parties s’emploient à intégrer la culture dans leurs politiques de développement, à tous les niveaux, en vue de créer des conditions propices au développement durable et, dans ce cadre, de favoriser les aspects liés à la protection et à la promotion de la diversité des expressions culturelles ».
Pour ce qui concerne le Burkina Faso, ce citoyen idéal est décrit à l’article 13 de la loi 013-2007/AN, portant loi d’orientation de l’éducation. Pour la sécurité et la défense, comme pour tous les autres domaines.
L’introduction de ces valeurs dans les politiques publiques répond à une logique qui est que la culture constitue à la fois un héritage, un patrimoine et un projet, au bénéfice du plus grand nombre. DJ Domi, Willy Dombo et Aïcha sont donc totalement en phase avec la vision africaine en exhumant cette danse pour la porter à la lumière dans la scène publique. C’est simplement ce que devraient faire tout Africain qui se réclame panafricaniste.

IV. Le devoir de promotion et de transmission culturelle

Aujourd’hui, c’est dans cette dynamique de reconstruction que nous sommes et c’est le devoir pour chaque État engagé par la Charte de 2006 de le faire, à travers les structures administratives et institutions de recherches (ministère en charge de la culture, CNRST, universités, etc.). C’est aussi le devoir de chaque citoyen de le faire pour assumer sa responsabilité citoyenne de participation à la gouvernance du secteur de la culture, en faisant découvrir les biens de son patrimoine, par son travail, sa passion ou sa fonction de leader d’opinion).
Voilà donc un citoyen, DJ Domi, qui accomplit juste son devoir citoyen, même si c’est dans le cadre de son travail et de sa passion, et un autre, Willy Dombo, qui mettent en lumière un bien du patrimoine culturel immatériel du Burkina Faso, en l’occurrence une danse pratiquée par plusieurs peuples du Burkina Faso (Sud-Ouest, Centre-Est, Centre-Ouest, etc.) et qui se voient accusés de promouvoir la médiocrité, sans qu’une seule voix publique autorisée ne vient défendre ! C’est quand même incroyable cette Afrique et c’est à ne rien comprendre !

V. Le combat culturel est toujours en cours

Or, déjà au moment des indépendances, nos devanciers avaient compris le sens de la culture et ses enjeux en matière de prospective. Ils avaient dit dans Manifeste culturel panafricain de 1969 que « la culture a pour point de départ le peuple en tant que créateur de lui-même et transformateur de son milieu ». C’est fort de cela que Amadou Hampaté BÂ (Aspects de la civilisation africaine, 1972 : 21) ne comprend pas que les Européens s’étonnent lorsqu’il se donne pour objectif de parler de la tradition africaine en tant que culture :
« La chose était d’autant plus difficile que, dans la tradition occidentale, on a établi une fois pour toutes que, là où il y n’y a pas d’écriture, il n’y a pas de culture ; à telle enseigne que lorsque j’ai proposé pour la première fois de tenir compte des traditions orales comme sources historiques et sources de culture, je n’ai provoqué que des sourires ».

VI. Il ne s’agit surtout pas d’un affrontement culturel

Certes, l’UA reconnaît qu’il n’y a aucune limite à mettre à l’épanouissement culturel d’un peuple, mais elle s’inscrit dans le respect de l’expression des diversités culturelles et de l’enrichissement mutuel entre les cultures. Ce qui repousse toute idée de réminiscence malsaine ou mal exploitée. Ceci avait été rappelé par le Dr Maurice GLÉLÉ, en 1986 à l’occasion du Symposium de création de l’IPN :
« Ne pas idéaliser le passé, ne pas s’enfermer dans sa culture mais s’enraciner dans ce qu’elle a de meilleur, lutter contre toute aliénation culturelle, construire le présent et conduire l’avenir, en restant ouvert aux autres, telle devrait être la démarche. Dans leur présence au monde moderne, monde de science et de technologie, les Peuples Noirs se devraient en redécouvrant leurs technologies traditionnelles, conquérir et maîtriser la science et la technologie modernes, dans une conscience historique rénovée qui leur permette de se mobiliser, de reprendre l’initiative pour aborder avec clairvoyance et courage le 21ème siècle ».

VII. Nous sommes bien meilleurs que votre médiocrité

Nous Africains, nous venons de loin, de très loin-même, et nous devons réfuté toutes les thèses qui nous enferment dans des préjugés. Non, la culture africaine, ce n’est pas « la promotion de la médiocrité ».
Non, il ne faut pas s’accommoder de l’indolence intellectuelle, qui nous empêche de faire de la recherche culturelle comme DJ Domi pour exhumer des pépites, pour grossir les rangs de ceux qui sont frappés de « capitulation culturelle » selon les termes de Cheikh Anta Diop (1974 : 24-25).
Il faut plutôt voir la culture africaine, nos cultures, surtout celles que l’on débusque des contrées oubliées, comme un « héritage à recueillir et en faire sien », comme le disait en 1948, Cheikh Anta Diop dans « quand pourra-t-on parler de Renaissance culturelle africaine ».
Bravo à Aïcha, à son staff et à Willy Dombo pour avoir exhumé et promu une danse ancienne, un bien culturel immatériel ! Plein succès à vous !

Ousmane DJIGUEMDE
oustehit@hotmail.fr