Le torchon brûle entre l’exécutif et le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) au sujet de l’affaire dite de la "guérisseuse de Komsilga". Après la sortie du chef de l’Etat à Pô le 5 août dernier au cours de laquelle il a fustigé les magistrats "pourris et vendus" et évoqué la thèse d’une "grosse conspiration" contre le gouvernement, on se doutait bien que le CSM n’allait pas garder le silence sur le développement de cette affaire qui aurait dû être traitée comme un banal fait divers, mais, qui, malheureusement est devenue une affaire d’Etat.
Dans le communiqué ci-contre, le CSM met les points sur le i en rappelant que "l’indépendance de la justice n’est pas un privilège pour les acteurs judiciaires et que son assujettissement ne nuirait pas non plus qu’aux seuls acteurs judiciaires".

Dans son communiqué du 31 juillet 2023, le Conseil supérieur de la magistrature (CSM)
dénonçait l’irruption de militaires au Tribunal de grande instance Ouaga II le 28 juillet
2023 aux fins de soustraire dame NIKIEMA Larissa Amsétou alors que celle-ci était
placée sous mandat de dépôt du Procureur du Faso près ledit Tribunal pour complicité
de coups et blessures volontaires, séquestration et actes de torture. Ces militaires l’ont
ensuite conduite au petit matin du 29 juillet 2023 vers une destination inconnue de
l’autorité judiciaire en charge du dossier.
Bien avant cette intervention du CSM, le Gouvernement avait, dans un communiqué du
29 juillet 2023, considéré ces faits comme "une série d’incompréhensions et de
malentendus ayant entraîné des incidents regrettables et rassurait l’opinion que toutes
les dispositions sont prises pour réserver le meilleur traitement à ce dossier dans le strict
respect des principes de l’Etat de droit, de tolérance zéro à l’impunité, de préservation
de la paix sociale et de la sécurité ".
Le 1er août 2023, une rencontre de concertation initiée par le Président de la Transition.
Garant de l’indépendance du pouvoir judiciaire a réuni le président du CSM, les
procureurs du Faso près les TGI Ouaga I et II ainsi que quatre membres du
Gouvernement composés des ministres de la Justice, de l’Administration territoriale, de
l’Action humanitaire et du ministre délégué à la Sécurité. Le contenu des échanges lors
de cette rencontre a laissé espérer un traitement de l’affaire dans le strict respect de la
légalité républicaine.
Dans un communiqué du 04 août 2023, le Procureur Général près la Cour d’appel de
Ouagadougou informait l’opinion publique que dame NIKIEMA Larissa Amsétou, objet
du mandat de dépôt du Procureur du Faso près le TGI Ouaga Il, sera incarcérée à sa
demande à la Maison d’arrêt et de correction des armées (MACA), en attendant son
jugement. Le même communiqué invitait le Directeur de la Maison d’arrêt et de
correction de Ouagadougou (MACO) à faire procéder à la mise en œuvre de cette
décision.
Le CSM note que cette décision a été accueillie avec enthousiasme par le gouvernement qui du reste n’a pas manqué d’exprimer sa reconnaissance à monsieur le Procureur
général.
De son côté, le CSM voudrait se contenter de prendre acte de cette décision prise par le
Procureur général en sa qualité d’autorité judiciaire. Il voudrait espérer que l’invocation
de cette décision de monsieur le Procureur général près la Cour d’appel de Ouagadougou
par le gouvernement marque, de la part de celui-ci, une volonté retrouvée de se
conformer désormais aux actes de justice dans leur entièreté, y compris dans le dossier
de madame NIKIEMA Larissa dite Adja Amsétou.
Tout en prenant acte du contenu dudit communiqué, le CSM s’autorise à s’interroger
sur le fondement juridique et l’opérationnalisation de ladite décision. Comment en effet,
le Directeur de la MACO peut-il transférer une prévenue qui n’a pas été écrouée dans
son établissement ? La même interrogation se pose au CSM quant à l’intervention du
Médiateur du Faso dans une procédure en cours devant une juridiction.
Dans un autre communiqué daté du 05 août 2023, le Gouvernement s’est défendu de
toute immixtion dans une affaire judiciaire en avançant la thèse d’une manipulation
orchestrée par des officines obscures à la solde d’intérêts étrangers. Abondant dans le
même sens lors de son séjour dans la ville de Pô le 05 août 2023, le Président de la
Transition, Garant de l’indépendance du pouvoir judiciaire, s’est également prononcé
publiquement sur la même affaire en brandissant la thèse « d’une grosse conspiration »
contre son pouvoir, tout en menaçant de sévir contre la justice dans les heures à venir.
Dans son propos, le Président de la Transition a affiné également avoir repéré un
certain nombre de magistrats "pourris et vendus" qui salissent l’image de la justice.
Le CSM, loin de verser dans la polémique, voudrait cependant faire quelques
observations :
1. Il est constant que la crise actuelle est née suite à l’intrusion de militaires dans un
palais de justice pour libérer une prévenue placée sous mandat de dépôt décerné
par une autorité judiciaire pour présomption de complicité de coups et blessures
volontaires, séquestration et actes de torture qui sont des infractions de droit
commun
2. L’agence nationale du renseignement (ANR) n’est pas une unité d’intervention
mais un service de renseignements dont la mission est entre autre de collaborer
avec les acteurs de la chaine pénale dans le cadre de la judiciarisation du
renseignement
3. S’agissant des allégations de complot, il serait judicieux de saisir les autorités
judiciaires compétentes pour suite à donner
4. Le conseil de discipline des magistrats se réjouirait d’ère saisi directement ou
par plainte ou dénonciation en ce qui concerne les magistrats « pourris et
vendus » dont il a été affirmé l’existence d’une liste. Du reste, le pouvoir exécutif
dispose d’une telle possibilité, notamment par la saisine directe du conseil de
discipline par le ministre de la Justice. II en est de même pour ce qui concerne les
magistrats éventuellement manipulés qui peuvent faire l’objet de poursuites
disciplinaires sans préjudice de poursuites judiciaires, le cas échéant

5. Les acteurs judiciaires ont consenti des sacrifices énormes dans le traitement de
centaines de dossiers d’actes de terrorisme qui expose au quotidien leur vie et
celle de leurs familles. Cela commande que certaines affirmations soient mieux
articulées afin de ne pas occulter la réponse judiciaire qui est une dimension
essentielle dans la lutte contre le terrorisme et qui mobilise des acteurs judiciaires
depuis les premières heures du terrorisme dans notre pays. Du reste, les acteurs
judiciaires sont loin d’être les mieux dotés en moyens pour le traitement efficace
des dossiers de terrorisme
6. L intervention surprenante de madame le Médiateur du Faso dans une affaire
judiciaire en cours en violation des textes régissant cette institution, notamment
l’article 13 de la loi organique n°017-20 I3/AN du 16 mai 2013 portant
attributions, organisation et fonctionnement du Médiateur du Faso.
C’est le lieu de rappeler au Président de la Transition qu’en sa qualité de Garant
constitutionnel de l’indépendance du pouvoir judiciaire, il existe un cadre statutaire
d’échanges entre lui et le CSM pour aborder sereinement et de façon approfondie les
questions liées au bon fonctionnement de la justice. Au demeurant, la prise de position
publique du Garant de l’indépendance du pouvoir judiciaire en faveur d’une partie dans
un dossier judiciaire viole le principe constitutionnel d’égalité des citoyens burkinabè
devant la loi.
Quant aux décisions et reformes importantes que le Garant de l’indépendance du
pouvoir judiciaire envisagerait, le CSM, sans en connaitre la teneur, voudrait cependant
insister sur le fait que l’indépendance de la justice n’est pas un privilège pour les acteurs
judiciaires et que son assujettissement ne nuirait pas non plus qu’aux seuls acteurs
judiciaires. En tout état de cause, I’indépendance actuelle du pouvoir judiciaire découle
de lu volonté du peuple burkinabè exprim-e å un moment donné de son histoire à travers
le Pacte national pour le renouveau de la Justice du 28 mars 2015.
Au regard de tout ce qui précède. le Conseil supérieur de la magistrature :
condamne une fois de plus les atteintes à la séparation des pouvoirs et à
Il’indépendance du pouvoir judiciaire :
réit-re ses félicitations et son soutien aux acteurs judiciaires du TGI Ouaga Il
pour avoir assum- conformément à la loi les obligations de leurs charges :
t-licite et encourage les éléments de la garde de sécurité pénitentiaire qui ont su
gérer avec professionnalisme ces malheureux évènements pour éviter le pire
invie I’ensemble des magistrats à se conformer en toutes circonstances à la
légalité et å la dignité dans l’exercice de leurs fonctions ;
invite l’ensemble des acteurs judiciaires å rester sereins et à garder la plus grande lucidité afin de participer à la construction d’une justice burkinabè qui garantit l’égalité entre les justiciables :

exprime sa gratitude aux ordres professionnels, aux associations et structures de
défense des droits de l’homme, aux organisations syndicales ainsi qu’à toutes les
personnes qui ont apporté leur soutien à l’appareil judiciaire.

Fait à Ouagadougou, le 09 ot 2023
Le Président
Mazobé jean Kondé

Kaceto.net